Le club d’amis bruxellois très secret de Viktor Orbán
Un réseau de médias émanant de la droite radicale et conservatrice se développe à Bruxelles. Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán s’en réjouit et n’hésite pas à mettre la main au portefeuille.
Mercredi 21 juin dernier, rue du Trône à Ixelles, à deux pas des institutions européennes, lobbyistes, journalistes autoproclamés et eurodéputés du parti de droite radicale Démocrates de Suède sont rassemblés pour une réunion du Brussels Liberty Network.
Ce soir-là, il y a à boire, des petits fours et quelque chose dans l’air, raconte un participant. «La droite et l’extrême droite gagnant en popularité en Europe, les invités attendent avec impatience les élections européennes.
Viktor Orbán : des forces libertaires
Le cordon sanitaire qui existe de facto au Parlement proeuropéen appartiendra enfin au passé. En outre, la Hongrie et la Pologne reprendront la présidence européenne fin 2024 et début 2025, c’est encourageant.» Pour les personnes présentes, que les gouvernements polonais et hongrois foulent l’Etat de droit dans leur pays ou détournent systématiquement les fonds européens n’est qu’accessoire.
Après la Hongrie, Orbán cible Bruxelles. Il tente d’utiliser ces médias pour y étendre son influence.
Mais il ne s’agit pas que d’une soirée entre personnes du même bord. L’année dernière a vu naître dans la capitale un réseau de conservateurs nationaux de droite et de forces libertaires, dont certains viennent de rejoindre la sphère médiatique bruxelloise. Et c’est le gouvernement hongrois du Premier ministre Viktor Orbán qui finance.
Pieter Cleppe, l’homme qui connaît tout le monde
C’est le Belge Pieter Cleppe qui organise l’événement. Neveu de l’ancien Premier ministre Guy Verhofstadt, Pieter Cleppe n’est pas journaliste professionnel, mais il est rédacteur en chef du site d’information européen Brussels Report – qui, peut-on y lire, vise à «offrir une alternative au consensus dominant de l’UE» – depuis 2021, année où l’eurodéputé allemand d’extrême droite (AfD) Gunnar Beck lui a versé pas moins de quinze mille euros d’argent public pour réaliser une étude sur un panel de citoyens européens, dans laquelle il fait l’éloge de son commanditaire.
Le réseau de Pieter Cleppe est considérable: classé dans le Top 20 des influenceurs européens sur Twitter, il a été le chef d’Open Europe Brussels, la branche belge d’un think tank britannique eurosceptique. Il est également affilié au think tank américain Property Rights Alliance de Lorenzo Montanari, qui écrit régulièrement pour Brussels Report.
Carl Deconinck, le boxeur de Schild & Vrienden
L’ancien parlementaire N-VA Carl Deconinck participe également à la soirée ixelloise. Organisateur de cours de boxe pour le mouvement nationaliste flamand Schild & Vrienden, il a été rédacteur en chef du média conservateur Pal NWS. Sa présence est tout sauf une coïncidence: il connaît Pieter Cleppe depuis 2011, lorsqu’il était stagiaire à Open Europe Brussels.
Les deux hommes écrivent régulièrement pour le site nationaliste flamand Doorbraak. Carl Deconinck a aussi interviewé Pieter Cleppe pour ‘t Pallieterke, la version imprimée de Pal NWS, sur des sujets tels que «les élites européennes et leurs dogmes gauchistes».
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La campagne pro-Brexit
Carl Deconinck a récemment fait son entrée dans la sphère médiatique bruxelloise, par le biais du tout nouveau site d’information Brussels Signal. Il y publie jusqu’à sept articles par jour sur la politique européenne. Il n’est pas rare que Tom Vandendriessche, député européen Vlaams Belang et partisan de Viktor Orbán, soit interviewé.
Carl Deconinck connaît l’assistant de Tom Vandendriessche pour l’avoir côtoyé au sein du cercle étudiant KVHV (NDLR: Katholiek Vlaams Hoogstudentenverbond, union des étudiants catholiques flamands), du Pal NWS et de Schild & Vrienden.
Comme Brussels Report, Brussels Signal vise à «bouleverser en profondeur le paysage médiatique européen», selon son rédacteur en chef Michael Mosbacher. Ce dernier n’en est pas à son coup d’essai dans le monde des médias: voici quelques années, à l’aide d’un riche soutien financier de la campagne du Brexit, il avait fondé le média conservateur The Critic, auquel Pieter Cleppe collabore régulièrement.
Patrick Egan, le lien avec la Hongrie
Avec un studio de télévision et un capital de 275 000 euros, Brussels Signal ne cache pas ses ambitions. Mais pour le moment, le média, avec quatre cents followers sur X, peine à décoller. Son modèle économique n’est pas clair: ni pub ni abonnement. Alors, où trouver de l’argent?
Via une société intermédiaire, Brussels Signal, appartient à l’entreprise hongroise Remedia Corp Kft de l’entrepreneur américain Patrick Egan. A travers sa société, FWD Affairs, Patrick Egan a déjà travaillé pour Viktor Orbán et son parti Fidesz au Parlement européen. Patrick Egan, qui vit à Budapest et qui, selon les médias hongrois, a épousé une femme politique du Fidesz, aurait reçu 120 000 euros de l’argent des contribuables européens en trois ans.
Propos anti-immigration
Patrick Egan et Pieter Cleppe se connaissent: le premier a demandé conseil au second avant la création de Brussels Signal et, sur la recommandation de Pieter Cleppe, a engagé Carl Deconinck. En 2018, il a fondé Remix News, qui réalise des reportages sur les pays du «groupe de Visegrád» (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), souvent sous un angle nationaliste-conservateur et teintés de propos anti-immigration. Remix News est financé par la fondation hongroise Batthyány Lajos, qui reçoit des millions d’euros du gouvernement Orbán pour soutenir, entre autres, les médias conservateurs en Hongrie et en Europe.
Quid de Brussels Signal? Le rédacteur en chef Michael Mosbacher n’a pas souhaité répondre à nos questions sur le mode de financement du média dont l’idéologie est étroitement alignée sur celle du gouvernement Orbán: les élites européennes surpayées dont les politiques dogmatiques vertes, favorables à l’immigration et antichrétiennes, précipitent les Etats-nations européens vers le précipice.
Carl Deconinck n’est pas le seul de Brussels Signal à exprimer ce genre d’idées. Son collègue Peter Caddle travaille aussi pour la branche britannique de Breitbart, site d’information américain d’extrême droite qui ne dédaigne pas les théories complotistes.
Lorenzo Montanari, de Washington à Budapest
Pieter Cleppe n’a pas le seul instigateur de l’événement qui se tient ce fameux 21 juin à Ixelles. La soirée est coorganisée par Lorenzo Montanari, directeur du think tank Property Rights Alliance et également actif dans les médias européens. Outre ses activités sporadiques pour Brussels Report, il est membre du conseil d’administration de The European Conservative, un semestriel nationaliste hongrois qui a ouvert un bureau à Bruxelles en janvier et dont le siège se trouve à Budapest, à quelques kilomètres de la maison mère de Brussels Signal.
Mais la capitale hongroise n’est pas le seul lien entre Brussels Signal et The European Conservative. En effet, le semestriel est financé par la Fondation Batthyány Lajos, le relais médiatique du gouvernement Orbán, qui sponsorise également Remix News, dont le propriétaire est Patrick Egan, détenteur de Brussels Signal. La Française Anne-Elisabeth Moutet, chroniqueuse au Brussels Signal, est membre du conseil consultatif de The European Conservative. Le journaliste irlandais Tadhg Pidgeon, est, lui, passé de The European Conservative à Brussels Signal au printemps dernier.
« L’agenda caché » de l’UE
The European Conservative suit également la ligne politique du gouvernement hongrois. Le rédacteur en chef Alvino-Mario Fantini a récemment écrit un article panégyrique sur Viktor Orbán qui, selon lui, «contrairement à d’autres dirigeants européens, a une vision à long terme» et «n’est pas orgueilleux». Pieter Cleppe, qui connaît Alvino-Mario Fantini depuis plus de dix ans, collabore lui aussi régulièrement au European Conservative. Il a récemment participé à une réunion-débat du European Conservative à Bruxelles sur, entre autres, «l’agenda caché de l’Union européenne».
Viktor Orbán, le généreux donateur
Avec des médias comme Brussels Signal et The European Conservative, le gouvernement hongrois ne semble pas à son coup d’essai pour diffuser ses idées conservatrices et parfois antilibérales en Europe. En 2019, l’ambassadeur de Hongrie à Londres y a enregistré officiellement l’agence de presse Viségrad 4 News Agency (V4NA), une activité qui n’est généralement pas du ressort d’un diplomate de haut rang.
Les médias ne sont pas les seuls concernés: en novembre 2022, une filiale du Mathias Corvinus Collegium (MCC) a ouvert ses portes à Bruxelles. Ce think tank progouvernement est basé à Budapest, à la même adresse que The European Conservative, et est également dirigé par l’influent directeur politique de Viktor Orbán.
«Après la Hongrie, Orbán cible Bruxelles, déclare le journaliste d’investigation hongrois indépendant Márton Sarkadi Nagy. Dans sa quête d’un nouveau groupe politique européen et en vue des élections parlementaires européennes, il tente d’utiliser ces médias et ces organisations pour étendre son réseau, ses idées et son influence à Bruxelles.»
Et l’Etat de droit ?
Brussels Signal ne passe pas non plus inaperçu dans la bulle bruxelloise. «Les médias d’information « normaux » ont des abonnés payants, des publicités et un public qui achète des magazines et des journaux», explique Dafydd ab Iago, président de l’Association de la presse internationale (API) à Bruxelles. Un financement peu clair et un flux constant de reportages à coloration politique laissent planer le doute quant à une ingérence étrangère.
C’est de cette manière qu’un lien s’établit à Bruxelles entre une tendance économiquement libertaire et des forces nationales-conservatrices. Selon Lorenzo Montanari, c’est également l’objectif recherché: pour mener une politique de libre-échange, il croit en la coopération entre libertariens et conservateurs nationaux, même si, dans certains pays, ces derniers ne se soucient pas beaucoup du respect de l’Etat de droit. Pieter Cleppe déclarait à nos confrères de Knack que, pour lui, il est inenvisageable de collaborer avec des personnes qui ne respecteraient pas l’Etat de droit et que le Brussels Liberty Network souhaite uniquement rassembler un large mouvement de forces classiques-libérales, conservatrices et de centre-droit, mais qu’il n’est pas exclu qu’il écrive bientôt pour Brussels Signal.
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