Le renseignement russe proche du chaos?
Un dirigeant des services humilié en public, des difficultés militaires liées en partie à un problème de renseignement, des informations – parcellaires et non confirmées – sur des purges. Les temps sont durs pour le renseignement russe, pourtant auréolé d’une solide réputation.
Les problèmes rencontrés en Ukraine par l’armée russe sont liés à des multiples facteurs à la tête desquels la résistance de l’armée et du peuple ukrainien. Mais des experts occidentaux et des journalistes russes indépendants pointent du doigt les services de Moscou.
Le 21 février, dans une scène surréaliste, Vladimir Poutine avait tancé publiquement le patron du SVR (renseignement extérieur), Sergueï Narychkine, apparu confus et la voix tremblante.
La scène a suscité moult commentaires en Occident. « Beaucoup de gens ne font pas remonter à Poutine la réalité de la situation », affirme un membre de la communauté française du renseignement. « Le système est en train de se durcir, de se bunkeriser, pour ne pas lui apprendre trop de mauvaises nouvelles ».
Plus récemment, des journalistes russes – Andrei Soldatov et Irina Borogan – ont affirmé sur le site Meduza basé en Lettonie que le patron du 5e département du FSB, le général Sergueï Besseda, et son adjoint Anatoli Boloukh avaient été placés en résidence surveillés.
« Biais cognitif »
Selon un site de surveillance du FSB, financé par l’ex-oligarque devenu opposant Mikhaïl Khodorkovski, M. Besseda a « bien été interrogé » mais continue de travailler. M. Boloukh aurait en revanche été limogé.
Dans tous les cas, le département en charge de l’Ukraine, au sein du service responsable de l’immédiat étranger russe, semble être dans le viseur de Moscou.
Le Kremlin n’a pas communiqué sur ce point. Mais ce weekend, le chef de la garde nationale Viktor Zolotov a pour la première fois admis que « tout (n’allait) pas aussi vite que (Moscou) le voudrait », ajoutant: « nous avançons pas à pas et la victoire sera à nous ».
Selon l’Institut des études de la guerre (ISW), « Poutine procède probablement à des purges internes chez ses généraux et personnels du renseignement (…) soit après avoir négligé leurs estimations (…), soit en rétorsion de l’intelligence erronée dont il les accuse ».
Une source sécuritaire occidentale relève aussi qu’il « a très bien pu y avoir un biais cognitif par lequel ils n’ont voulu voir que ce qui les confortait dans leurs préjugés ».
Et « ce qu’ils n’ont pas bien vu, probablement, c’est que l’armée ukrainienne qui a laissé prendre la Crimée sans réagir n’est plus la même aujourd’hui qu’en 2014″, ajoute-t-elle. « C’est une armée qui s’est modernisée ».
A cet égard, l’échec de l’aviation russe, incomparablement supérieure à son adversaire, à dominer l’ensemble de l’espace ukrainien témoigne aussi d’une sous-estimation des défenses anti-aériennes et de l’aviation des forces de Kiev.
Au delà, les services russes (SVR, FSB et GRU, le renseignement militaire) ont semble-t-il failli sur plusieurs marqueurs de la société ukrainienne. Lorsque Vladimir Poutine affirme qu’il entend « libérer » l’Ukraine de son président Volodymyr Zelensky, il n’est pas exclu qu’il en ait été lui même convaincu, estime nombre d’observateurs.
« Avant une telle opération, vous commencez par regarder l’état de la population, dans quelle situation vous allez opérer », analyse un haut-gradé français, qui souligne « une très mauvaise analyse de l’état des forces morales de l’armée ukrainienne et de l’Ukraine dans sa globalité ».
Réputation flatteuse
Les Russes, ajoute-t-il à l’AFP, « s’imaginaient que l’Ukraine allait s’effondrer et que la population allait les accueillir soit dans une forme d’indifférence » soit franchement positivement.
Le manque de clairvoyance a peut-être été semblable sur ce qui se tramait dans les capitales occidentales, où les sanctions économiques et financières, témoin d’une unanimité soudainement sans faille, étaient préparées dès novembre.
A Berlin, le service, « pourtant réputé disposer d’un contingent important (…) dont il ne s’est que peu départi depuis 1989 (et la chute du Mur, ndlr), n’avait pas anticipé la rupture stratégique du gouvernement allemand », estimait il y a quelques jours le site spécialisé Intelligence Online.
« Moscou a en outre au départ estimé que Paris maintiendrait une position proche de la neutralité en cas d’intervention » en Ukraine, ajoute IOL.
Un enchaînement de questions surprenant de la part de services hérités de l’ex-Union soviétique, précédés d’une réputation flatteuse.
Mais ces dernières années, les services russes ont parfois fait la Une des journaux – ou des gazettes spécialisées – pour des meurtres, tentatives de meurtre et autres opérations clandestines. Des opérations ont été mises au jour, parfois avec les noms des agents à la carrière immédiatement compromise.
« Ce sont des services puissants, offensifs et désinhibés mais qui commettent des erreurs », conclut la source sécuritaire occidentale.
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