L’Arménie, un pays en quête d’amis
Les Arméniens ont perdu une grande partie de leur forteresse du Karabakh. Cette capitulation sous les auspices de Moscou laissera des traces durables dans l’histoire de cet Etat qui ne peut compter que sur lui-même.
Pendant quarante-cinq jours, les forces liées à l’Arménie ont tenté de défendre l’enclave montagneuse du Haut-Karabakh, peuplée à 95% d’Arméniens chrétiens mais située sur le territoire de l’Azerbaïdjan musulman, et que les deux pays considèrent comme une partie intégrante de leur histoire. En vain. Grâce à un armement plus sophistiqué, fourni notamment par la Turquie et Israël, l’armée azerbaïdjanaise a réussi à percer la forteresse. En perdant Chouchi, les Arméniens couraient le risque de voir la « capitale » Stepanakert subir le même sort. Et de compter encore plus de morts. C’est alors que Vladimir Poutine a sifflé la fin des combats, entérinant la défaite arménienne.
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Doit-on y voir le début de la fin d’un conflit issu des décombres de l’Union soviétique? En s’autoproclamant indépendante en 1991, la république du Haut-Karabakh a reçu le soutien de l’Arménie mais n’a jamais été reconnue par aucun autre Etat. Elle était depuis lors dans la ligne de mire du régime de Bakou, qui vient de tenir sa revanche après la déroute cinglante de 1994, une guerre qui a fait 30.000 morts. « Historiquement, il est très difficile de donner raison à l’un ou à l’autre du fait des mouvements de populations », expliquait début janvier dernier le représentant français du groupe de Minsk, chargé, avec les Etats-Unis et la Russie, de trouver une solution… pacifique.
Depuis le 9 novembre, le territoire de l’Artsakh, autre nom de l’enclave, est donc réduit à peau de chagrin. Seuls Stepanakert et les villages environnants échappent – pour l’heure – à la mainmise de l’Azerbaïdjan. Mais qui voudra y retourner, malgré le déploiement de près de 2.000 militaires russes pour surveiller le cessez-le-feu? D’autant plus que Bakou, drapé dans le droit international, reprend le contrôle de la zone tampon autour de l’enclave, et que d’autres districts devront lui être rétrocédés avant la mi-décembre. Les terres encore sous contrôle arménien le restent, mais une nouvelle route devra être construite pour relier l’Artsakh à l’Arménie, afin de contourner Chouchi. Elle sera gardée par les forces russes.
Intenable statu quo
Pour Erevan, la capitulation a sans doute permis de sauver les derniers meubles. La signature de l’armistice avec le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev a été qualifié par le Premier ministre arménien Nikol Pachinian de moment « incroyablement douloureux ». Des manifestants furieux ont investi le Parlement: « Pour quoi sont morts nos enfants? » ont-ils hurlé. Vu la fronde, des élections anticipées ne sont pas exclues en Arménie, avec le retour des rivalités entre les pro-Russes et les partisans de Pachinian, dont la protection a été renforcée.
« Nikol Pachinian n’a jamais réussi à décrypter les codes de Moscou, analyse le journaliste et chercheur Tigrane Yegavian, auteur de Arménie, à l’ombre de la montagne sacrée (Nevicata, 2015). Il fait les frais de ses maladresses et de son style populiste. En faisant la chasse aux anciens dirigeants corrompus, mais proches du Kremlin, il s’est mis les Russes à dos. En mai dernier, c’est vêtu d’un treillis militaire qu’il s’est rendu en Artsakh pour l’intronisation du nouveau président et en clamant « le Karabakh, c’est l’Arménie », ce qui était irrecevable pour Moscou. Car les Russes répètent depuis des années aux Arméniens que le statu quo est intenable et que ceux-ci doivent rétrocéder des districts en échange d’un règlement pour l’enclave. »
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La Russie a-t-elle laissé le conflit s’aggraver pour faire payer l’effronterie de Pachinian et l’inertie de ses prédécesseurs? Pourtant, elle est restée dans les clous de ses engagements: n’intervenir militairement en faveur de l’Arménie que si son intégrité territoriale était menacée. Or, ce ne fut jamais le cas. La Russie a toujours veillé à garder l’équidistance entre les deux belligérants. Elle veut rester proche de l’Arménie, avec qui elle partage les racines chrétiennes, ainsi que des bases stratégiques, mais aussi de l’Azerbaïdjan, un Etat autoritaire doublé d’un client important.
La Turquie, nouvel acteur régional
La rapidité du déploiement russe démontre que tout était déjà prêt pour rappeler qui est le maître du jeu. Mais Moscou doit désormais compter avec un acteur qui monte en puissance: la Turquie, qui a pris fait et cause pour l’Azerbaïdjan. Pour les Arméniens, c’est le réveil du traumatisme de 1915 et d’un génocide que le pouvoir turc n’a jamais reconnu. La sensibilité est d’autant plus forte qu’ils accusent Ankara d’avoir acheminé des mercenaires islamistes via une agence privée. Comme en Syrie, où ils soutiennent des camps opposés, Moscou et Ankara ont réussi à mettre à l’écart les Occidentaux, tout en négociant de nouvelles alliances tactiques.
Dans un tel environnement, l’Arménie n’en est que plus isolée, d’autant qu’en vertu de l’accord de cessez-le-feu, un corridor en territoire arménien devra permettre à l’Azerbaïdjan d’être relié à son enclave du Nakhitchevan, frontalier de la Turquie. Les trois millions d’Arméniens se retrouvent à présent coincés au milieu de 93 millions de turcophones, et les Turcs auront un accès direct à la mer Caspienne et à ses ressources énergétiques. L’Europe? Elle se tait, à l’image de la Belgique qui s’est abstenue de dénoncer « les nombreux crimes de guerre commis et documentés », fulmine la diaspora arménienne dans notre pays.
La realpolitik économique, le faible poids de l’Arménie et la non-reconnaissance de l’Artsakh auront sans doute favorisé ce silence. Seule la France a élevé la voix en faveur des Arméniens, mais ce lien est davantage sentimental que stratégique. Quel traitement sera réservé aux Arméniens du Karabakh? Qu’en sera-t-il de la préservation des lieux de culte? Rien n’est indiqué dans l’accord. Or, au tournant du XXIe siècle, des églises, des tombes et des khatchkars (stèles en pierre) ont été rasés dans l’enclave miroir du Nakhitchevan, sans susciter d’émotion. Les Arméniens redoutent terriblement que le scénario ne se répète.
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