Le langage codé de Trump pour parler aux suprématistes blancs
Les politiques utilisent un langage codé pour mobiliser leur base et Donald Trump le maîtrise parfaitement, estime le professeur Ian Haney Lopez.
En entendant les politiques américains parler de ‘states rights’, on pourrait penser qu’ils parlent de la souveraineté des Etats vis-à-vis de l’Etat fédéral. Cependant, pour un groupe croissant d’Américains, ce terme signifie autre chose. Celui qui parle de droit de l’Etat parle de la supériorité des Américains blancs. C’est du moins ce qu’affirme le professeur en droit de l’Université californienne de Berkeley Ian Haney Lopez.
Le terme « states right » est ce qu’on appelle le sifflet pour chien du racisme. « Tout comme un sifflet de chien émet un son aigu que seuls les chiens peuvent entendre, un sifflet pour chien politique est un message à deux niveaux : au premier niveau, on dirait qu’il ne s’agit pas de race, mais pour un public choisi, il déclenche une vive réaction raciale », dit-il.
Il y a quatre ans paraissait le livre ‘Dog Whistle Politics’ de Haney Lopez. Depuis les événements récents de Charlottesville, sa théorie sur la façon dont les politiques – aujourd’hui le président – parleraient en langage codé pour renforcer les tensions raciales, suscite à nouveau l’attention.
Quels sont les sifflets pour chien spécifiques que vous avez entendus ces dernières semaines?
Ian Haney Lopez : Il est important de se rendre compte que tout peut être utilisé comme sifflet pour chien. Généralement, ces propos sont très innocents et ils sont utilisés uniquement pour s’adresser à un groupe cible spécifique.
Le problème se crée quand on parle en code pour stimuler les idées socialement destructives. Ces idées sont le problème, non l’utilisation de sifflets pour chien. Et dans ce pays, nous avons une longue histoire d’utilisation de sifflets pour chien pour provoquer la rancoeur blanche et raciale et la mobiliser.
Il y a deux façons dont les politiques se servent de sifflets à chien. La première est ce que je qualifierai de « poignée de main secrète ». Quand Donald Trump parle de « chérir l’histoire », il utilise le langage codé axé sur les nationalistes blancs, des gens qui regrettent l’issue de la Guerre civile, qui la voient comme un incident tragique.
Pour qui la réunification du pays et l’abolition de l’esclavage étaient-elles tragiques? Pour les esclavagistes blancs. Quand Trump s’arrête à la Guerre civile, il s’adresse directement à eux. Les nationalistes blancs, dont David Duke (l’ancien chef de file du Ku Klux Klan, un rassemblement d’organisations secrètes connues pour leurs violences racistes, NLDR) s’imaginent alors que le président les comprend et les suit.
Pensez-vous qu’il utilise ce langage codé consciemment ?
Oui, je pense. Ne serait-ce que parce qu’il se laisse informer par des gens comme Stephen Miller et (jusqu’à il y a peu, NLDR) Steve Bannon. Ils ont étudié le nationalisme blanc en profondeur. Non le nationalisme blanc, insensé du Klan, mais la nouvelle forme, portée par les gens en col blanc.
Cependant, l’utilisation de ce langage codé pour le gain politique n’est pas le principal et nous ne devons pas nous fixer exclusivement sur elle. Une autre forme est ce que j’appelle le « mensonge autoprotecteur ».
En principe, beaucoup de gens, une majorité de supporters de Trump, sont contre le racisme. Ces gens n’approuvent pas les nationalistes blancs tels que David Duke et Steve Bannon.
Or, ils craignent les différences de race. Ils éprouvent de la rancoeur contre les Noirs américains, ne font pas confiance aux latinos et sont terrifiés par les musulmans. Ils craignent les gens d’une autre race, mais ne se trouvent pas racistes. Les politiques s’adressent à eux en un langage codé qui doit leur montrer qu’ils peuvent éprouver ces peurs sans être racistes. Ensuite, on utilise ce langage pour les manipuler.
Comme exemples, on peut citer les phrases « il y a des gens bien des deux côtés », « nous devons nous méfier du politiquement correct ». Le dogme qui dit qu’il faut protéger la liberté d’expression contre le politiquement correct tombe dans cette catégorie. Cette stratégie permet aux Blancs de dire qu’ils sont contre le nationalisme blanc, mais qu’ils soutiennent leur droit de manifester. C’est ainsi qu’on habille la peur raciste d’excuses de principe, c’est ainsi qu’on mobilise la haine.
Le slogan ‘Make America Great Again’ est un autre exemple. C’est un mensonge autoprotecteur. En surface, il ne s’agit pas de racisme, de misogynie, ou d’homophobie, mais de patriotisme. Mais en réalité, il sert à attiser les préjugés.
D’après moi, on voit la même chose en Europe. On y trouve un sentiment profondément intériorisé de supériorité blanche auprès de gens bien qui ne se considèrent pas comme racistes.
Pourtant, vous trouvez que c’est une forme de racisme. Comment faut-il la combattre ?
Dans le contexte politique actuel, il faut chaque fois se lever et faire comprendre clairement quand un incident raciste se produit. Il faut faire entendre sa voix et faire comprendre clairement qu’on répond à nos pires instincts. Les groupes d’action tels que ‘Love trumps hate’ appliquent cette stratégie.
À côté de cela, il faut se rendre compte que ce type de langage ne sert pas uniquement un objectif moral. C’est comme pour tout : follow the money. Les politiques rendent des comptes à des grandes entreprises et aux multinationales qui leur donnent beaucoup de capital. Et c’est pourquoi ils disent qu’il faut s’inquiéter de son voisin pauvre et faire confiance à un cabinet de milliardaires.
Finalement, en Amérique et en Europe occidentale, nous devons nous débarrasser de l’idée que la pensée libérale va triompher d’elle-même. Les institutions sociales doivent être poursuivies délibérément par les institutions sociales. En Europe, cela a relativement bien fonctionné pour l’égalité des sexes, mais le continent recule en matière d’égalité raciale.
Comment les individus peuvent-ils aider?
Les gens doivent réaliser qu’il y a une guerre de classes en cours et que la classe fortunée est en train de gagner. Ils nous ont convaincus que le voisin pauvre était l’ennemi. En Amérique, la mobilité sociale ascensionnelle est nettement plus limitée que dans beaucoup de pays en développement. Il faut nommer cette réalité. Nous devons faire en sorte que le capitalisme fonctionne pour les gens et pas seulement pour les entreprises.
Et en tant qu’individu finalement, il faut exercer et entretenir sa solidarité sociale. Il est à nous tous de faire en sorte d’entretenir des relations avec des gens de tout poil.
Si on reste dans son environnement sûr, on est plus réceptif à l’idée que l’autre représente une menace. Cette solidarité sociale doit constituer l’approche de tout individu. Travaillez avec « l’autre », mangez avec lui, partagez des espaces sociaux avec lui. Si nous élargissons notre propre monde, le monde entier sera plus stable et plus sûr.
Je ne pense pas que ce soit un hasard si la démagogie raciale mène au totalitarisme. Les gens ont tendance à sacrifier leurs principes démocratiques à un faux sentiment de sécurité. Heureusement, de plus en plus de gens semblent se rendre compte que nous avons laissé récupérer la société par les entreprises et les politiques.
Pensez-vous que le nationalisme blanc et le racisme progressent à nouveau?
Oui, certainement. En nombre, en visibilité et en démesure. Des nazis qui se baladent en ville munis d’armes offensives et un président qui ne les rejette pas immédiatement ? C’était impensable avant.
Le président est-il une conséquence de ce racisme ou un accélérateur ?
Plutôt un accélérateur. Il capitalise sur un projet dont la droite politique s’occupe depuis cinquante ans.
Il remonte à Richard Nixon, quand le Parti républicain a commencé à réagir aux peurs qui concernent la race. Cela a résulté en un parti dont 90% des adeptes sont blancs. 99% des membres sont blancs, dans un pays où seulement 62% de la population l’est.
Trump n’est pas un produit de racisme et il n’est pas non plus le seul à l’attiser. Il est le point d’orgue de cinquante ans de manipulation consciente des classes moyennes et populaires.
Et à cet égard, l’Amérique et l’Europe ne sont pas les mêmes. Je pense qu’en Europe ce processus est en cours depuis quinze ans, alors qu’il l’est depuis cinquante ans aux États-Unis. À présent, l’Europe progressiste peut observer l’ère Trump et tenter de trouver une solution à sa situation.
L’Europe peut voir le Brexit et Marine Le Pen et tous ces scénarios comme un signal d’alarme. Le plus grand défi, c’est d’ouvrir le débat sur la façon dont la race et le racisme influencent l’Europe. Mais aujourd’hui, il semble qu’on nie tout simplement les faits. Mais c’est problématique, car je vous garantis que le flanc politique de droite, lui, en parle.
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