cessez-le-feu Gaza

Le cessez-le-feu à Gaza n’en est pas vraiment un: «Chaque jour qui passe pourrait voir les choses déraper»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Annoncé en grande pompe par Joe Biden, le cessez-le-feu à Gaza manque de garanties, estime le chercheur Didier Leroy (IRSD). D’autant plus que les conséquences des tensions régionales avec l’Iran, priorité des Etats-Unis et d’Israël, pourraient retomber sur les Gazaouis. «Je suis prudent, c’est-à-dire pessimiste», dit le spécialiste du Moyen-Orient.

Didier Leroy, comment s’est conclu cet accord de cessez-le feu à Gaza et quels en sont les principaux instigateurs?

Cinq architectes ont participé à la construction de cet accord de cessez-le-feu à Gaza: l’administration Biden, d’abord, qui a rendu publique la première mouture du deal en mai 2024. La partie israélienne et le Hamas, en face, en tant que principaux intéressés. Et deux médiateurs, le Qatar et l’Egypte, qui ont joué un rôle important dans les négociations. En réalité, les termes de l’accord sont très semblables à la version de mai. Mais il n’aboutit que huit mois plus tard, pour des raisons d’alignement des astres politiques.

Israël a accepté l’accord en dernière minute, de manière à ce que le travail fourni par l’administration Biden produise des fruits facilement récupérables par l’administration Trump.

Didier Leroy

L’issue de la présidentielle américaine faisait partie de la grande équation pour chaque acteur concerné. La partie israélienne, surtout, a freiné l’accord ces derniers mois en misant sur une victoire de Trump. Israël a accepté l’accord en dernière minute, de manière à ce que le travail fourni par l’administration Biden produise des fruits facilement récupérables par l’administration Trump.  

L’accord de cessez-le-feu à Gaza implique-t-il un retrait militaire total d’Israël?

C’est ce qui semble être suggéré en filigrane. Mais gardons à l’esprit que le document signé prévoit «une description des procédures et des mécanismes pour ramener un calme durable», qui pourrait seulement ensuite mener à un cessez-le-feu permanent. Entre aujourd’hui/jeudi et dimanche, il n’y a donc aucune raison de voir les frappes s’amenuiser. Israël va certainement exploiter la brèche pour continuer à pilonner Beit Lahia au nord de la bande de Gaza, par exemple. A partir du 19 janvier, l’Etat hébreu devra se retenir, mais rien n’empêche de voir une réalité à la libanaise se mettre en place, où le feu ne cesse pas réellement malgré un accord de cessez-le-feu. On n’est donc pas à l’abri de ces nouvelles réalités, conséquences d’un rapport de force à l’avantage d’Israël.

La partie israélienne est consensuellement d’accord pour ne pas retourner à une situation frontalière identique à celle qui précédait le 7 octobre.

Didier Leroy

Chaque jour qui passe pourrait voir les choses déraper, d’un côté ou de l’autre. Rien n’est garanti. Ce qui semble être établi sur le document, qui décrit trois phases, c’est un retrait progressif de Tsahal des «territoires intérieurs» de la bande de Gaza. Y compris au niveau du corridor de Netzarim (NDLR: une zone tampon) et de la route de Philadelphie (NDLR: situé à la frontière avec l’Egypte), ce qui n’était pas forcément garanti auparavant. Ce sont deux éléments pour lesquels le Hamas a pu tirer la couverture de son côté. En revanche, Tsahal ne se replie pas du côté israélien de la frontière, et reste dans une posture d’occupation. Israël pourra également maintenir ses troupes dans cinq petites enclaves identifiées. Cela signifie que le Hamas, même à court terme, aura perdu du territoire par rapport à l’espace dont il jouissait avant le 7 octobre. La partie israélienne est consensuellement d’accord pour ne pas retourner à une situation frontalière identique à celle qui précédait le 7 octobre. Elle souhaite consolider cette perte de territoire palestinien supplémentaire pour calmer les esprits les plus à droite dans le gouvernement israélien.

Ce processus de paix est-il durable dans le temps, ou des acteurs régionaux peuvent potentiellement le perturber?

J’aurais tendance à me montrer prudent, c’est-à-dire pessimiste. La fin politique de Netanyahu n’est pas actée. La guerre n’est pas finie, sur différents fronts: les Houthis continuent à tirer des missiles depuis le Yémen, le Liban connaît un entre-deux (et dépend fortement des événements en Syrie), et, surtout, l’acte final entre Israël et l’Iran ne s’est pas encore produit. Ces frappes israéliennes en Iran auront lieu, et elles seront décisives. L’Iran essaie de montrer les dents, mais il est en réalité très vulnérable du point de vue de sa défense anti-aérienne.

L’espace aérien du Liban et de la Syrie offre une opportunité sans précédent à Tsahal pour mener des frappes susceptibles de changer l’équilibre des pouvoirs dans la région. Sur une voire deux décennies, s’ils vont jusqu’à frapper les infrastructures nucléaires de l’Iran. Ce qui compte pour Trump et Netanyahou, c’est l’Iran. Bien plus que Gaza. L’agenda majeur d’Israël reste la poursuite des colonisations en Cisjordanie et l’affaiblissement durable de l’Iran.  

L’espace aérien du Liban et de la Syrie offre une opportunité sans précédent à Tsahal pour mener des frappes susceptibles de changer l’équilibre des pouvoirs dans la région. Ce qui compte pour Trump et Netanyahou, c’est l’Iran. Bien plus que Gaza. Les frappes israéliennes en Iran auront lieu, et elles seront décisives.

Didier Leroy

 

Donc, à côté du buzz de ce «cessez-le-feu», le contexte régional plus large pourrait se rabattre à nouveau sur les Gazaouis, et pas dans le bon sens. La reconstruction humanitaire à Gaza, envisagée dans la phase trois, risque d’être mise à mal à chaque étape. Il en manque encore les contours. Il serait question de l’implication de l’Egypte, du Qatar et des Nations Unies. Sous une «force internationale arabe»? Rien n’est encore clairement défini à cet égard. Mais quelle que soit la force qui s’impose pour gérer l’aspect sécuritaire à Gaza, le Hamas sera toujours capable de faire preuve de violence. L’accord est donc extrêmement fragile.

Enfin, Trump a déjà annoncé vouloir promouvoir la paix à travers la force, c’est-à-dire empêcher le Hamas de se reconstituer. Or, le mouvement terroriste fera tout pour se reconstruire. Il faut donc évidemment s’attendre à des escarmouches, voire plus.

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