Le « Groupe Wagner », un « Blackwater » au service de Poutine
Quel rôle jouent en Syrie les paramilitaires du groupe Wagner ? La mort de plusieurs d’entre eux en février a mis en lumière le rôle de ces soldats de l’ombre, parfois utilisés par Moscou mais qui s’affranchissent aussi, au besoin, de l’armée russe.
Symbole d’un conflit très complexe impliquant puissances mondiales et tribus locales alliées ou opposées selon leurs intérêts, cette formation mystérieuse complète sur le terrain la tâche des militaires russes stationnés en Syrie dans le cadre de la campagne de frappes aériennes lancées en 2015 par Vladimir Poutine pour soutenir le régime de Bachar al-Assad.
Elle est au centre de l’attention depuis que, le 7 février, Washington annonçait avoir tué au moins 100 combattants pro-régime dans la région de Deir Eezzor, en riposte à l’attaque du QG de combattants kurdes et arabes syriens soutenus par les Etats-Unis.
Après quelques jours de silence, Moscou a reconnu la mort de cinq de ses concitoyens dans ces attaques et « des dizaines » de blessés, précisant que tous étaient « allés en Syrie de leur propre initiative ».
Parmi les bilans très variés qui ont circulé dans les médias, certains dépassent les 200 morts. Le groupe d’enquête Conflict Intelligence Team (CIT) en a identifié une dizaine. Tous étaient en Syrie pour le compte du « groupe Wagner ».
Si cette organisation n’a aucune existence légale, les sociétés militaires privées étant interdites en Russie, elle a été « une composante essentielle des opérations russes à Lattaquié et dans l’est de la Syrie », explique à l’AFP Kirill Mikhaïlov, du CIT.
Wagner a aussi été actif dans la reprise de la cité antique de Palmyre, conquise à l’organisation Etat islamique (EI) en mars 2016.
Selon Pavel Baev, un chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri), « cette armée russe de l’ombre (…) présente le double bénéfice de permettre de nier » l’ampleur de la présence russe en Syrie « et de minimiser » les pertes. Mais, précise-t-il, « le problème avec des actifs comme Wagner est qu’ils ne sont jamais totalement contrôlables ».
Photo avec Poutine
Wagner a été créé par un ancien officier du GRU (renseignements militaires russes), Dmitri Outkine, qui avait fait partie d’un premier convoi de mercenaires russes envoyés en Syrie à l’automne 2013. Mal préparés, leur aventure s’était terminée en fiasco.
Dmitri Outkine participe ensuite à partir de juin 2014 aux combats dans l’est de l’Ukraine avec les séparatistes pro-russes, selon des médias et les services ukrainiens. Ce conflit constitue l’acte de naissance du « groupe Wagner ».
Dans cette région, la Russie a toujours réfuté toute présence militaire, malgré les affirmations de Kiev et des Occidentaux ainsi que des témoignages Vladimir Poutine ayant seulement admis que des soldats de l’armée russe pouvaient s’y rendre sur leur temps libre.
En Syrie, la présence de Dmitri Outkine remonte à l’automne 2015, quand la Russie lance son intervention en soutien au régime de Bachar al-Assad.
En décembre 2016, cet homme chauve né en 1970 était même reçu au Kremlin, apparaissant à la télévision lors d’une cérémonie en hommage aux « Héros » de Syrie. Le même jour, il est pris en photo avec Vladimir Poutine.
Le financier de l’organisation se nommerait Evguéni Prigojine. Proche du président russe, cet homme d’affaires de Saint-Pétersbourg a fait fortune dans la restauration avant de conclure de nombreux contrats avec l’armée ou l’administration russe.
Il se trouve aujourd’hui inculpé par la justice américaine qui le soupçonne d’être derrière une « usine à trolls » à l’origine de de messages viraux sur internet pour favoriser Donald Trump en 2016.
Contrôle du pétrole
Le nombre d’hommes de Wagner en Syrie a varié mais le journal en ligne Republic, citant des sources sécuritaires russes, évoquait la présence de 2.500 mercenaires en Syrie en mars 2016, dont 1.600 combattants, et un budget de 350 millions de dollars depuis le début de l’opération.
« Dans l’essentiel, c’est des ratés. Environ 40% ont été détenus pour des crimes graves », estime un vétéran de la société cité par l’hebdomadaire Soverchenno Sekretno (Top Secret).
En raison des tensions avec l’armée russe sur le terrain et de luttes d’influence à Moscou, Wagner aurait perdu en 2016 la confiance du ministère de la Défense, qui le finançait allègrement jusqu’à présent et fournissait armes et matériel.
Grâce à l’armée russe, les capacités militaires de Wagner excédaient, selon Kirill Mikhaïlov, « celles de n’importe quelle société privée militaire occidentale ». Y compris celles de Blackwater, cette société américaine ayant opéré pour le gouvernement américain en Irak, où elle était souvent accusée d’agir en toute impunité.
Ces difficultés ont « conduit Evguéni Prigojine à chercher d’autres contrats, notamment celui avec Damas selon lequel Wagner libèrerait les champs et infrastructures pétrolières en échange de 25% de la production », reprend Kirill Mikhaïlov.
Pour cela, l’homme d’affaires a créé une société nommée Evro Polis, qui a signé cet accord avec le gouvernement syrien en décembre 2016. Depuis, rapportent les médias russes, c’est cette société qui verse leurs salaires (entre 200 et 300.000 roubles par mois) aux paramilitaires.
« Le nombre de mercenaires et la durée des opérations demandent un financement bien supérieur à ce qu’un oligarque de taille moyenne peut réunir », estime Pavel Baev. « Il est très probable que les entreprises de Prigojine représentent une plaque tournante par laquelle transitent les financements provenant d’autres sources ».
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