Le Chili n’en a pas fini avec la dictature de Pinochet: il y a 50 ans, le coup d’Etat contre Allende
Cinquante ans après le coup d’Etat contre Salvador Allende, la menace des héritiers du dictateur reste vive. Alors que les victimes de la répression attendent toujours reconnaissance et réparation.
Un président de gauche, Gabriel Boric, porté au pouvoir par 55,64% des électeurs du scrutin présidentiel de 2021, succédant à une personnalité de droite Sebastián Piñera ; un travail de mémoire, sur le sort des disparus de la dictature d’Augusto Pinochet de 1973 à 1990, approfondi par le nouveau gouvernement dans le prolongement de celui déjà réalisé par ses prédécesseurs…: le Chili pourrait paraître commémorer le coup d’Etat qui renversa le président Salvador Allende il y a cinquante ans dans une certaine concorde. Pourtant, les menaces sur la démocratie qui ont permis l’avènement, en 1973, d’un régime parmi les plus répressifs et brutaux de l’histoire de l’Amérique latine sont loin d’être écartées.
Encore plus de mille disparus
La planète est encore structurée autour de la confrontation binaire entre le monde capitaliste et le bloc communiste quand des cercles au sein du patronat chilien, une grande partie de la hiérarchie militaire et le gouvernement américain, sous la présidence de Richard Nixon, décident de saper, avec l’objectif de le faire irrémédiablement tomber, le pouvoir du président élu en 1970, Salvador Allende. Un millier de jours plus tard, Santiago du Chili est le théâtre d’un événement qui marquera l’histoire, l’assaut du palais présidentiel de la Moneda où s’est retranché le président. Devant l’issue inéluctable, Allende se donne la mort. A l’expérience démocratique à dimension socialiste succède une dictature revancharde réprimant tout ce qui se revendique de près ou de loin de la gauche.
Le régime du général Augusto Pinochet, le chef d’état-major de l’armée qui avait assuré le président de sa loyauté pour mieux le trahir, sera responsable, jusqu’à son terme en 1990, de la mort d’au moins 3 227 personnes. Selon les travaux de la Commission Valech, du nom de l’évêque Sergio Valech qui la dirigeait, 41 181 personnes ont été directement victimes de la dictature ; 38 254 d’entre elles ont subi des tortures ou de l’emprisonnement. Plusieurs dizaines de milliers de Chiliens ont été forcés à l’exil. Et 1 100 personnes restent portées disparues.
Recherches payées par l’Etat
Ce dernier chiffre situe l’ampleur de l’œuvre de mémoire et de réparation qu’il reste à réaliser au Chili. Aujourd’hui, treize juges travaillent encore sur les cas de violations des droits humains pendant la dictature. Le 28 août dernier, la Cour suprême du Chili a confirmé les peines, prononcées en première instance et confirmées en appel, contre sept anciens militaires pour le rapt, la torture et le meurtre du chanteur Victor Jara, tué le 15 septembre 1973: de 8 à 25 ans de prison. L’un d’entre eux, l’ancien brigadier Hernán Chacón Soto, 86 ans, condamné à la peine la plus élevée, s’est suicidé le lendemain de l’annonce du verdict. Le commanditaire de ce crime et des autres, Augusto Pinochet, lui, a réussi à échapper à la justice jusqu’à sa mort, à 91 ans, le 10 décembre 2006.
Dans son discours de victoire de l’élection présidentielle du 19 décembre 2021, Gabriel Boric avait promis aux familles des morts, des disparus et aux victimes encore vivantes de la dictature de porter leur combat. «Aux victimes des violations des droits humains de tous temps, nous ne nous fatiguerons pas de chercher la vérité, la justice, la réparation et la garantie qu’elles ne se répètent pas», avait-il lancé. Le 11 septembre 2022, il avait annoncé la création d’un programme de recherche des corps des personnes disparues. Ce 30 août, il a présenté un Plan national pour la recherche de la vérité et de la justice. Pour la première fois, les investigations menées afin de découvrir le sort qui a été réservé aux disparus du régime Pinochet seront financées par l’Etat. Dans le gouvernement Boric, le poste clé de ministre de l’Intérieur est entre les mains de Carolina Tohá, fille de José Tohá, qui fut ministre de la Défense de Salvador Allende et qui est mort en détention, le 15 mars 1974, par étranglement, selon sa famille.
Héritage de Pinochet: l’extrême droite à l’affût
Ces avancées dans la lutte contre l’impunité opérées sous l’impulsion du président Gabriel Boric ne doivent cependant pas masquer le soutien dont continuent de bénéficier au sein d’une partie de la population les héritiers d’Augusto Pinochet. Lors de l’élection présidentielle de 2021, c’est l’un d’entre eux, candidat de l’extrême droite, José Antonio Kast, qui est arrivé en deuxième position avec 44, 13% des voix au second tour.
Plus récemment, le 7 mai 2023, c’est le Front social-chrétien, le parti de José Antonio Kast qui a remporté le plus de sièges à l’élection des conseillers chargés de rédiger une nouvelle Constitution. Un enjeu crucial pour l’avenir du Chili. La loi fondamentale en vigueur actuellement est encore en partie celle adoptée lors d’un référendum sous surveillance organisé en 1980 sous Augusto Pinochet. Les grandes manifestations populaires de 2019 avaient notamment pour revendication la tenue d’une nouvelle consultation pour autoriser sa modification. Si le feu vert à cette demande a effectivement été donné, le nouveau projet de Constitution, qui tournait en quelque sorte la page de l’ère Pinochet, lui, a été rejeté, par voie référendaire également le 4 septembre 2022. Et ce sont les conseillers élus en mai, en majorité d’extrême droite, qui sont désormais chargés d’en proposer une nouvelle version dont on devine l’orientation.
Comme l’analyse le militant d’extrême gauche français Olivier Besancenot, auteur d’un livre sur le coup d’Etat de 1973 (lire en page 48), «l’extrême droite reprend la main lors des élections» et le spectre de la dictature Pinochet hante toujours le Chili, cinquante ans plus tard.
41 181
personnes ont été directement victimes de la dictature d’Augusto Pinochet entre 1973 et 1990, mortes, disparues, torturées, violées…
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