Laurent Minguet
Le développement durable peut-il sauver Gaza?
Apporter à la bande de Gaza des emplois, une agriculture prospère, de l’eau potable pour tous et de l’électricité en suffisance n’est pas utopique. Les technologies sont mûres. Le développement durable est réaliste, payable, et il contribuerait à pacifier la région.
Il ne se passe pas un mois sans que les médias relaient des informations moroses sur l’enfer de la bande de Gaza : bombardements, manifestations violentes, mais aussi problèmes d’approvisionnement en eau, nourriture, électricité…
Ce petit territoire de 360 km², 80 fois plus petit que la Belgique (30.500 km²), compte pourtant 2 millions d’habitants (contre un peu plus de 11 millions en Belgique, pays déjà très peuplé). La bande de Gaza est bordée par la Méditerranée sur 40 km, par Israël et par l’Égypte. Elle se situe à 31° de latitude nord, comme Marrakech, avec un climat sahélien et des précipitations limitées à 310 mm par an, trois fois moins qu’en Belgique.
Qualité de l’eau menacée, manque chronique d’énergie…
L’aquifère de Gaza est de plus en plus pollué par les rejets domestiques qui, majoritairement, ne sont pas traités mais également par les rejets agricoles (nitrates, pesticides, etc.). De plus, la surexploitation de cette nappe d’eau douce côtière augmente sensiblement sa salinité ce qui pourrait conduire à la rendre impropre à la consommation.
La fourniture d’électricité à Gaza est déficiente. Alors que la demande s’élève parfois à 600 MW, l’unique centrale (au fuel) de Gaza fournit seulement 60 MW. En complément, 120 MW proviennent d’Israël et 30 MW d’Égypte. Il y a donc souvent des coupures et des périodes de crise avec de longues heures de blackout.
Autour de Gaza, le désert est exploitable
À quelques dizaines de kilomètres de Gaza s’étendent de grandes zones quasi désertiques de plusieurs milliers de kilomètres carrés. Une partie de ces déserts pourraient être transformée en zones fertiles s’il y avait suffisamment d’eau et d’amendements (nitrate, phosphate, potassium, carbone).
Mais comment arroser des milliers d’hectares de désert de manière durable, sans puiser dans des nappes aquifères fragiles, en voie de salinisation ? Une solution moderne consiste à déssaliniser l’eau de la mer par des usines à osmose inverse. Cette technique requiert environ 2 kWh d’électricité pour produire 1 m3 d’eau douce et il faut arroser au moins 20 m3 d’eau par jour et par hectare. Il suffit donc de produire 40 kWh d’électricité par jour pour irriguer un hectare, ce que fournit quotidiennement une installation photovoltaïque de 10 kW comme celles installées sur le toit de nombreuses maisons.
Pour irriguer 100 hectares, il faudrait donc une installation d’un mégawatt (1000 kW) laquelle occupe environ 1,5 hectare au sol en comptant les allées nécessaires à l’entretien des panneaux. Il faut aussi un peu de place pour l’installation de filtration d’eau de mer mais celle-ci a une taille d’un ordre de grandeur encore inférieur à la centrale photovoltaïque qui l’alimente. Retenons en résumé que dans les pays ensoleillés, 2 % de surface au sol suffisent à irriguer 98 % de terres désertiques à partir de l’eau de mer.
Électrifier Gaza
Mais avant d’irriguer les déserts, il conviendrait de régler le problème de fourniture d’électricité aux habitants de Gaza qui connaissent parfois des périodes de 3 ou 4 heures d’approvisionnement chiche par jour. Comme l’ensoleillement est régulier, on pourrait produire indéfiniment de l’électricité solaire avec stockage sur batterie. Une utopie ? impayable ? Voyons cela de plus près…
Supposons que les 2 millions de Gazaouis et leurs entreprises consomment 5 GWh par jour soit une consommation annuelle par personne équivalente à celle du Maroc. Avec des fermes photovoltaïques aux panneaux orientés vers l’est et l’ouest, on peut fournir jusqu’à 33 % d’électricité consommée directement. Le reste doit être stocké dans des batteries Lithium-ion permettant de fournir la demande en début de soirée et toute la nuit jusqu’au lendemain. La centrale au fuel peut venir en appoint d’un ensoleillement trop faible. Pour cette production, il faudrait installer 1,5 GW de fermes photovoltaïques occupant au sol environ 1800 ha, soit à 5 % du territoire de la bande de Gaza.
Aujourd’hui, les batteries nécessaires à stocker quotidiennement 4 GWh coûtent 1 milliard d’euros auxquels il faut ajouter 1,5 GWc d’installations photovoltaïques qui coûtent 900 millions €. Fournir Gaza en énergie renouvelable coûterait donc moins de 2 milliards € c’est à dire une dépense moyenne annuelle de 200 millions d’euros par an pendant 10 ans, compte tenu du vieillissement des équipements. Cela donne un prix moyen de 8 eurocent par kWh à comparer aux 12 eurocent du prix de revient du kWh électrique produit dans une centrale au fuel. En Belgique, le consommateur paie son électricité entre 15 et 30 eurocent le kWh. Bref, aujourd’hui, avec un ensoleillement régulier, s’approvisionner en électricité solaire est moins cher qu’avec des centrales au pétrole.
Irriguer Gaza
De l’électricité 24h/7j est une condition nécessaire au développement de même que de disposer d’eau potable. Considérons que les 2 millions d’habitants consomment en moyenne 100 litres par jour : il faut produire quotidiennement 200.000 m3 d’eau potable. Une usine de traitement d’une telle capacité coûte 40 millions €. Il faut en plus 60 millions € pour l’installation photovoltaïque nécessaire à lui fournir de l’énergie, soit au total un investissement de 100 millions d’euros, 20 fois moins que pour assurer la production d’électricité à tout le pays.
L’eau douce produite à partir d’eau de mer coûte environ 0,5 €/m3 soit dix fois moins que le prix payé pour l’eau du robinet en Belgique. Si en outre, nous avons l’ambition d’irriguer 20.000 hectares de désert, il faut compter sur 400.000 m3 d’eau. Mais en pratique, la moitié suffirait si on recyclait les eaux usées des habitants pour irriguer ces hectares à l’instar de ce que pratiquent déjà leurs voisins israéliens. L’intérêt est aussi de récupérer au passage les précieux amendements NPK (azote, phosphore, potassium) des eaux usées après traitement. En effet, chaque humain produit environ 2 kg d’azote par an. La population de Gaza produit donc 4.000 tonnes d’azote, de quoi amender 20.000 hectares. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se recycle.
Cultiver à Gaza
Avec 20.000 ha de cultures, on peut cultiver de nombreuses spéculations de fruits, légumes, céréales, etc. La quantité de main-d’oeuvre est plus importante pour les cultures maraîchères à plus forte valeur ajoutée que les céréales. Par exemple, on peut produire 17 tonnes d’oranges par hectare pour une valeur de 12.000 € par an, comme dans la plaine du Souss, le grenier du Maroc. En se basant sur cet ordre de grandeur, le revenu annuel serait de 240 millions d’euros. En comptant 4 travailleurs par hectare, on créerait quelque 80.000 emplois directs et probablement autant d’emplois indirects soit environ 160.000 emplois nouveaux.
Investir dans un arrosage goutte-à-goutte qui permet d’économiser l’eau et les engrais coûte environ 1.500 € par hectare soit 30 millions d’euros. Il faut aussi des machines agricoles pour quelques dizaines de millions d’euros. Et encore quelques dizaines de millions d’euros pour transporter l’eau de l’usine à osmose inverse jusqu’aux cultures mais tous ces investissements sont d’un ordre de grandeur inférieur à ceux nécessaire à la production de la fée électricité.
3 milliards d’euros
Pour résumer, les investissements en développement durable, énergie renouvelable, eau osmosée, traitement des eaux et recyclage, sont intensifs en capital puis perdurent des décennies avec des coûts d’exploitation et de renouvellement plutôt faibles. La part du lion, c’est la production d’électricité : 2 milliards d’euros. Avec l’ensemble des autres mesures, l’investissement initial devrait être de l’ordre de 3 milliards d’euros à comparer aux 25 milliards de dollars (21,5 milliards d’euros) octroyés à l’Autorité palestinienne par la communauté internationale ces dernières décennies. Bien entendu, ces aides ont couvert également le développement immobilier, médical, l’éducation, etc. Mais cela montre qu’en proportion, un investissement de l’ordre de grandeur de 2 milliards d’euros dans le développement durable n’est pas disproportionné ou utopique. Et que le développement durable rend possible une qualité de vie très nettement meilleure à un coût moindre.
À Gaza ou ailleurs.
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