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Le pari de Macron, coup de poker ou coup de tête? «Il devient un boulet pour son propre camp»

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

En dissolvant l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron a provoqué le chaos. La gauche se rassemble pendant que la droite se divise. Un coup de poker ou un coup de tête?

«Bataille des valeurs», «sursaut»: la dissolution de l’Assemblée nationale française par Emmanuel Macron ne cesse de provoquer des remous dans le paysage politique français. Le président de la République estime que son bluff est déjà en train d’engendrer une «clarification», avec des «alliances contre nature» en gestation à droite comme à gauche. Sans proposition forte, c’est sur les «valeurs» que le chef de l’Etat met l’accent pour cette campagne express, avec une poursuite de la politique menée depuis sept ans. Un pari risqué, à plus d’un titre.

Le double pari de Macron

C’est même un double pari, estime Pierre Vercauteren, professeur de sciences politiques à l’UCLouvain, «D’abord, celui d’un choc et d’une mobilisation, notamment au niveau de l’abstention. Il faudra voir si les abstentionnistes jouent contre le Rassemblement national. Ensuite, si le RN obtient la majorité, il sera confronté à l’exercice du pouvoir et à la prise de décisions difficiles, notamment pour réduire le déficit important des finances publiques françaises.»

Pour Amandine Crespy, professeure en science politique à l’ULB, c’est peut-être même un «coup de tête» du président. «Ce n’est pas vraiment une surprise vu les résultats des européennes, mais je vois mal comment son parti pourrait gagner. Macron est extrêmement affaibli personnellement et n’est pas en mesure de tirer une campagne législative. Il devient pratiquement un boulet pour son propre camp. C’est une tentative pour reprendre la main, peut-être, mais pour faire quoi?»

Chaos chez les Républicains

Suite à son annonce, les choses se sont emballées dans les différentes formations politiques. A gauche, où les quatre principaux partis s’allient sous la bannière «Front populaire». A droite, où le chaos, presque parodique, règne chez Les Républicains, témoignant des fractures béantes de la droite. Désavoué par ses pairs pour avoir proposé une alliance avec le RN, Eric Ciotti a été évincé mais refuse de quitter son poste. Il est même allé jusqu’à verrouiller les accès du QG du parti.

«Le parti n’a plus de leadership, explique Amandine Crespy. Il est déchiré entre la tendance qui voudrait être le marchepied de l’extrême droite vers le pouvoir et une droite conservatrice plus traditionnelle, plus modérée, mais qui ne parvient pas à articuler des idées.» Avec un impact sur leur électorat? «Il faudra voir si les élus actuels des Républicains ont suffisamment d’ancrage local pour remobiliser leurs troupes, plutôt que de les laisser partir du côté du RN, analyse Pierre Vercauteren. Et aussi si la direction des Républicains parvient à clarifier les choses ou si on assistera à une sorte de guerre larvée entre Eric Ciotti d’un côté, avec quelques suiveurs, et le reste des Républicains de l’autre.»

Eric Ciotti au siège du parti Les Republicains malgré son éviction à la tête du parti. © Hans Lucas via AFP

Alternative

Quel visage aura donc l’Assemblée nationale française? Plusieurs éléments vont jouer. «Il faut d’abord voir la manière avec laquelle le nouveau Front populaire va convaincre l’électeur. Il est encore tôt pour le dire, d’autant qu’ils sont toujours en train de négocier la répartition du nombre de sièges entre leurs diverses composantes. Et il faut se mettre d’accord sur un programme commun», indique Pierre Vercauteren.

Eric Ciotti a affaibli les Républicains. Comment vont-ils pouvoir remobiliser et convaincre? D’autant que le temps presse, puisque les électeurs français sont déjà appelés aux urnes dans 17 jours. «La campagne est courte. Chaque jour passé à négocier est un jour de campagne perdu

«La création d’En Marche étaient basée sur le débauchage des personnalités de centre gauche du Parti socialiste d’une part, et du centre droit chez les Républicains d’autre part. Cette stratégie a si bien fonctionné qu’elle a abouti à l’affaiblissement extrême des deux grands partis. A partir du moment où le président et son parti deviennent impopulaires et que les électeurs n’en veulent plus, ils se tournent vers la seule alternative: le Rassemblement national», explique Amandine Crespy.

Cohabitation

La France risque de se retrouve avec plusieurs blocs à l’Assemblée nationale. Ingouvernable? «Cela dépend aux yeux de qui, répond Pierre Vercauteren. La situation était déjà difficile avec une majorité relative de la part de Renaissance. Si Renaissance n’a plus la majorité, même relative, la cohabitation pourrait être extrêmement compliquée. Cela nécessitera de voir si le Rassemblement national aura la majorité absolue ou pas. S’il ne l’a pas, ce sera un gouvernement minoritaire qui devra composer au cas par cas, voire activer à l’une ou l’autre occasion le fameux 49.3. Donc une situation très compliquée.» «Le risque, c’est d’avoir un bloc d’extrême droite plus important que les deux autres, renchérit Amandine Crespy. Parce que le RN est dans une dynamique de campagne extrêmement forte. »

Pendant que les tractations vont bon train à gauche et que la droite se divise, le Rassemblement national semble prêt, avec Jordan Bardella candidat déclaré au poste de Premier ministre. «Une cohabitation ne serait pas du tout anodine, analyse Amandine Crespy. On donne la possibilité au RN de former un gouvernement qui aura la voie libre pour mettre en place un programme et l’adopter. Dans les cohabitations précédentes, les gouvernements ont fait la politique de leur camp et le président n’avait que peu d’impact.»

Emmanuel Macron compte bien rester à l’Elysée jusqu’à 2027, quels que soient les résultats. «Mais on voit mal comment un président omnipotent, jupitérien, va se glisser dans le costume d’un président contraint, confiné au domaine de la politique étrangère et qui va être finalement le spectateur de la politique gouvernementale», estime-t-elle. Et la question de son héritage politique mérite aussi d’être posée. Si le RN cartonne, «il restera dans l’histoire comme le président qui a mené l’extrême droite au pouvoir. C’est un héritage lourd à porter. Et paradoxal pour celui qui se présentait comme le grand européen.»

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