L’avenir plus qu’incertain des femmes journalistes en Afghanistan

Charly Pohu Journaliste

Avec la prise de pouvoir des talibans, de nombreuses femmes craignent pour leur existence, et leurs droits lentement acquis ces 20 dernières années. Le travail des femmes journalistes risque de devenir impossible. Les journalistes étrangères font profil bas pour ne pas se faire remarquer. La « sympathie » affichée par la nouvelle génération de talibans semble un leurre.

Sur la chaine afghane TOLO News, une grande première a eu lieu. Une journaliste, Beheshta Arghand, est la première femme afghane à interviewer un taliban haut placé dans la hiérarchie, à l’intérieur du pays. Le directeur de la chaîne, Saad Mohseni, avait d’abord prévenu les talibans, qui ont donné leur accord.

Dimanche, lors de la prise de Kaboul par les talibans, la peur était tout de même présente. Les journalistes féminines de la chaîne avaient été priées de rester chez elles, pour être en sécurité. Deux jours après la plupart sont retournées au travail. Combien de temps pourront-elles encore continuer à exercer leur métier?

Environ 12.000 personnes sont actives dans les médias, en Afghanistan. 1741 sont des femmes, dont 764 journalistes professionnelles, selon le Centre pour la protection des femmes journalistes afghanes (CPAWJ).

L’association Reporters sans frontières (RSF) a interrogé les talibans sur les garanties de la liberté de la presse. Sur la possibilité des journalistes féminines à exercer leur métier, le porte-parole répond: « Vous savez que la société afghane est musulmane. Pour instaurer les règles et les édits religieux, nous avons eu beaucoup de morts. Les femmes journalistes sont également musulmanes. Nous allons, bien sûr, ériger un cadre pour les questions vestimentaires – le port du Hijab – et pour que les femmes ne soient pas importunées dans les rues ou sur leurs lieux de travail. Mais, jusqu’à l’édiction de ces dispositions écrites, je leur demande de rester chez elle, sans stress et sans peur. Je leur assure qu’elles retourneront à leur travail. » RSF regarde ces propos avec beaucoup de circonspection.

Le voile pour les journalistes étrangères

Une journaliste américaine, Clarissa Ward, correspondante internationale en chef pour CNN, apparaît avec un voile noir. Les images d’elle interviewant des talibans, en direct et en duplex ont été largement partagés sur les réseaux sociaux. « Je fais cela par précaution. Je veux garder profil bas. Je ne veux pas attirer l’attenction car je ne veux pas devenir l’histoire. L’histoire est-ce que les gens sont en train de vivre, dans ce moment desespéré et menaçant », s’explique-t-elle.

Elle met le voile pour travailler à l’extérieur, mais pas en studio par exemple. A certains endroits, on lui a demandé de rester sur le côté, parce qu’elle est une femme, comme on peut le voir dans une vidéo. Son regard traduit le dégoût et l’impuissance. « Pour la plupart du temps, les talibans ont été corrects avec nous. Ils ont dit qu’on pouvait continuer à travailler. Même s’ils disent que les femmes doivent se couvrir les mains et les visages, ils ne me l’ont pas demandé à moi », continue-t-elle.

Une façade sympathique et temporaire

Pour Saad Mohseni, et de nombreux autres observateurs, les talibans sont en train de mener une campagne de communication, pour montrer une image d’eux en tant que personnes ouvertes et pas trop rigoristes, comme la génération au pouvoir de 1996 à 2001. Car ils savent que tous les projecteurs du monde sont en ce moment braqués sur eux. Ils veulent passer pour des sympathiques, avec qui il est possible d’établir des relations. « Donc en ce moment, la presse a beaucoup de liberté », analyse Saad Mohseni, cité par le Guardian.

Mais seule la presse à Kaboul, et encore. L’association Reporters sans frontières (RSF) estime qu’une centaine de médias ont d’ores et déjà arrêté leurs activités. « Les médias qui continuent de fonctionner, travaillent selon les conditions fixées par les nouveaux maîtres du pays À Kandahar, une radio a d’ores et déjà été rebaptisée ‘Voice of Sharia’, appellation usuelle de la radio emblématique des Talibans entre 1996 et 2001 (le seul média diffusé à l’époque, ndlr) », peut-on lire dans un communiqué.

La situation des femmes, dans les médias comme dans la vie de tous les jours, semble devenir insupportable. De nombreuses voix craignent un brutal revirement lorsque l’attention internationale diminuera, ou dans l’arrière-pays, là où il n’y a déjà plus aucune présence internationale.

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