Carte blanche
Le césarisme, maladie de jeunesse et de vieillesse de la démocratie ?
Une quarantaine d’années avant notre ère, dans la crépusculaire république romaine, les adversaires de Jules César s’inquiétaient de la popularité grandissante du vainqueur de la guerre des Gaules auprès du peuple de Rome.
Viscéralement attachés aux institutions républicaines, ils craignent de voir César se faire proclamer roi comme il l’avaient vu devenir Consul, dictateur puis dictateur à vie. Ils ourdirent finalement un complot au Sénat qui, s’il emporta la vie de César, ne préserva pour autant la démocratie (pour l’époque) dans Rome qui s’apprêtait à devenir bientôt impériale. Le substantif « césarisme » s’imposa dans le vocabulaire à partir du XIXe siècle notamment pour décrire les velléités historiques des bonapartistes de France de renversement de deux républiques et d’imposition d’un ordre impérial. Cette peur de voir un leader charismatique émerger et user de son emprise sur les masses pour mettre à mal les institutions représentatives et accaparer du pouvoir n’est pas propre à nos voisins d’outre-Quiévrain. En Belgique, leader conservateur un vétéran de la politique belge de naguère, Charles Woeste fit un usage de ce terme qui resta dans les mémoires « j’ai peur de l’état et je hais le césarisme ». Il craignait fort de voir la Belgique imiter un jour l’expérience napoléonienne et voir le peuple (à qui il refusait le suffrage universel) s’en remettre volontiers, par plébiscites interposés, à un pouvoir fort et personnalisé.
A posteriori, on peut considérer que si le césarisme n’était pas encore un mot, il aura tout de même été la maladie de jeunesse de ce qui, il y a plus de 2000 ans, tenait lieu de démocratie, à savoir la république romaine. Il serait peut-être temps de se demander s’il ne sera pas aussi sa maladie de vieillesse au vu de l’évolution politique récente à un certain nombre d’endroits de la planète. Dans un ouvrage qui vient de paraitre et qui évoque la lutte indispensable contre le terrorisme, mais aussi le nécessaire renforcement de la démocratie[1], j’aborde l’interpellante question de l’avènement récent « d’hommes forts » en lien direct avec le « peuple » et son impact sur nos sociétés. Jair Bolsonaro est le dernier d’une longue liste de dirigeants autoritaires électoralement adoubés par leurs populations respectives dans lesquels on retrouve notamment Duterte, Erdogan, Orban ou Poutine. Ces Césars des temps modernes arrivent ou se maintiennent au pouvoir en promettant de restaurer une sorte de grandeur impériale perdue et en prétendant être la meilleure incarnation de la nation et/ou de l’identité à laquelle leurs électeurs sont supposément attachés. Ces autocrates n’apprécient guère les contre-pouvoirs, mais tolèrent des institutions représentatives et des corps intermédiaires en s’efforçant de les contourner par le rapport direct et récurent qu’ils entretiennent avec le peuple via les médias qu’ils contrôlent parfois d’une main de fer ou les réseaux sociaux qu’ils exploitent souvent d’une main de maitre.
Drôle d’époque où il ne semble pas insensé de se réapproprier une expression célèbre d’Antonio Gramsci. Celui-ci disait : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Il faut dire que face à ses leaders qui aiment à se montrer fort et déterminés, les alternatives sont loin d’être enthousiasmantes, voire ont également une certaine part de monstruosité. Ainsi, si la seule chose que les démocrates européens ont à opposer à l’autoritarisme incarné par un Poutine c’est l’autoritarisme désincarné des marchés tels qu’on l’a vu à l’oeuvre au moment de la crise de la dette souveraine de certains pays alors il y a de quoi être très inquiet pour l’avenir.
Que faire ? A tout le moins réexpliquer, à grand renfort de pédagogie, ce que devrait être la politique et aussi ce qu’elle ne doit pas être. Pour rester dans l’analogie avec l’époque romaine, offrir du pain et des jeux pour garder un soutien populaire est une méthode bien éculée, mais assez efficace. Tout le monde devrait comprendre la politique ce n’est pas admirer la pourpre impériale, acclamer celui qui la porte en son nom et se juste réserver la décision de lever ou pas le pouce pour décider du sort de malheureux plus infortunés que soi ! Il faut rappeler que la citoyenneté ce n’est pas de voter pour le candidat avec lequel on croit partager le plus de valeurs voire seulement le plus de préjugés, suivre vaguement ses épisodiques déclarations matamoresques et se désintéresser de son travail jusqu’à la prochaine élection. Encourager le plus grand nombre possible de citoyens à s’engager politiquement et favoriser leur accès à une information de qualité est devenu une nécessité impérieuse afin d’éviter l’émergence et le maintien de leaders autoritaires. Si le Césarisme est vraiment la maladie de vieillesse de la démocratie, le seul remède est la prise de conscience généralisée du rôle d’acteur que chacun peut et doit jouer au sein de la société. La réflexion suivante d’Alain Badiou sur la politique peut constituer une conclusion particulièrement pertinente : « Machiavel a largement défini la politique comme un art souverain du mensonge. Elle doit pourtant être autre chose : la capacité d’une société à s’emparer de son destin, à inventer un ordre juste et se placer sous l’impératif du bien commun. »
Carlos Crespo, militant progressiste
[1] C.Crespo, « En finir avec DAESH », éditions couleur livres, 2018.
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