Le poids de l’Histoire plombe les espoirs de paix au Karabakh
Quand le président azerbaïdjanais et le Premier ministre arménien se sont retrouvés, fait rare, sur une même tribune, pour parler de l’Histoire du Nagorny Karabakh, les choses ne se sont pas vraiment bien passées.
C’était en février, à la Conférence internationale de Munich sur la sécurité. Huit mois plus tard, la guerre ravage cette région peuplée d’Arméniens, attaquée par l’Azerbaïdjan.
« Pour parler de comment résoudre le conflit, nous devons d’abord regarder en arrière, avec une perspective historique », a déclaré le président azerbaïdjanais Ilham Aliev à Munich, affirmant que la « réalité historique » était que le Nagorny Karabakh faisait partie de l’Azerbaïdjan.
« Je recommanderais au président Aliev de ne pas remonter trop loin dans l’Histoire », a rétorqué le Premier ministre arménien Nikol Pachinian, affirmant que la région n’est devenue azerbaïdjanaise qu’à la faveur d’une décision prise au début de l’ère soviétique au XXe siècle.
Cet échange acide, en anglais, illustre deux visions irréconciliables de l’Histoire qui pèsent sur la recherche d’un règlement à un des conflits les plus épineux hérité de l’effondrement de l’URSS.
Bakou estime que le Nagorny Karabakh fait partie intégrante de l’Azerbaïdjan, souligne que cela est reconnu comme tel par les Nations unies et met en avant une présence musulmane vieille de plusieurs siècles, débutée par des colons perses et seldjoukides.
Caprice de Staline
Les Arméniens, eux, déclarent que le Nagorny Karabakh, intégré à l’empire russe au début du XIXe siècle, n’a dû qu’à un caprice bureaucratique soviétique d’être rattaché à l’Azerbaïdjan soviétique sous le nom d' »Oblast autonome du Nagorny Karabakh » (NKAO).
Ce n’est que « l’initiative personnelle » aux débuts des années 1920 de Joseph Staline, qui n’était pas encore le maître de l’URSS mais simplement « commissaire aux nationalités » dans l’appareil soviétique.
Inutile de dire que M. Aliev s’est très vivement opposé à cette affirmation.
Les Arméniens représentent la majorité de la population du Nagorny Karabakh et, pendant l’ère soviétique, la République d’Arménie a plusieurs fois demandé à ce que la région lui soit rattachée, ce que Moscou a refusé. Lors de l’effondrement de l’Union, la région a fait sécession et s’est déclarée république, déclenchant une guerre.
Les Arméniens ont remporté la guerre, à l’issue de laquelle – et du déplacement de centaines de milliers d’Azerbaïdjanais – le Karabakh est pratiquement exclusivement peuplé d’Arméniens.
Mais la République indépendantiste n’a jamais été reconnue par un Etat tiers, y compris l’Arménie elle même.
« Arménie et Azerbaïdjan sont tellement arc-boutés sur leurs positions que la communauté internationale a au final très peu de levier sur eux », analyse Nicu Popescu, directeur du programme « Europe élargie » pour le think tank ECFR.
Démembrement ?
Selon lui, le scénario le plus probable n’est ni la paix, ni une victoire claire, mais plutôt un engrenage de petites guerres démembrant le territoire.
Et depuis la conférence de Munich, les discours sont encore plus radicaux. « Nous devons retourner » au Karabakh, « notre terre », a déclaré il y a quelques jours M. Aliev.
« Artsakh (le Karabakh) est l’Arménie, et c’est tout », avait déclaré en août M. Pachinian.
Les deux camps développent aussi des visions sélectives de l’Histoire, pointant les atrocités de l’autre, et poussant les siennes sous le tapis.
Les Arméniens se souviennent des pogroms de Sumgait en Azerbaïdjan en 1988 où les foules ont tué au moins 26 Arméniens. Les Azerbaïdjanais se remémorent Khojaly en 1992 quand les Arméniens ont tiré sur des civils faisant, selon Bakou, des centaines de morts.
Depuis les précédentes éruptions de violence en 2016, « le processus de paix s’est arrêté, tandis que la rhétorique agressive se développait », ont relevé les analystes de International Crisis Group (ICG).
Dans cette crise, le rôle majeur de la Turquie, premier parrain de Bakou, est un autre problème pour les Arméniens car Ankara refuse de reconnaître leur génocide perpétré pendant la Première guerre mondiale par l’Empire Ottoman.
Les analystes insistent sur le fait qu’une lecture plus apaisée de l’Histoire permettrait d’avancer vers la paix, relevant qu’Arméniens et Azerbaïdjanais ont coexisté pacifiquement pendant l’époque soviétique, et encore aujourd’hui hors du Caucase.
« Quelqu’un devrait peut-être rééditer le traité d’amitié signé sous l’égide des Perses en 1724 entre les seigneurs arméniens du Karabakh et les Khans azerbaïdjanais (…) contre les Turcs ottomans », avait commenté à Munich Tom de Waal, de la fondation Carnegie Europe.