Le grand puzzle de Colette Braeckman
Connue pour ses innombrables reportages en Afrique centrale, la journaliste livre un ouvrage très personnel sur sa longue carrière.
Ses deux passions sont d’écrire et de voyager, c’est donc tout naturellement que Colette Braeckman est devenue journaliste. A 77 ans, elle continue d’exercer ce métier avec passion. Dans ses Carnets noirs (1), son dixième ouvrage, la journaliste du Soir depuis 1971 reconstitue le puzzle de sa vie de grand reporter, et comment elle en est arrivée là: un oncle missionnaire, la visite de l’Expo 58, la fascination de l’adolescente pour Lumumba et Castro, la rencontre d’un journaliste sportif. L’autrice n’est pas avare de confidences.
J’ai écrit pour élargir ma vie, gagner un peu de temps sur l’oubli qui recouvre tout.
Si elle déclare avoir passé les plus beaux jours de sa vie au Portugal, qui se libérait alors de la dictature de Salazar, c’est surtout en Afrique centrale qu’elle vivra les événements marquants de sa carrière. Mobutu, Kabila père et fils, Tshisekedi l’ont redoutée autant que sollicitée. On tremble avec elle quand elle crapahute dans ce Rwanda qui vivra l’épouvante du génocide, ou quand elle se retrouve, seule journaliste, sous le feu croisé des Ougandais et des Rwandais déterminés à contrôler le négoce du diamant à Kisangani. Son énergie et son endurance, elle dit les avoir acquises durant les longues marches dans les colonies de vacances.
A l’inverse des baroudeurs de la profession qui adorent raconter leurs hauts faits dans les bars des grands hôtels, et, pointe-t-elle, à «“lisser”, voire harmoniser leurs opinions», Colette Braeckman préfère fuir les groupes de confrères pour rencontrer les autochtones et glaner mille histoires. Chez elle, aucune forfanterie ni arrogance. Lors d’une conférence de presse, Mobutu l’avait décrite ainsi: «Elle m’enquiquine, mais au moins, elle ne m’a pas injurié.» Son refus du suivisme s’est illustré à l’époque des faux charniers de Timisoara, lors de la révolution de 1989 en Roumanie, où elle a maintenu n’avoir rien vu, alors que la plupart des télévisions ont embrayé sur cette fake news devenue un cas d’école.
Son livre sur le docteur Mukwege contribuera à la notoriété de ce gynécologue du Kivu qui soigne les femmes violées, et qui recevra le prix Nobel de la paix en 2018. Dans ses Carnets noirs, l’aventurière uccloise mêle la petite et la grande histoire, avec humour et humilité, et force anecdotes, où ses lunettes jouent un amusant rôle central. «J’ai écrit pour élargir ma vie, gagner un peu de temps sur l’oubli qui recouvre tout, conclut-elle.» Un ouvrage éclairant pour appréhender l’histoire récente de l’Afrique centrale mais aussi pour comprendre comment on pratiquait le journalisme avant Internet et les réseaux sociaux.
(1) Mes Carnets Noirs, par Colette Braeckman, éd. Weyrich, 448 p.
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