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Le Maroc devrait-il accueillir plus d’aide étrangère? « Ce n’est pas un Etat failli comme Haïti »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La pays entier se mobilise pour surmonter le drame. Devrait-il accueillir plus d’aide étrangère ? Le géographe David Goeury, présent au Maroc, est sceptique.

Sur un territoire accidenté grand comme la Belgique dans les provinces d’Al Haouz, de Taroudant et de Chichaoua, l’acheminement de l’aide aux victimes du tremblement de terre qui a frappé le Maroc le 8 septembre est un défi. En milieu de semaine, l’accès à sept mille villages et à environ un million de personnes était encore difficile. Le bilan de 2 900 morts et de 2 500 blessés était donc appelé à s’alourdir.

Sur ce territoire rural et montagneux, l’action des secours est différente de ce qu’elle peut être en ville. David Goeury était présent au Maroc au moment de la catastrophe en tant que membre du comité scientifique à la reconstruction de la forteresse d’Agadir Oufella, fondée en 1521 et en partie détruite lors du séisme d’Agadir en 1960 – il avait fait douze mille morts. Géographe et membre du laboratoire Médiations sciences des liens, sciences des lieux de l’université de la Sorbonne, il dispose des connaissances pour expliquer ce que vivent les Marocains. Passage en revue des questions qui se posent après le drame dans le Haut Atlas occidental.

1. Qu’implique la localisation du séisme?

«Le problème est la dispersion de l’habitat et des habitants. Nous sommes en septembre. Plusieurs événements se conjuguent. On est dans une zone de haute montagne où des habitants ont encore des pratiques pastorales importantes qui les amènent en altitude dans les bergeries. Les vallées sont très étendues. Les villages sont disséminés tout le long. Cela joue sur la progression des secours. Quand vous entrez dans la vallée, vous êtes confronté à l’urgence des premiers villages, souvent les plus peuplés, et puis, vous devez dégager la route pour avancer, ce qui demande des moyens techniques assez importants et requiert d’arriver à estimer l’ampleur des dégâts sur toute la vallée. Or, ces régions ont connu des changements démographiques importants ces dernières années. Certains villages ont été désertés, d’autres se sont développés. La population s’est concentrée plutôt dans les petites villes du piémont. Enfin, on était dans la première semaine de la rentrée scolaire. Les jeunes professeurs ont pris leur poste. Les familles sont revenues à proximité des écoles. Mais ce n’était pas encore la rentrée universitaire. Donc les étudiants étaient encore présents dans certaines localités. Toutes ces caractéristiques ont pu compliquer la localisation des victimes et l’affectation des moyens d’urgence.»

2. Comment circule l’information au Maroc?

«Vu l’ampleur de la zone géographique touchée, une bonne information est capitale pour intervenir efficacement. Le premier agent d’autorité est le moqqadem, présent dans tous les villages. Il a pour mission principale le suivi de la population. Il communique les informations au caïd qui, lui-même, les transmet au gouverneur. Le Maroc a une structure assez efficace pour la remontée des informations. Malheureusement, dans certains villages, le moqqadem figure parmi les victimes.»

3. Comment s’organisent les secours?

«Quand une personne affirme qu’elle n’a pas vu les secours arriver dans son village, ce n’est pas nécessairement qu’elle a été oubliée comme elle le prétend, c’est peut-être que les autorités ont décidé d’intervenir dans un lieu où se trouvent potentiellement davantage de victimes… Le territoire est immense. Les services de secours ont pu aussi estimer que dans certains villages, les habitants étaient à même de s’organiser entre eux et disposaient des ressources suffisantes si l’état des bâtiments ne nécessitait pas l’intervention de pelleteuses mécaniques ou d’autres engins lourds. A la faveur d’une étude antérieure, on a observé que les communautés qui savaient qu’elles ne bénéficieraient d’aucun soutien étaient les mieux organisées pour faire face aux conséquences d’un séisme. Si vous attendez une aide extérieure, vous perdez un temps précieux.»

Un habitat ancien et hétéroclite a sans doute aggravé le bilan du séisme.
Un habitat ancien et hétéroclite a sans doute aggravé le bilan du séisme. © getty images

4. Les secours sont-ils dimensionnés?

«Le dimensionnement des services de secours face à ce type de catastrophes est difficile à évaluer. Ce n’est pas la situation en tant que telle qui pose problème mais la dispersion des habitants concernés. On parle de quelque 18 000 familles affectées. A l’échelle du Maroc, cela représente l’équivalent d’un chef-lieu de province. Ce n’est pas énorme. Si le séisme avait touché directement Marrakech, on aurait été face à des chiffres sans doute multipliés par dix. La situation ne dépasse pas les capacités des autorités marocaines. Mais elle suppose une très forte coordination. On a tendance à beaucoup trop mettre en scène l’intervention internationale alors qu’elle n’est pas, statistiquement parlant, très performante. Ce n’est pas parce que vous avez une compétence technique que vous savez collaborer. L’aide internationale rencontre des problèmes spécifiques. La langue: dans la zone touchée au Maroc, très peu de gens parlent autre chose que l’arabe dialectal marocain ou le tachelhit. Les délais: sur les réseaux sociaux, les organisations internationales sont toujours prêtes à intervenir, mais dans les faits, c’est différent. Les règles de déploiement: dans ces vallées, il faut mettre en place, en aval, un terrain pour déployer un hôpital et centraliser le matériel, ce qui nécessite une connaissance du relief et des infrastructures routières. La volonté de collaborer et l’habitude de collaborer sont donc indispensables. Tout le monde ne peut pas s’en prévaloir. C’est pour cela que les Espagnols sont intervenus parmi les premiers. Les Marocains et les Espagnols ont déjà travaillé ensemble sur les questions d’incendies de forêts, de migrations…

5. Des normes antisismiques respectées?

«L’architecture est hétéroclite. On trouve de l’architecture historique en pisé mais mal entretenue depuis plusieurs décennies, des ajouts en béton à l’étage mais réalisés à moindre coût, sans respecter ni la taille des ferraillages ni les dosages parce qu’on est face à des communautés ne disposant pas de ressources financières importantes. Ces habitations sont donc fragiles. En outre, quand une maison construite il y a des décennies, avant la législation sur la sismicité, est agrandie, les nouveaux aménagements sont soumis à un bureau d’études qui imposera le respect des règles antisismiques. Mais si un propriétaire réalise lui-même des travaux dans le cadre d’une extension au bout d’une vallée, il ne sera pas soumis aux mêmes contrôles qu’un bâtiment public…»

6. Le Maroc est-il à la hauteur?

«Le Maroc n’est pas un Etat failli. Ce n’est pas Haïti. Au contraire, dans la mobilisation extrêmement rapide de la crise Covid, on a vu qu’une structure existait, qu’elle était très efficace, et qu’elle maillait très bien le territoire. Alors, certes, d’aucuns diront qu’ils n’ont pas assez de ceci ou de cela. Mais rajouter un tas d’intervenants ne risque-t-il pas de saturer la chaîne de commandement et de faire perdre beaucoup de temps et d’énergie qui pourrait être plus utilement déployée à d’autres tâches?»

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