Attentat à l'aéroport Atatürk Istanbul © Reuters

« La Turquie est au bord d’un scénario tragique »

Laurence D'Hondt Journaliste

Alican Tayla est chercheur à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques à Paris (IRIS). Selon lui, l’Etat turc aurait laissé s’implanter de nombreuses cellules djihadistes dans sa lutte contre les Kurdes.

Le Vif : la Turquie connait une vague d’attentats sans précédent dans son histoire. Qui est derrière ces attentats ? Certains accusent l’Etat lui-même…

Alican Tayla : la position ambiguë du gouvernement turc a? l’e?gard de Daech a longtemps e?te? critique?e par ses partenaires occidentaux. Ankara a rappelé systématiquement qu’il considérait le mouvement de rébellion kurde, le PKK comme une plus grande menace que Daech, et ce malgré les attentats très meurtriers attribués à l’Etat islamique sur le territoire turc. Sur ce point, il est intéressant de noter que Daech ne revendique pas ses attentats commis sur le sol turc. Le gouvernement turc a été accusé de faciliter les mouvements transfrontaliers des militants de Daech, de soigner les blessés du front syrien dans ses hôpitaux et même de leur livrer des armes. Au lendemain de l’attentat très meurtrier d’Ankara en octobre dernier, une part importante de la population a désigné l’Etat turc comme responsable, si pas directement au moins indirectement, des preuves ayant été accumulées pour démontrer la complicité entre l’Etat turc et les djihadistes kamikazes.

La reprise du conflit avec les Kurdes n’est-il pas responsable de la violence actuelle ?

-Dans le sud est de la Turquie, l’arme?e turque a rompu unilatéralement le cessez ­le ­feu avec le PKK et a commence? a? mener des ope?rations militaires de grande envergure dans plusieurs villes du pays, habite?es majoritairement par des Kurdes causant des dizaines de morts civils et d’e?normes de?ga?ts. Elle a également bombardé des positions kurdes en Syrie. Il semble que la Turquie ait également laissé s’infiltrer des combattants de Daech sur son territoire lors de la bataille autour de la ville frontalière syrienne de Kobane et à d’autres occasions. Il est probable donc que certains attentats sont liés à la reprise des violences avec les Kurdes, mais il est certain aussi que la Turquie, en raison de sa connivence avec Daech, a laissé s’implanter des cellules islamistes sur son territoire qui passent aujourd’hui à l’action, dans les lieux touristiques notamment. Il ne faut pas oublier qu’il y a plusieurs milliers de djihadistes turcs dans les rangs de Daech.

Pensez-vous que la Turquie soit menacée d’une déstabilisation plus fondamentale ?

-Etant donné qu’une bonne partie de la Turquie est en situation de guerre civile, que les nombreux attentats commis dans les grandes villes créent un fort sentiment d’insécurité, que les divisions sociales, -entre partisans et opposants du gouvernement, entre conservateurs et laïcs, entre les Kurdes et militants de gauche d’un côté et les nationalistes de l’autre-, ont atteint un degré de tension permanente, que des milliers de journalistes, universitaires, politiques et intellectuels sont systématiquement accusés de terrorisme et de trahison, il est difficile d’imaginer une situation de « déstabilisation plus fondamentale ». Les réservations touristiques enregistrent une baisse de 30 pc. Ce qui est à craindre c’est que ce tableau tragique se prolonge et rende chaque jour le scénario d’un retour à la normalisation plus difficile.

*Alican Tayla, l’AKP et l’autoritarisme en Turquie : une rupture illusoire, publié chez l’Harmattan.

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