Christian Makarian
« La Syrie est le symbole de la destruction de l’ordre international »
La Russie apparaît à maints égards comme le grand vainqueur de la guerre qui déchire la Syrie depuis 2011. Au prix d’un carnage humanitaire, Moscou a ainsi signé à la face du monde son grand retour sur la scène internationale en obtenant une série de succès jamais vus depuis la fin de l’ère soviétique.
Des succès qui se caractérisent par une capacité militaire retrouvée et redoutablement efficace (environ 5 000 hommes seulement sur le territoire syrien), la démonstration que l’alliance russe garantit aux dictateurs leur maintien (message envoyé tous azimuts) autant qu’elle inflige aux islamistes une leçon magistrale, une habileté stratégique apte à » cornériser » les Etats-Unis, un système d’alliance efficace et résistant (avec l’Iran et, de manière bien plus perverse, avec la Turquie), un rôle amplifié et une influence accrue dans tout le Moyen-Orient (ce qui inclut des pays aussi divers que l’Egypte ou Israël).
Mais cette étonnante moisson pourrait subir un changement de saison. A la vérité, depuis que Vladimir Poutine a commencé le processus d’Astana, par un accord conclu entre la Russie, la Turquie et l’Iran, en mai 2017, ses grandes options stratégiques n’ont pas changé d’un pouce et, malgré ses efforts pour fabriquer de toutes pièces une solution politique rapide, qui serait à l’avantage de Bachar al-Assad, la pression militaire aveugle demeure – encore et toujours – le seul vrai levier dont dispose le maître des ruines de la Syrie. L’accord d’Astana prévoyait en effet la création de quatre zones de désescalade, afin de prouver que la Russie savait échafauder un semblant de pacification après avoir usé de la force de la pire des façons. Or, il n’en est rien. De surcroît, le schéma d’Astana avait pour but d’aboutir à une » Pax russiana » et de prendre de vitesse le processus de Genève, promu par les Etats-Unis et les pays européens, qui est » le seul cadre agréé par la communauté internationale pour la recherche d’une solution politique en Syrie « . Deux mécanismes diplomatiques concurrents au chevet de la Syrie…
Malgré les calculs de Poutine pour une solution politique en Syrie, on ne voit qu’un carnage
Il se trouve que la Ghouta faisait partie de ces quatre zones, définies à Astana, où devait être instauré un cessez-le-feu (avec Idleb, au nord-ouest, Homs, au centre, ainsi que le sud du pays). Or, on sait ce qu’il en est : cette zone, où s’affrontent l’armée de Damas et deux groupes rebelles, est précisément celle où Assad se livre à la pire escalade. Le fait que les deux factions djihadistes sur place, qui sont du reste hostiles l’une à l’autre, transforment cyniquement la population civile en bouclier humain est une donnée que le régime de Damas connaît par coeur. La Ghouta s’inscrit dans la série ininterrompue qui a vu l’écrasement d’Alep, de Homs, de Hama, de Raqqa, de Khan Cheikhoun… A Idleb, dans le nord, une autre opération de reconquête a été lancée contre les rebelles par Assad. L’orientaliste et essayiste Jean-Pierre Filiu résume le résultat par ces mots : » Le Kremlin est en train d’apprendre en Syrie qu’il est plus facile de gagner la guerre que la paix. »
De fait, Poutine n’exprime pas d’autre choix que celui de suivre pas à pas Assad dans son déchaînement de violence, ce qui prend militairement plus de temps que prévu. Si bien que le président russe semble lier son sort à celui du tyran syrien, alors qu’il en est le maître. L’unanimité du Conseil de sécurité de l’ONU à réclamer le cessez-le-feu dans la Ghouta est celle de l’embarras planétaire. Tandis que les Occidentaux restent crispés sur leur objectif, parfaitement légitime, de destruction de Daech, la Syrie en elle-même – son peuple, ses habitants, ses enfants – ne s’enfonce pas seulement dans une destruction irréversible, elle est aussi devenue le symbole fumant de la destruction de l’ordre international.
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