Carte blanche
Le « boucher des Balkans »: la fin d’une histoire? (carte blanche)
Pierre Thys, professeur honoraire de criminologie à Ulg, souligne combien la condamnation récente du Serbe Ratko Mladic fait écho à l’actualité: ses actes étaient le fruit d’une radicalisation nationaliste, avec des inspirations qui resurgissent partout en Europe.
Le 8 juin 2021, après un premier jugement rendu le 22 novembre 2017, le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) siégeait en appel. Il a rendu définitive la condamnation à perpétuité de Ratko Mladic.
L’affaire ramène aux heures les plus sombres du conflit en ex-Yougoslavie. Le siège de Sarajevo durait depuis quatre ans et partout en Bosnie, les forces bosno-serbes attaquaient de manière indiscriminée la population civile musulmane, avec le but de faire fuir ou d’éliminer. C’est ce qu’on appellera « l’épuration ethnique ». Les Nations Unies avaient décrété (Résolution 819) que des enclaves musulmanes seraient protégées par des forces armées sans en donner les moyens. A Srebrenica, fin juin 95, des troupes hollandaises qui devaient protéger plus de 40.000 réfugiés, dans un ghetto à ciel ouvert; elles ne le feront pas et mettront bas les armes, honteusement.
Ratko Mladic était le général bosno-serbe qui commandait les troupes d’assaut contre cette enclave. Il était résolu à la prendre par la force, sur ordre de Radovan Karadzic, Président des serbes de Bosnie. Le 11 juillet 95, la ville était prise sans être défendue par les militaires hollandais. D’emblée, des bus pré-positionnés aux abords de la ville allaient commencer la déportation de 20.000 femmes, enfants et vieillards dans des conditions inhumaines de terreur et de sauvagerie. Bien que non combattants, les hommes de Srebrenica allaient être transportés vers des fermes et endroits isolés, puis abattus à l’arme automatique. Entre le 13 et le 19 juillet 95, on estime ainsi entre 7 et 8.000 le nombre de civils exécutés. Les fosses communes seront exhumées peu après au bulldozer et les corps démembrés seront réenfouis dans de multiples fosses secondaires.
Ces crimes commis à Srebrenica ont été qualifiés de génocide par le TPIY (2001), qui a stigmatisé le caractère délibéré, rationnel et implacable de l’attaque indiscriminée contre une population civile non combattante. La République serbe de Bosnie a reconnu sa responsabilité dans le génocide en 2004.
Dans ce trio infernal que constituaient le serbe Slobodan Milosevic, et les serbes de Bosnie Radovan Karadzic et Ratko Mladic, il est le dernier à avoir comparu devant le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie. Slobodan Milosevic est mort en 2006 avant la fin de son procès. Radovan Karadzic, finalement livré au TPIY, a été condamné en mars 2016 à 40 années d’emprisonnement et déclaré coupable de génocide, de crimes contre l’humanité et de violations des lois ou coutumes de la guerre.
Ce 8 juin 2021, Ratko Mladic a été condamné une nouvelle fois à une peine de détention à vie pour génocide, crimes contre l’humanité, violations des lois ou coutumes de la guerre crimes commis au cours de la guerre en ex-Yougoslavie, parce qu’il les a ordonnés ou parce qu’il les a laissés faire. Ce drame balkanique, de 91 à 95, a ramené sur le sol de l’Europe des massacres de masse, des camps de concentration, des transferts forcés de populations, des tortures et viols comme armes de guerre, qu’on croyait ne plus jamais revoir.
Le TPIY avait été mis en place à la suite d’un vote unanime du Conseil de sécurité des Nations Unies, en ce comprises les puissances disposant d’un droit de veto et alliées des belligérants. Il a contribué à mettre un terme à l’impunité des aux criminels de guerre, habitués à vieillir tranquillement.
Mais l’affaire Mladic démontre trois points complémentaires, qui font écho à l’actualité.
En premier lieu, les crimes commis par Ratko Mladic et ses semblables sont l’expression d’une évidente « radicalisation » idéologique. Celle-ci n’est pas l’apanage des extrémistes religieux, et ce n’est pas une nouveauté en criminologie.
En second lieu ces radicalisations idéologiques fondées sur le nationalisme et la xénophobie, ont tendance à resurgir partout en Europe et en Amérique du Nord, tantôt sous une forme suprémaciste, tantôt en mettant en avant l’angoisse d’un « grand remplacement » des blancs par d’autres groupes ethniques.
Enfin, l’analyse des jugements rendus par le TPIY ramènent une fois encore à l’absence de « profil » de l’extrémiste idéologique. Ces « hommes ordinaires », que Christopher Browning (2006) a magistralement décrits, ne sont ni des fous, ni des asociaux, et n’ont généralement pas de casier judiciaire. Ils ont des valeurs – certes perverties – qui donnent sens à leur vie (parfois à leur mort comme dans le cas de l’attentat suicide) ; ils ont de l’affection pour leurs proches, veulent un avenir pour leurs enfants, ont du respect pour leurs vieux parents, et certains pensent mériter un paradis. Beaucoup sont loyaux et responsables, enthousiastes dans leurs actions meurtrières. Cette dérive radicale de la pensée puis du comportement est ancienne, connue, résurgente. Le jugement de Mladic nous rappelle d’y prendre garde : opacifiée par l’extrémisme islamiste, l’idéologie d’extrême-droite – nationaliste, raciste, xénophobe et violente – nous revient en boomerang.
Pierre Thys, Professeur honoraire (Criminologie – Ulg)
(voir aussi : THYS P., Criminels de guerre, Etude criminologique, Paris, L’Harmattan, 2007)
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