L’attente insoutenable de la famille de Watchara Sriaoun, otage thaïlandais à Gaza (reportage)
Dans le nord-est pauvre et rural du royaume, la mère de Watchara Sriaoun, captif à Gaza depuis le 7 octobre 2023, prie tous les jours le retour sain et sauf de son fils au village.
Le contexte
Un vieil homme au corps frêle, allongé sur un hamac suspendu aux poutres de la demeure familiale, a les yeux rivés sur l’écran d’un vieux téléviseur. Le volume, audible depuis l’extérieur, s’entremêle aux caquètements des poules qui se baladent dans le jardin et au meuglement de la vache du voisin. «Il regarde les infos matin, midi et soir», soupire Wiwwaeo Sriaoun, sourire tendre en direction de son mari, Tom. Chez les Sriaoun, originaires de Ban Kut Yang, un paisible petit village au beau milieu d’Udon Thani, province rurale du nord-est de la Thaïlande où les Etats-Unis avaient installé une base militaire durant la guerre froide, la télé tourne en boucle; on attend la bonne nouvelle.
Voilà plus d’un an que la famille a perdu contact avec le fils aîné, Watchara, qui fêtera bientôt ses 33 ans. C’est l’un des six otages thaïlandais encore retenus dans les abysses de Gaza, pilonnée sans relâche par l’armée israélienne. Il travaillait depuis trois ans comme ouvrier agricole dans le kibboutz décimé de Nir Oz, dont un quart des 400 habitants ont été assassinés ou kidnappés le 7 octobre 2023 par des combattants du Hamas. Pour ses parents, cette interminable attente et, surtout, l’incertitude sont devenues insupportables. «Comment survit-il? Qu’est-ce qu’il mange? Où dort-il?», se demande Wiwwaeo, accroupie sous une cabane, à l’abri de la chaleur, devant sa maison. Après un instant de silence, elle essuie ses yeux cernés, regarde dans le vide, puis reprend: «Je suis tellement inquiète pour mon fils, ce que je ressens est terrible.»
«Les autorités nous ont dit de préparer les funérailles.» Fausse alerte, à nouveau.
Après l’espoir, le silence radio
Le 7 octobre 2023 a bouleversé la vie de cette famille thaïlandaise. En moins d’un an, le père été hospitalisé trois fois, dont une après un AVC. Il souffre d’absences, perd parfois la tête, décrit sa femme, mais s’il y a bien une chose qu’il n’oublie pas, c’est la captivité de son fils.
Depuis l’enlèvement de Watchara, ce sont les montagnes russes. Peu après le massacre, des photos de victimes ont circulé. L’une d’elles arborait un bracelet noir. «Le même que Watchara portait en mémoire de la mort [en 2016] du roi Rama IX, détaille la mère. Alors, on a d’abord cru qu’il avait été tué.» Avant d’apprendre que leur fils faisait partie des otages thaïlandais du mouvement islamiste. Fin novembre 2023, la libération de 23 d’entre eux, permise grâce aux efforts diplomatiques de Bangkok impliquant la Malaisie voisine (qui entretient des liens avec le Hamas), le Qatar, l’Egypte, l’Iran et Israël a suscité un regain d’espoir. Un espoir cependant vite dissipé par le rapatriement, deux mois plus tard, du corps d’un homme du village voisin, employé dans le même kibboutz de Nir Oz. «Ce jour-là, se souvient Wiwwaeo Sriaoun, les autorités nous ont dit de préparer les funérailles de Watchara.» Son cœur s’est emballé, fausse alerte à nouveau.
Mais ces derniers temps, c’est silence radio du côté des autorités thaïlandaises, soupire-t-elle. Le dernier coup de fil du gouvernement à propos des otages? Cela fait si longtemps qu’elle ne s’en rappelle pas. Cette travailleuse agricole de 53 ans, aux mains marquées à force de récolter le caoutchouc, sait très exactement quand elle a entendu la voix de Watchara pour la dernière fois: «C’était pour mon anniversaire, le 19 septembre de l’année dernière. Il m’a dit: « Maman, tu te fais vieille », imite-t-elle son fils en riant. Je lui ai répondu: « Oui, on vieillit avec ton père, tu ferais bien de vite rentrer à la maison t’occuper de nous ».» Pris par le dur labeur, Watchara ne leur téléphonait que pour les grandes occasions. La fois précédente, c’était pour les 8 ans de sa fille, Irada Sriaoun.
Agée aujourd’hui de 9 ans, la gamine vit désormais avec ses grands-parents. En août, énième drame, une maladie a emporté sa mère. «Aux obsèques, c’est Nuu Dee (NDLR: le surnom de la fillette, qui signifie «gentille fille» en thaïlandais) qui a prononcé l’éloge funèbre devant tout le monde, relate sa grand-mère en posant une main sur le front de la petite. Elle est forte, elle tient le coup car elle sait que son père est encore en vie.»
«Certains repartent car l’augmentation des tensions est synonyme de meilleurs salaires.»
Paetongtarn Shinawatra, la Première ministre thaïlandaise.
Une main-d’œuvre oubliée
Watchara et son frère cadet ont rejoint Israël en 2020 pour aider leur famille endettée, notamment en raison de coûteux frais médicaux pour soigner leur père, déjà malade et en incapacité de travail. Là-bas, ils gagnaient plus du double, à travail équivalent, que dans leur village natal de Ban Kut Yang, entouré de rizières, de plantations de cannes à sucre et de champs d’hévéas ou de manioc. La fratrie envoyait ainsi à ses parents entre 550 et 800 euros chaque mois. Avant le 7 octobre 2023, 30.000 Thaïlandais originaires des régions pauvres du royaume travaillaient dans des fermes et kibboutz israéliens, à la recherche de meilleurs salaires.
Du boulot de Watchara, qui cultivait des choux en Israël, sa mère ne savait pas grand-chose. Si ce n’est que les conditions de travail étaient rudes. Il avait d’ailleurs changé quatre fois d’employeurs israéliens, dont les abus de certains ont été documentés par des ONG locales et internationales comme Human Rights Watch. «Ses patrons ne l’aimaient pas trop, précise-t-elle. Il avait appris l’hébreu, aidait ses frères thaïlandais à négocier pour ne pas être exploités.» La tragédie du 7-Octobre a mis en lumière le sort de cette main-d’œuvre oubliée, victime collatérale parmi tant d’autres de la guerre: avec 41 morts au cours de l’attaque, la Thaïlande fut l’un des pays étrangers les plus endeuillés par les attaques. Le 11 octobre dernier encore, un de ses ressortissants installé dans le kibboutz de Yir’on, près de la frontière libanaise, est mort, tué par un missile antichar.
En octobre, la Première ministre thaïlandaise Paetongtarn Shinawatra a appelé «toutes les parties concernées à prendre des mesures immédiates pour désamorcer les tensions croissantes au Moyen-Orient», ajoutant qu’il était «urgent» de «reprendre le chemin de la paix et des négociations en vue d’un cessez-le-feu». Inquiète, elle a demandé à l’ambassade thaïlandaise à Tel-Aviv d’avertir ceux qui vivent dans des zones à risque, notamment à la frontière libanaise, de se mettre à l’abri. En vain. Le 31 octobre, quatre autres travailleurs thaïlandais ont été tués par un tir de roquettes du Hezbollah à Metula, à quelques encablures du Liban.
Un besoin plus qu’un choix
Le petit frère de Watchara, qui travaillait dans un poulailler au nord de l’Etat hébreu, a été rapatrié l’an dernier. Dans le village d’à côté, Sumek Tianguon est également rentré à la même période, traumatisé par la chute d’un obus à 50 mètres du champ qu’il labourait. Plusieurs de ses amis, en revanche, sont encore là-bas: «Travailler en Israël reste un bon moyen de se faire de l’argent. J’ai pu m’acheter une voiture, un terrain et y construire une maison», indique ce pilier de famille.
Sa voisine, Wongwian Nam-in, une élue du tambon (la commune), confirme le manque d’opportunités. «Certains n’ont pas d’autres choix que de partir à l’étranger –Taïwan, Corée du Sud, Singapour, Israël– pour espérer une vie meilleure.» Elle parle d’une «culture des travailleurs migrants» enracinée dans la région. Cette dame de 53 ans, vêtue d’un maillot de foot de l’équipe nationale, déplore les salaires de misère et l’impuissance du gouvernement à sortir ces ouvriers agricoles de la pauvreté. Selon une étude universitaire parue en 2021, Udon Thani est l’une des provinces où l’on enregistre le plus fort taux de migration. Il y a quelques semaines, ajoute l’édile, un gars du village est même reparti en Israël pour la deuxième fois: «L’augmentation des tensions est synonyme de meilleurs salaires.»
La mère de Watchara connaît aussi des villageois qui y ont récemment regagné Israël. Elle a tenté, en vain, de les en dissuader. Invasion du Liban, missiles tirés par l’Iran sur Israël: les derniers événements au Proche-Orient, qu’elle suit de près, ne la rassurent guère. «Toujours et encore plus de violence», commente-t-elle, lassée par ce conflit entre belligérants pour lesquels elle se refuse à prendre parti. Mais elle est convaincue d’une chose: «Netanyahou n’en a rien à faire, des otages. Il pourrait accepter un cessez-le-feu, les faire libérer et reprendre ensuite sa guerre, lâche-t-elle, usée. Mais il n’écoute rien, il fait de la politique. Tant qu’il y aura Netanyahou [au pouvoir], la paix ne sera pas possible. J’ai peur de ne plus jamais revoir mon fils.»
Chrétienne protestante, Wiwwaeo Sriaoun explique comment la foi l’aide à garder l’espoir. «Sans la religion, je serais morte. Je prie tous les jours pour la libération de Watchara.» Et puis, il y a sa petite-fille, ce rayon de soleil dans l’obscurité qui lui permet de ne pas craquer. «Je la réconforte en lui disant que, même si sa maman n’est plus là pour lui donner de l’amour, je l’aime de tout mon cœur.» Dans la pièce à vivre, le grand-père s’est assoupi. La télé ne passe plus les infos, mais des dessins animés que la petite Nuu Dee espère regarder à nouveau aux côtés de son père, dont un portrait souriant est accroché au mur.
Le Qatar a annoncé le 9 novembre qu’il suspendait sa médiation entre Israël et le Hamas en vue d’un accord de cessez-le-feu à Gaza et une libération des otages, jusqu’à ce que les belligérants fassent preuve de «sérieux» dans les négociations.
Une centaine de captifs sont encore aux mains du Hamas, enlevés lors du massacre du 7 octobre dans le pourtour de la bande de Gaza. Parmi eux, figurent six Thaïlandais qui travaillaient dans les kibboutz attaqués. La mort du chef du Hamas, Yahyah Sinouar, à Khan Younès le 16 octobre sous les tirs israéliens, n’a pas permis jusqu’à présent une relance des discussions, contrairement à ce que certains espéraient.
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