Carte blanche

Le Pacte mondial sur les migrations : une avancée en trompe-l’oeil

Les 10 et 11 décembre prochains, les chefs d’États et de gouvernements de l’ONU sont invités à signer à Marrakech (Maroc) le pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.

Beaucoup d’espoirs ont été mis dans les capacités des Nations Unies à mettre en place des normes de protection internationales des droits des migrant.es et de renforcement de la liberté de circulation. Ce Pacte inspire des réactions diverses et en sens opposés. De nombreuses ONG y voient un texte progressiste et protecteur alors que les États européens dominés par des formations nationalistes ou populistes y voient une atteinte à leur souveraineté. Plusieurs états membres de l’UE, hostiles à l’accueil des réfugiés, comme la Hongrie, la Pologne, l’Autriche ou la Tchéquie, ont déjà dit leur opposition au texte. Ces gouvernements sont dirigés par des partis ouvertement populistes et/ou xénophobes qui voient dans ce pacte une possible remise en cause des politiques hyper-restrictives qu’ils mènent. Donald Trump, pour les États-Unis, campe dans un refus de toute approche fondée sur le multilatéralisme en la matière et a fait savoir depuis longtemps son rejet du pacte. En Belgique, alors que le premier ministre a officiellement annoncé le 27 septembre à l’Assemblée générale de l’ONU, l’adhésion de son pays au Pacte, le gouvernement est sur le point d’opérer une volte-face sous la pression des nationalistes flamands de la N-VA.

A l’exception notable des conventions de l’OIT ou de la convention internationale pour la protection des travailleurs migrants et les membres de leur famille, non ratifiée par la plupart des États-membres de l’UE, il manque à la communauté internationale un cadre juridique spécifique pour prendre en considération la question des migrations. L’adoption du Pacte mondial est sensée comblé ce vide. Or le consensus à l’issue des négociations penche en faveur de la mise en place d’un dispositif non contraignant en adéquation avec les intérêts des pays à industrialisés à hauts revenus qui fait fi des besoins des migrant.es et des pays du Sud moins développés dont ils proviennent.

Bien que nous nous soyons conscients et favorables à la nécessité de créer un cadre international qui garantit et protège les droits des migrant.es, nous ne pensons pas que le texte de Pacte en projet soit une réponse à la hauteur des besoins de protection des migrant.es dans le monde. Le texte proposé est en réalité fortement inspiré par les intérêts et les approches européennes et nord-américaines dans le domaine des migrations.

Le Pacte est-il un texte qui crée un droit international à la liberté de circulation ? Permettra-t-il de protéger les migrants aussi efficacement que le permet la convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille ? Va-t-il prohiber définitivement la détention de migrants et les centres de rétention ? Permettra-t-il une remise en cause de politiques ou de lois criminalisant les migrants ? Évitera-t-il le pillage des ressources humaines et matérielle des pays pauvres et le recours à l’immigration choisie ? Ira-t-il au-delà des bonnes intentions en matière de développement en dressant des objectifs mesurables et des mécanismes d’évaluation des programmes d’aide ? Évitera-t-il la logique de surveillance et de contrôle notamment via la collecte et le stockage des données biométriques des migrants dans des bases de données communes et uniformisées ?

A toutes ces questions, il faut répondre par la négative !

Au final, le Pacte Mondial reste un accord non-contraignant négocié au niveau intergouvernemental dans des conditions de conflits et de manque de solidarité entre États mus principalement par des soucis sécuritaires de contrôle. Il ne défie pas la logique des politiques d’immigrations répressives qui, loin de réduire le nombre d’entrées de migrants, contribuent à des violations graves des droits humains. Ces politiques sont coûteuses sur le plan humain et favorisent des stratégies toujours plus complexes et dangereuses de franchissement illégal des frontières. Elles font le lit des réseaux mafieux et sont porteuses de nouvelles insécurités dans des zones déjà fortement fragilisées par des conflits de natures multiples.

Le Pacte vise à établir pour la première fois un cadre intégré pour une gouvernance mondiale des migrations internationales. Tel qu’il est formulé dans sa version finale, ce Pacte s’apparente à la recherche d’un consensus minimal entre États riches et pauvres, qui garantit aux premiers la liberté de poursuivre la gestion sécuritaire de leurs frontières. Ce texte ne contribue en rien à inscrire, dans le réel, le droit inaliénable à la liberté de circulation tel que fixé à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Au contraire, il pourrait même légitimer et justifier des reculs au niveau des droits des migrants plutôt que contribuer à une gouvernance respectueuse des droits humains des migrants. Dans la mesure où il ne l’interdit pas, il pourrait même servir à justifier des politiques d’exclusion et de criminalisation des migrants et donner corps aux souhaits des pays du Nord de renforcer l’immigration choisie, qui vide les pays du Sud de leurs compétences, et institutionnaliser l’immigration jetable.

Hassan Bousetta et Driss El Korchi pour la Plateforme Euro-Marocaine Migrations et Développement (Naoura, EMCEMO, IDD, Migrations et développement, Amaghreb, CODENAF, Khamsa)

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