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L’antidote contre l’EI ? Une solution moyenâgeuse

Rudi Rotthier Journaliste Knack.be

Le journaliste turc Mustafa Akyol pense qu’il y aurait un moyen imparable pour terrasser l’EI. Mieux connu sous le nom de « irja », le concept date du moyen-âge. Il n’aurait pourtant rien d’obsolète et serait même encore plus efficace de nos jours.

Mustafa Akyol, est journaliste, éditorialiste, essayiste et auteur d’un livre sur l’islam libéraliste. Il vient d’écrire une carte blanche dans The New York Times en réaction à un article traitant du concept d’ « irja » paru en mars dans Dabiq, le magazine de propagande de l’état islamique. Irja est un terme que l’on pourrait traduire par « postposer ». Présenté comme un danger mortel, comme l’épouvantail ultime, il est décrit dans ce magazine, sur 18 pages, comme une aberration.

Pourtant, selon Akyol, la plupart de laïcs et des musulmans n’en ont jamais entendu parler. Le concept date en effet des premiers siècles de l’histoire de l’islam. En cette période trouble, sévissait, dans le monde musulman, une importante guerre civile qui voyait s’affronter les précurseurs des sunnites et des chiites dans une lutte sans pitié pour le pouvoir. Pour envenimer cette situation déjà sanglante, un troisième groupe, les khawarij, excommuniait et massacrait les deux autres camps.

La situation était à ce point chaotique que les érudits de l’époque ont tenté d’élaborer un concept pour calmer les esprits. Dénommé irja, le principe était assez simple puisqu’il s’agissait de postposer la question de savoir qui était un vrai musulman au moment où cette personne était dans l’au-delà. « Même un musulman qui ne suit aucun rituel et qui a beaucoup pêché ne peut être traité d’infidèle. La foi est dans le coeur de chacun. Dieu peut juger de cela et pas les autres hommes » . Le jugement attendrait donc le moment où on serait face à Allah.

Les érudits qui défendaient ce point de vue, les « postposeurs », n’ont pas vraiment dominé le débat et leur proposition n’a été que peu écoutée à travers les siècles. Pourtant, pour Akyol, il s’agit là d’un concept qui pourrait parfaitement servir de base à un islam tolérant, qui n’impose rien, et pluraliste. Un libéralisme islamique en quelque sorte. Il s’agirait, dit-il, d’une version islamique des idées de John Locke, philosophe anglais des lumières. Celui-ci ne prônait pas plus une disparition de la religion qu’une domination de la raison par celle-ci. Il s’opposait en cela aux lumières françaises qui voulaient éradiquer la religion.

Pourquoi l’EI s’inquiète-t-il autant de l’irja, alors qu’on n’en parle pas ou peu ailleurs ? Parce qu’il y a en ce moment une bataille autour du coeur de l’islam. Pour Akyol il est tout aussi ridicule de dire que l’EI est le courant dominant de l’islam que de dire que l’islam n’a rien à voir avec eux. « Les dirigeants djihadistes baignent dans les idées islamiques sauf qu’ils utilisent leur savoir à des fins perverses et violentes », avance le journaliste.

Du fondamentalisme mou

L’article du magazine Dabiq taxe les autres groupes fondamentalistes rebelles de irja. Peut-être parce que, dans un esprit tactique, il n’applique pas assez fermement la sharia dans les territoires qu’ils contrôlent. En faisant cela, l’EI vise les centaines de millions de musulmans qui appliquent inconsciemment la théorie de l’irja. Ces derniers permettent, selon l’article de Dabiq, « de faire de l’islam une allégation sans réalité. La compassion et le pardon d’Allah ne sont pas une excuse pour commettre des péchés. »

Pour sa part, Akyol pousse au contraire les musulmans à adopter l’irja à bras le corps comme le seul véritable antidote à l’EI. Grâce à l’irja, ils peuvent combiner vraie piété et humilité tout en mettant un terme aux guerres civiles et religieuses qui ne sont inspirées que par « l’arrogance à juger les autres et par ceux qui veulent diriger au nom de Dieu. »

Dans une chronique précédente, Akyol avait déjà écrit : « Laissez Dieu résoudre les problèmes. D’ici là, que les musulmans puissent vivre et laisser vivre. »

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