Le Niger va-t-il basculer dans le camp antioccidental ? Comprendre la crise actuelle

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les nouveaux dirigeants, soutenus par le Mali et le Burkina Faso, feront-ils basculer complètement le pays dans le camp antioccidental ?

Après le Mali (double putsch, en août 2020 et mai 2021) et le Burkina Faso (même scénario en janvier et septembre 2022), le troisième domino du Sahel central, le Niger, est tombé le 26 juillet sous la coupe des militaires. En toile de fond du coup de force de Niamey figure, comme à Bamako et à Ouagadougou, l’échec de la lutte contre les groupes djihadistes qui continuent à faire régner la terreur, singulièrement dans la région des trois frontières de ces pays dont, des différentes capitales concernées, celle du Niger est la plus rapprochée.

Néanmoins, c’est plutôt dans un règlement de comptes personnel qu’il faut chercher l’origine du pronunciamiento de Niamey. Le président Mohamed Bazoum, démocratiquement élu en février 2021, souhaitait démettre le chef de la garde présidentielle, le général Abdourahamane Tchiani, qu’il avait pourtant maintenu à son poste une fois arrivé au pouvoir alors qu’il avait été nommé par son prédécesseur. Un « beau symbole » de continuité de l’Etat pour la première passation de pouvoir démocratique de l’histoire du Niger…

Ralliement de l’armée

Plusieurs heures après « l’arrestation » du président Bazoum dans son palais présidentiel, le doute a régné sur la réalité du coup d’Etat. C’est la décision du chef d’état-major des armées, Abdou Sidikou Issa, nommé, lui, par le chef de l’Etat le 1er avril de cette année, de rallier les putschistes pour « éviter une confrontation meurtrière entre les différentes forces », quia fait basculer l’affrontement en faveur du général Tchiani. Le soir du 26 juillet, un porte-parole annonçait à la télévision nationale, devant un parterre de militaires représentant les différents corps de sécurité du pays, l’instauration d’un Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, la fermeture des frontières, l’entrée en vigueur de l’état d’urgence. Pour les séditieux, le changement de régime était acté.

Pour l’ancienne puissance coloniale, la France, et pour les Etats de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao*), en revanche, l’issue du coup de force n’est pas encore définitivement scellée. Paris a demandé le rétablissement de Mohamed Bazoum à la tête du pays. Les voisins du Niger ont donné, le 30 juillet, une semaine aux putschistes pour assurer « le retour complet à l’ordre constitutionnel » sous peine de « prendre toutes les mesures nécessaires […] pouvant inclure l’usage de la force » pour y parvenir.

Ces réactions apparaissent plus fermes que celles qui avaient répondu aux coups d’Etat au Mali, au Burkina Faso et en Guinée-Conakry. Le phénomène peut s’expliquer, dans le chef de la France, par les activités dans le nord du pays de la société Orano (ex-Areva), productrice de l’uranium qui alimente une partie du parc nucléaire de l’Hexagone. Il résulte surtout du déploiement de 1 500 soldats sur une base aérienne de Niamey, dernier sanctuaire des militaires de l’opération Barkhane retirés du Mali après
l’accession au pouvoir de militaires peu francophiles à Bamako.

Militaires américains

S’ils étaient contraints au départ, cela en serait fini de la présence militaire française au Sahel. Les putschistes l’exigeront-ils ? La tenue d’une importante manifestation antifrançaise à Niamey, le 30 juillet, au cours de laquelle le bâtiment de l’ambassade a été attaqué, pourrait le laisser penser. Mais outre que la démonstration d’hostilité a été contenue dans une certaine limite, les nouveaux maîtres du Niger doivent composer avec une autre donnée cruciale, la présence d’un millier de soldats américains sur une base de drones à Agadez, au nord du pays.

Les Américains et les Français sont, en outre, pareillement préoccupés de voir un nouvel Etat de la région succomber à une mainmise russe, même si les faits, malgré l’apparition de quelques drapeaux dans les manifestations, n’en accréditent pas encore la menace

L’hypothèse d’une intervention militaire de la France, avancée à ce stade uniquement si ses ressortissants étaient menacés, est malgré tout de nature à faire réfléchir le général Tchiani sur la suite du processus qu’il a enclenché, sachant qu’une solidarité franco-américaine se ferait certainement jour en cas de scénario dramatique.

Le général Tchiani, chef
de la garde présidentielle
et nouvel homme fort
à Niamey.

Les Américains et les Français sont, en outre, pareillement préoccupés de voir un nouvel Etat de la région succomber à une mainmise russe, même si les faits, malgré l’apparition de quelques drapeaux dans les manifestations, n’en accréditent pas encore la menace. Quant à la réaction martiale de la Cedeao, elle est surtout symbolique. On ne voit pas quel dirigeant lancerait son armée dans une opération punitive contre les militaires nigériens alors que les dirigeants du Mali et du Burkina Faso ont affirmé qu’elle serait perçue comme une « déclaration de guerre ». L’enjeu, aujourd’hui, est de savoir si le nouveau Niger basculera complètement dans la mouvance « antioccidentale » prônée par ses deux voisins ou s’il adoptera une position plus mesurée. Pour cela, encore faudrait-il que les Occidentaux envoient des messages plus constructifs à ses forces vives.

(*) Bénin, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée-Bissau, Liberia, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo ;  Mali, Burkina Faso, Guinée-Conakry et Niger étant suspendus.

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