Lai Ching-te, le nouveau président d’un Taïwan sous pression
Fils d’un mineur de charbon, Lai Ching-te prêtera serment en tant que président de Taïwan lundi et il lui reviendra alors de prendre en charge les relations avec la Chine, en proie à une rupture de plus en plus profonde à mesure que Pékin accroît sa pression militaire et diplomatique sur l’île autonome.
A l’inverse de la majorité de la classe politique taïwanaise, M. Lai, né en 1959, est issu d’un milieu modeste. Sa mère l’a élevé seule, avec ses cinq frères et sœurs, dans un hameau rural de Nouveau Taipei (nord), en raison du décès de son père lorsqu’il était très jeune. Après avoir obtenu un diplôme de santé publique à l’université de Harvard aux Etats-Unis, il a d’abord travaillé comme médecin dans un hôpital de Tainan (sud-ouest). Décrit comme pugnace et combatif, Lai Ching-te – qui se fait aussi appeler William Lai – se décide à entrer en politique en 1996, quand Pékin effectue des tirs d’essai de missiles autour de Taïwan au moment de la première élection présidentielle démocratique de l’île. « J’ai décidé qu’il était de mon devoir de participer à la démocratie taïwanaise et d’aider à protéger cette expérience naissante de ceux qui lui voulaient du mal », avait-il témoigné l’an passé dans le Wall Street Journal.
Le futur président taïwanais figure sur la liste des 100 personnes les plus influentes de 2024 établie par le magazine Time en avril, un choix qui reflète, selon lui, « la résilience et l’unité du peuple taïwanais ».
« Dangereux séparatiste » pour Pékin
D’abord député puis maire de Tainan, il devient Premier ministre de la présidente Tsai Ing-wen en 2017, puis vice-président en 2020. Agé de 64 ans, marié et père de deux enfants, le président du Parti démocrate progressiste (PDP) s’est engagé à poursuivre la politique de Mme Tsai visant à renforcer les capacités militaires de Taïwan afin de dissuader la Chine, qui multiplie ces dernières semaines les survols d’avions aux environs de son territoire. Son franc-parler, qu’il a modéré ces dernières années, lui attire pourtant l’ire de Pékin, qui le qualifie de « dangereux séparatiste » conduisant Taïwan sur le chemin « de la guerre et du déclin ».
Lors de la campagne, M. Lai avait affirmé que l’élection était un choix entre « démocratie et autocratie », et avait promis un soutien « inébranlable » au maintien du statu quo dans le détroit de Taïwan. Il avait aussi dénoncé « le principe chinois d’+une seule Chine+ », car « la paix sans la souveraineté, c’est juste comme Hong Kong », ancienne colonie britannique où Pékin a imposé cette année une nouvelle loi de sécurité nationale pour réprimer toute dissidence.
Bien qu’il ait indiqué à la Chine être ouvert au dialogue, Lai Ching-te risque d’être rabroué et Pékin « ne lui répondra pas plus positivement » qu’à sa prédécesseure, estime Steve Tsang, directeur du SOAS China Institute, un centre de recherches rattaché à l’Université de Londres. « La vraie question est de savoir comment M. Lai ajustera son approche, une fois que le bras ouvert qu’il est susceptible de tendre à Pékin se heurtera à une réponse froide, voire pire« , ajoute ce politologue et historien né à Hong Kong.
« Politicien professionnel »
Lai Ching-te est un fervent défenseur de la souveraineté de Taïwan. Lorsqu’il était Premier ministre, M. Lai s’est exprimé plus ouvertement que Mme Tsai sur la question de l’indépendance, ce qui, selon certains observateurs, a mené des partenaires de premier plan comme les Etats-Unis, le principal fournisseur d’armes de Taïwan, à s’inquiéter de sa gestion à venir des relations avec la Chine. Mais selon Luo Chih-mei, professeure de sciences politiques à l’Université nationale de Taipei, il est peu probable qu’il prenne « des mesures complexes l’année de l’élection présidentielle américaine« . Ryan Hass, membre de la Brookings Institution, un think tank libéral américain, considère que Lai Ching-te n’est pas un « fanatique » qui se concentre sur l’indépendance de Taïwan mais « un politicien professionnel qui a organisé sa carrière pour devenir président ». Espérant séduire les jeunes électeurs, dont beaucoup sont déçus après huit ans de pouvoir du PDP, M. Lai a promis d’augmenter les salaires, de réduire les impôts et de créer davantage de logements sociaux.
Une rupture de plus en plus profonde entre Taïwan et la Chine
La grande majorité des 23 millions d’habitants de Taïwan ont des ancêtres originaires du continent. Selon un sondage réalisé en 2023 par l’université nationale Chengchi de Taipei, 90% des Taïwanais souhaitent le maintien du statu quo et moins de 2% d’entre eux se déclarent favorables à une unification dès que possible. Ce constat s’accorde à la rupture de plus en plus profonde entre la Chine et Taïwan. Pékin accroît déjà la pression militaire sur Taipei. Le 9 mai, une flotte chinoise de douze navires a été détectée autour de Kinmen par les Taïwanais.