Sébastien Boussois
La Syrie, nouvel épicentre de la prochaine menace terroriste pour l’Europe
Malheureusement, il sont encore nombreux ceux qui expliquent que la fin de Daech est la fin du danger pour l’Europe. Or, on pourrait parler en réalité de calme avant la tempête sur le vieux continent.
L’Europe en est encore au stade de panser ses plaies après le traumatisme qu’a constitué l’Etat islamique pour des milliers de ses jeunes partis combattre sur le sol étranger au nom d’une idéologie djihadiste dévastatrice pour les êtres et pour la civilisation européenne. Alors que la forme précédente de Daech s’est effondrée sur le territoire syrien et irakien depuis la fin 2018, que la perception sécuritaire des États sur la question reste très élevée au détriment d’un investissement conséquent en matière de prévention primaire fondamentale de l’idéologie islamiste, que les États membres concernés par l’hydre djihadiste se disputent sur le non-retour de leurs djihadistes évacués des camps kurdes, une autre forme de menace émanant directement de la Syrie et du régime de Bachar Al Assad pourrait voir rapidement le jour.
Depuis la fin de la Guerre froide et l’avènement d’Al Qaïda, les firmes terroristes transnationales ont semé le chaos sur la planète et les États ont révélé rapidement leur impuissance à éradiquer définitivement ces systèmes de guérillas globalisées, locales et globales. Alors que notre monde aspirait, par confiance ou naïveté, à moins d’Etat, la notion même et sa réalité sont revenues en force sur la scène internationale pour assurer la sécurité des individus. Mais depuis trois décennies, face à la dispersion d’une idéologie radicale sur toute la planète qui ne connaît plus de frontières étanches, les armées conventionnelles d’un pays ne peuvent plus rien. Avec Daech, malgré l’action militaire de la coalition, nous sommes passés à un niveau inédit de dangerosité depuis la naissance d’un territoire matérialisé du califat pour au moins trois raisons :
- un nouvel Etat se constituait sur deux préexistants faisant fi de la souveraineté de ces derniers et du droit international inapplicable ;
- il disposait de richesses qui en firent la plus grande entreprise terroriste de l’histoire ;
- il a recruté – sur une armée estimée à 80 000 combattants-, près de la moitié de ses effectifs dans une centaine de pays, phénomène tout à fait inédit.
L’Etat islamique fut un succès, car il résista quatre ans alors que personne ne l’attendait. L’Etat islamique entrera de toute évidence dans la mythologie des tenants d’un avènement et d’une domination de la civilisation islamique sur la planète. Les mythes servent à être construits et à galvaniser les futurs candidats à « l’effort » à venir. Il y a un terreau incroyablement fertile sur toute la planète.
Si la géopolitique n’a pas toujours de logique propre et de continuité dans l’approche de phénomènes caméléons évoluant très rapidement dans notre monde globalisé, les dernières informations de certains services de renseignement américains portés à notre connaissance annonceraient des changements d’alliance a priori contre nature, voire totalement surréaliste, pour essayer de se « débarrasser » du problème. Jusque-là, l’ennemi numéro un de Daech était le régime syrien de Bachar Al Assad. Tout comme les Kurdes, livrés à eux-mêmes depuis leur abandon par Donald Trump, et qui jouèrent un rôle vital dans la chute d’Isis. Il se pourrait maintenant que Bachar Al Assad se serve des djihadistes de Daech contre nous et contribue à leur redéploiement sur le globe. Dans une vision nihiliste du monde et un esprit de vengeance qui écarte toute rationalité et toute mesure des conséquences à venir, ce serait bientôt le retour de l’Etat arabe terroriste qui fasse le choix du « dégagez-les tous » au nom de sa propre survie.
En effet, des agents bien informés nous révélaient que le régime syrien serait sur le point d’armer et d’utiliser des membres des cellules dormantes de Daech, mais probablement aussi certains djihadistes échappés des camps après l’offensive turque, pour mener des attaques en Europe. Quel intérêt pour le régime de Bachar Al Assad survivant malgré tout et contre tous? Retourner contre le vieux continent ceux qui ont dévasté son pays pendant quatre ans. Désanctuariser la menace pour la relocaliser en dehors de la Syrie. Non seulement ce serait la résurgence du terrorisme d’État pour un pays arabe mais aussi le retour prévisible de Daech en prime. Avec des accords de non-agression bien entendu. Il y a de quoi être largement préoccupé alors que nous annoncions, dans un ouvrage paru récemment[1], le retour de Daech et surtout sa diffusion idéologique ininterrompue partout dans le monde. Aujourd’hui, près de quarante pays dans le monde ont une « franchise » de l’Etat islamique et font germer des vocations dans la tête de milliers de jeunes qui basculeront à un moment ou à un autre dans l’extrémisme violent dans des sociétés qu’ils finiront par rejeter. C’était le but initial de Daech : créer des micro-guerres civiles en agitant les musulmans et leurs ennemis à la dérive contre les koufar [2] dans les sociétés occidentales. Et cela semble en voie de se réaliser.
Au-delà de ce scénario catastrophe, si le régime syrien retournait les djihadistes contre nous, cela poserait la question de la sécurité de l’Europe et de nos relations avec certains pays stratégiques sur le sujet. En effet, il est extrêmement inquiétant d’envisager nos relations avec la Russie et l’Iran dans une permanente défiance, qui sont des cibles du terrorise sunnite, mais qui de facto se retrouveraient complice de cette nouvelle ère de terrorisme d’État syrien. Et peut-être aussi une part de la solution. Le prix à payer pour l’Europe du recul d’Obama en Syrie puis du retrait de Donald Trump sera très lourd pour nous. C’est un véritable choc civilisationnel qui est peut-être en train de survenir et la preuve du glissement du monde vers l’Est et de l’opportunité unique pour des empires orientaux d’émerger face à nous.
En effet, l’Occident domine le monde depuis deux mille?naires, que ce soit par la nature des re?gimes politiques qu’il a engendre?s et qu’il a tente? d’imposer en permanence au monde, ou par la promotion de sa culture et de sa civilisation, conside?re?es comme au stade le plus avance? de ce que l’homme aurait produit depuis son apparition sur terre. Si des po?les de leadership alternatifs ont e?merge? e?pisodiquement a? travers l’histoire, il n’en demeure pas moins que la supre?matie du monde occidental est inconteste?e depuis l’Antiquite?. De grands Empires orientaux ont certes tente? de re?gner au-dela? de leur propre zone d’influence – l’E?gypte ancienne, la Perse, l’Empire ottoman, la Chine et la Russie, entre autres. Ne?anmoins, la premie?re puissance mondiale est et reste les E?tats-Unis et les deux autres membres allie?s du Conseil de se?curite? des Nations unies que sont la France et la Grande-Bretagne1. Tout cela tient a? partir du moment ou? le droit international pre?vaut et qu’il est applique?. Or, le glissement re?cent du monde avec un retour du bilate?ralisme, voire de l’unilate?ralisme, pousse l’ONU vers une crise de confiance totale dans le maintien de la paix. On assiste alors a? ce que l’on ne voulait pas voir : des dirigeants qui redessinent le monde en un camp du Bien contre le Mal. D’un co?te?, le monde pre?tendument libre et e?claire?; de l’autre, celui de l’obscurantisme et du Croissant. Ces deux mondes ne sont plus cloisonnés et la preuve des mouvements de population d’un des deux camps vers l’autre au cours de l’histoire re?cente n’est plus à apporter : d’un co?te?, des millions d’individus, jeunes notamment, qui ont fui les terres de conflit du Moyen-Orient pour tenter de rejoindre l’Europe et, de l’autre, des dizaines de milliers de jeunes Europe?ens qui ont rejoint ou tente? de rejoindre le Moyen-Orient au nom d’un ide?al politique ou d’une conviction religieuse. Derrie?re tout cela, il y a toujours une histoire d’inge?rence, d’occupation de territoire, de disruption e?conomique, de volonte? de dislocation d’une civilisation et d’e?mergence de failles identitaires multiples au sein des socie?te?s arabes. Daech veut poursuivre sa vengeance pour tout cela et c’est ce qui peut le rapprocher du régime syrien actuel dévasté, mais résilient. Avec pour responsable éternel l’Europe, moteur, agitateur, mais aussi pourvoyeur et déstabilisateur.
Du point de vue du droit international, on pourrait dire qu’avec leur retrait de la Syrie, les USA ont violé l’esprit de l’OTAN en ouvrant cette menace extrême sur l’Europe par leur pusillanimité sur place et l’absence de vraie pression et d’enquêtes internationales dans le même temps sur le chaos orchestré par Ergogan dans son offensive sur le front nord de son voisin. Cela pose en tout cas un très grave problème par rapport à l’OTAN et au fait que jusqu’ici au nom de l’OTAN l’Europe ne s’est pas dotée d’une capacité de défense et de sécurité propres. Pourquoi ? Car les deux plus grandes armées de l’OTAN viennent de gravement laisser menacer leurs alliés européens. D’un côté, les Américains en lâchant les Français sur les frappes contre la Syrie, puis le retrait total que l’on vient de voir, extraordinairement lourd de conséquences. De l’autre, les Turcs en ayant été complices de Daech depuis des années viennent de priver l’Europe de ses alliés kurdes, et remettre en selle des proxis djihadistes, tout en utilisant les réfugiés comme arme anti européenne. Le tout dans un contexte frériste et islamisant qui fragilise aussi l’Union européenne de l’intérieur par des stratégies électorales communautaristes. La trahison de ses deux alliés historiques est en train de provoquer une accumulation inouïe de menaces sur l’Europe. Et pendant ce temps, on se chamaille encore en France sur le voile sans percevoir la véritable menace pour les années futures.
[1] Daech la suite, éditions de l’Aube, Paris, 2019
[2]Mécréants.
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