La saga du testament de Johnny Hallyday décortiquée
La succession de Johnny Hallyday est le fruit d’une âpre bataille entre d’une part les enfants nés de ses premières unions, Laura et David, et d’autre part sa dernière épouse, Laetitia, représentante de sa personne par testament et des deux enfants qu’elle a adoptés avec le chanteur. Il serait intéressant de décortiquer cette saga sous différents angles et avec un souci de la chronologie pour tenter d’y voir plus clair.
A. Le droit en matière de succession
En droit belge, comme en droit français, il n’est pas possible de déshériter totalement ses enfants. On appelle cela la part réservataire. En un mot, un pourcentage de la succession est acquis aux enfants. L’idée étant manifestement d’assurer une forme de cohésion sociale au sein de la famille et de feindre de croire que le lien du sang se juxtapose parfaitement au lien d’affection.
Dans le droit californien, il n’existe pas ces garde-fous. La liberté testamentaire est totale. Vous pouvez déshériter intégralement vos successibles et donc vos enfants. En somme, ne rien leur laisser ou en privilégier certains au détriment d’autres. Le législateur californien, comme d’autres aux États-Unis, considère que la liberté de choix du testateur doit être totale et que le lien du sang ne fait pas forcément l’affection ni la reconnaissance.
1. Le droit applicable
Où se situe le problème avec la famille Hallyday ? Johnny a, dans son dernier testament connu, déshérité Laura et David, au motif qu’ils auraient déjà reçu leurs parts sur l’héritage, de son vivant, par le biais de donations mobilières et/ou immobilières.
Il est rapporté que le précédent testament, annulé par le nouveau, respectait le droit français et le principe de la réserve héréditaire. Les deux ont été rédigés dans un laps de temps assez proche. On parle maintenant de plusieurs testaments rédigés successivement. Que s’est-il donc passé et qui a fait ce changement, au niveau du contenu du testament, source de l’éclatement d’une famille recomposée idéale en apparence ?
Abordons dans l’ordre les questions qui peuvent se poser sur le plan du droit.
2. Ce testament est-il valable ?
De prime abord oui, sauf s’il est contesté dans la forme et son contenu, ce qui est manifestement le cas, Laura et David ayant assigné devant les juridictions françaises d’après ce qui est rapporté. Il est logique et même habile d’assigner en France puisque les contestataires revendiquent l’application du droit français.
Comment déterminer, si ce testament est valable dans sa forme ? Il faudra vérifier s’il a bien été rédigé de la main de Johnny. Tel serait le cas, jusqu’à preuve du contraire, l’acte ayant été rédigé de sa main, en présence d’un notaire et de témoins. Il aurait donc un caractère authentique.
3. Le droit applicable
Quant à savoir si le droit californien, sur le fond, régit le testament rédigé, on a recours pour ce faire à ce que l’on appelle des critères de rattachement. Le Tribunal saisi va devoir vérifier où était le lieu de résidence effectif de Johnny, ce qui déterminera le droit applicable.
On peut prendre comme critères de rattachement, sans être exhaustif : la propriété d’une ou plusieurs maisons (laquelle est celle qui est le lieu de vie le plus intense ?), la vie sociale et les cercles d’amis, la scolarité des enfants, la durée de présence sur l’un ou l’autre territoire étatique, les attaches familiales et professionnelles, les lieux d’exercice de sa profession et de perception de ses revenus … Où a-t-il décidé de se faire soigner pour sa fin de vie ? Où est-il décédé et venu finir sa vie ? Où est-il enterré ?
Et tout autre critère jugé pertinent par le Tribunal. La bagarre judiciaire est engagée. Elle fait rage. Chacun fourbit ses armes.
4. Analyse des critères
Johnny a scolarisé ses deux derniers enfants en Californie où il possède une maison depuis une petite dizaine d’années (sur une existence de plus de 70 ans). Il travaillait sur ses albums en Californie, mais aussi en France. De toute évidence, ce lieu de résidence californien n’était pas anodin pour lui.
On se rappellera toutefois que Johnny avait des relations houleuses avec le fisc français, qui l’avaient amené à habiter en Suisse, pays de la fiscalité douce, et même à un moment d’envisager de résider en Belgique. D’aucuns diront que ses choix de résidence ont été dictés par des raisons fiscales et pécuniaires.
A l’inverse, il résidait régulièrement à Saint-Barth, qui accorde à ses résidents un statut fiscal particulier. Son paradis terrestre, mais qui est en territoire français. Laetitia était restée sur l’île après le décès de Johnny, mais a dû retourner en urgence aux USA, qui, en effet, exigent que le résident étranger se trouve un minimum de jours sur le territoire américain sous peine de perdre ce statut et les avantages qui y sont attachés.
Johnny avait, quant à lui, obtenu une dérogation pour retourner en France, pour se faire soigner et travailler, ce qui indique un attachement certain avec la France, mais aussi son souci de ne pas perdre son statut de résident américain. Son succès est d’ailleurs exclusivement notable dans les pays francophones. Ses concerts et tournées l’obligeaient à être présent très régulièrement en France.
Ses revenus ne sont quasi générés que par ses activités en France et dans les pays de langue française, bien que des sociétés de droit étranger gèrent ceux-ci sans que l’on sache très bien où elles se situent ni qui les gèrent. Le chanteur est venu se faire soigner en France pour sa fin de vie. Il est mort dans sa maison en France. Il est enterré en territoire français et a reçu un hommage national sur les Champs-Élysées financé par l’État français et organisé à la demande de Laetitia.
Il appartiendra, éventuellement, à la justice de trancher, sauf si un arrangement est trouvé entre les parties. Chacun se fera sa religion. Faire presque exclusivement sa carrière sur le territoire français n’impose-t-il pas sur le plan des valeurs et du respect dû à ses fans que le droit français s’applique ? La morale ne rejoint pas toujours le droit.
B. L’émoi vire à l’effroi
Il est manifeste que l’émoi est grand chez les deux aînés de Johnny et dans la population. Il est difficile d’accepter pour des enfants d’être déshérités, pas tant sur le plan de l’argent (même si l’enjeu financier est de taille Laura et David ne sont pas dans le besoin), mais bien du rejet de leur personne par leur père et ce par rapport à leurs deux petites soeurs.
D’autant plus que le motif avancé (ils auraient reçu leur dû par le passé) ne tient manifestement pas la route, étant démenti avec force par Sylvie Vartan, mère de David, mais aussi parce que la proportionnalité entre ce qu’ils auraient pu avoir reçu auparavant et l’enjeu de l’héritage est très largement disproportionnée en leur défaveur.
Si c’est pour protéger les deux petites filles que Johnny a décidé cela, il va leur imposer de porter un lourd fardeau le reste de leur vie. On est d’autant plus étonné que Johnny lui-même avait été rejeté par son père, dès son plus jeune âge.
Pour beaucoup, Johnny est un compagnon de route de nos vies. Une présence, qui nous a accompagnés longtemps. Le brave type, à la voix extraordinaire et qui aurait pu être le pote de tous. L’incompréhension est donc grande, voire répulsive. Ce n’est pas possible que Johnny ait fait cela ! Comment sonder son âme, ses motivations ?
Il n’est pas une obligation d’aimer ses enfants. On peut même faire des différences de traitement entre eux. Cela relève de la conscience personnelle et d’un parcours de vie. Johnny avait peut-être de bonnes raisons de le faire. Ce débat appartient à la justice et à la famille. En soi, il n’est pas scandaleux de vouloir déshériter ses enfants, mais il convient de se demander si c’est justifié et s’il n’y a pas eu un abus de faiblesse.
C. La bataille médiatique.
Peut-être trouverons-nous un commencement d’explication dans la guerre médiatique que ce sont lancé les parties en présence. Si David a refusé, par voie de presse, de cautionner l’album posthume de son père, ce n’est pas tant par rejet de son oeuvre, mais plutôt pour ne pas accréditer l’idée qu’il marquait son accord sur le déroulement de la succession et donc qu’il en acceptait les termes.
Laura, quant à elle, a rédigé un communiqué où elle s’exprime au conditionnel et exprime sa souffrance en déclarant que son père ne pouvait avoir fait cela. Précisant qu’elle ne le voyait qu’en cachette, sous-entendant que son entourage faisait le vide autour de lui. Laura et David ont d’ailleurs introduit une action en justice pour avoir un droit de regard sur le droit à l’image et artistique de leur père et à l’usage qui en est fait, étant déshérités également de cet aspect-là des choses.
Habilement, Sylvie Vartan et son fils, David, qui doivent tous deux séparément entamer prochainement un tour de chant, ont déclaré qu’ils interpréteraient des chansons de Johnny. En effet, les détenteurs de ces droits vont-ils oser introduire une action en justice pour interdire cet usage qui est fait sans leur autorisation ? Difficile, vu le contexte. Et si rien n’est fait, David pourra dire qu’on lui consent ce droit et en faire un argument juridique. Nathalie Baye, mère de Laura, vient, elle, de déclarer que l’on ne retrouve que les noms de la famille de Laetitia (Boudou) sur le testament de Johnny. Si Laetitia décède, c’est son frère, Quentin, avec qui, dit-elle, Johnny ne s’entendait pas, qui deviendrait l’exécuteur testamentaire de la succession du chanteur.
Nombreux sont les très proches de Johnny qui sont abasourdis par ce testament et qui disent que tout cela ne lui correspond pas. Quand on lit entre les lignes, on sent poindre la volonté de peut-être plaider ou accréditer l’idée que Johnny était sous influence et donc pas libre de ses actes. Sa fille le voit en cachette. Beaucoup de ses amis historiques ont été mis de côté, dit-on, par Laetitia. David n’a pas pu le voir sur son lit de mort. Lors de son coma, il y a de cela plusieurs années, il n’aurait déjà pas pu accéder à la chambre de son père. Un gros virement aurait été fait sur le compte de Laetitia quelques jours avant le décès. Sa famille s’occuperait de la gestion de ses affaires et de son patrimoine. Et ainsi de suite. Il faut raison garder. La communication médiatique n’est pas la vérité judiciaire.
Et il appartient aussi de donner la parole à la défense, à Laetitia. C’est un paradoxe, vu le déchaînement contre sa personne : elle a pour l’instant le droit pour elle et il ne lui appartient pas en principe de se justifier. On ne peut pas exclure qu’il s’agisse bien des dernières volontés de Johnny et qu’elle n’ait rien à se reprocher.
L’avenir nous le dira. Toutefois, on peut considérer que, si tel est le cas, Johnny ne lui pas fait un cadeau et que sa communication laisse poindre des faiblesses. La première étant de ne pas comprendre et de l’exprimer, que deux enfants, Laura et David, puissent être choqués de ce qui se passe. Ils ont appris les choses par le biais d’avocats. L’opacité de la gestion patrimoniale du défunt ne rassure pas. Les déclarations des uns et des autres non plus. Elle n’a pas prévenu elle-même David et Laura du décès de leur père, préférant rédiger un communiqué de presse et discuter avec le président de la République, Emmanuel Macron, pour organiser des funérailles nationales.
Sa grand-mère, dénommée « Mamy Rock », gestionnaire à un âge avancé des sociétés qui gèrent le patrimoine de Johnny, a déclaré que David et Laura avaient reçu leur dû et qu’ils n’avaient plus droit à rien. Elle se place sur le plan du chiffre et pas de l’émotion. Elle vit aux USA avec sa petite-fille, mais retourne en France pour se faire soigner, en somme comme Johnny. Jean-Claude Camus, le producteur de Johnny, écarté par Laetitia et revenu en cour il y a peu, s’occupant de nouveau de la gestion artistique de Johnny, affirme que Johnny lui avait déclaré que tout était pour Laetitia. C’est peut-être vrai, mais est-il un témoin indépendant ? Ne parlons pas de Jean Reno qui, quelques heures après avoir fait un communiqué pour soutenir Laetitia, déclare que son propos a été déformé.
Comme disait Laura, après avoir appris les choses, il n’est pas possible dans la famille Hallyday que les événements ne s’étalent pas sur la place publique. Peut-être que le temps du silence approche pour réfléchir sereinement, panser les plaies et peut-être trouver un arrangement. Il faudra savoir si celui-ci relève du droit californien ou du droit français, ce qui ne sera pas anodin ne fût-ce qu’en ce qui concerne les droits de succession. Il n’est pas seulement question de vivants dans cette triste histoire, mais aussi d’un mort, d’un monstre sacré de la chanson, d’une icône. Il a tellement fait rêver. Il doit continuer à le faire. Espérons que la raison l’emportera. Moi en tout cas : « Que je t’aime, Johnny ! »
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