La Russie peut-elle vraiment attaquer la Moldavie? « Il se passe quelque chose, mais… »
La Transnistrie, région de Moldavie aux accents pro-russes, frontalière avec l’Ukraine, se retrouve au centre des tensions géopolitiques. Les séparatistes réclament une aide de la Russie. Est-ce plutôt une invitation (à peine) cachée?
La Moldavie, pays d’Europe de l’est coincé entre la Roumanie et l’Ukraine, pourrait-il devenir le nouveau point chaud de la guerre ? La semaine passée, le parlement de Transnistrie (séparatiste pro-russe) a allumé la mèche, en publiant une résolution demandant de l’aide à la Russie. La Gagaouzie, autre région autonome au sud de la Moldavie, a emboîté le pas. Officiellement, il s’agissait de demandes de « protection », mais certains observateurs y ont perçu des invitations à peine voilées en faveur d’une attaque russe contre la Moldavie.
« La Transnistrie se retrouve au centre des discussions car personne ne sait vraiment où la guerre en Ukraine peut s’arrêter. On a donc tendance à se focaliser sur les points géographiques extérieurs qui pourraient être concernés par une potentielle attaque russe et/ou jouer un rôle dans l’issue de la guerre en Ukraine », contextualise Nina Bachkatov, docteure en science politique et spécialiste de l’ex-URSS.
Conflit gelé et omniprésence de la Russie en Moldavie
Après l’indépendance de la Moldavie, la Transnistrie a été le théâtre d’une guerre sanglante en 1992, jusqu’à ce que la Russie promette de se retirer (promesse jamais réellement tenue, voir plus bas, NDLR). Sur papier, la Transnistrie fait toujours partie de la Moldavie. Mais en pratique, elle est plutôt un Etat non reconnu, où l’influence russe reste omniprésente.
Assez étonnamment, avant 2022 et le début de la guerre en Ukraine, la Russie n’avait en réalité jamais insisté pour reconnaître l’indépendance de la Transnistrie, contrairement à ce qu’elle a fait pour l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud (Géorgie). « Elle avait même formulé des propositions pour une réintégration dans l’Etat moldave, à partir du moment où il était devenu clair que la Moldavie ne se rattacherait pas à la Roumanie -la crainte de départ qui expliquait le séparatisme transnistrien », retrace Tanguy de Wilde d’Estmael, professeur de relations internationales à l’UCLouvain.
Actuellement, le conflit est donc gelé et la Russie n’a jamais réellement tenu ses promesses de retrait. Pas moins de 1.500 soldats sont encore présents en Transnistrie. Et selon les derniers sondages, environ la moitié des habitants s’identifient comme Russes.
Russie – Moldavie: quelle forme de soutien européen ?
Des similitudes sont souvent évoquées entre la Transnistrie et le Donbass, où des séparatistes pro-russes avaient demandé à Moscou leur soutien contre « l’agression ukrainienne » en février 2022. Quelques jours après cette demande, Poutine lançait son offensive. Et, lorsque les troupes russes ont attaqué le sud de l’Ukraine au début du conflit, certains craignaient qu’une fois à Odessa, elles remontent jusqu’en Transnistrie.
La Moldavie, par ailleurs candidate à l’UE, a requis à plusieurs reprises l’aide européenne depuis l’invasion de l’Ukraine. Jusqu’à présent, cette aide s’est principalement traduite par un soutien politique et économique. Le fait que la France se tourne désormais vers les ministres européens de la Défense pourrait indiquer qu’un soutien militaire n’est plus exclu. « Emmanuel Macron cherche désespérément à avoir une influence en Ukraine, comme lorsqu’il évoque l’envoi de troupes occidentales, ou tente de se positionner comme le négociateur en chef au début du conflit. Ce sont autant de bourdes diplomatiques », tacle Nina Bachkatov.
Le possible appui militaire européen en Moldavie laisse également Tanguy de Wilde d’Estmael dubitatif. « Des troupes sont déjà présentes en Roumanie, il n’est donc pas très utile d’en placer Moldavie. Ce serait aussi synonyme de cobelligérance, ce que tout le monde a voulu éviter jusqu’ici. »
Une invitation cachée ?
Dans son habituel alarmisme, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a déclaré que le régime de Chișinău suivait les traces du régime de Kiev. « Ils suppriment tout ce qui relève de la Russie, pratiquent une discrimination à l’égard de la langue russe et, avec les Ukrainiens, exercent une pression économique sur la Transnistrie » (la Moldavie ayant introduit des taxes élevées pour les entreprises de Transnistrie qui importent et exportent des marchandises de l’UE, NDLR.).
Pour Nina Bachkatov, le point de tension principal réside cependant dans le fait que la Moldavie se rapproche de plus en plus de l’Union européenne. Et sur le plan géopolitique, la Transnistrie n’a aucune chance d’indépendance totale, ce qui contribue aussi au casse-tête occidental. « Depuis la guerre en Ukraine, la capacité des Russes à transmettre de l’énergie à la Transnistrie a été stoppée par la force des choses. Et leur économie, qui était fleurissante, ne l’est plus du tout », note la spécialiste. Selon elle, « l’appel des séparatistes pro-russes est réalisé de manière extrêmement ambiguë. Ce qui ne signifie pas qu’il ne faut pas y accorder de l’importance. Mais envoyer toute la cavalerie serait démesuré ».
Ce qui est perçu par certains comme une invitation cachée pour une attaque russe « est à la fois vrai, mais les échanges économiques en Transnistrie ne se font plus vers la Russie, mais vers l’UE, rappelle Tanguy de Wilde D’Estmael. La peur du rattachement, qui signifierait la fin des apports énergétiques russes, peut toutefois expliquer les appels à l’aide des Transnistriens. » Ceci étant, la situation demeure assez complexe « dans le sens où la situation imaginée il y a quelques années était une Moldavie fédérale, avec trois parties dont la Transnistrie. C’est ce que la Russie prônait : il est important de le souligner. »
Une attaque de la Russie en Moldavie ? « Une théorie assez tordue »
Pour Tanguy de Wilde d’Estmael, une attaque n’est donc pas à exclure totalement, mais à court terme, elle « ne semble pas être un objectif stratégique de la Russie, qui n’a d’ailleurs jamais défini de buts de guerre clairs, si ce n’est la « dénazification » et la conquête des quatre territoires séparatistes ukrainiens (Donbass, Lougansk, Zaporijia et Kherson). Or, les avancées pour remplir ces objectifs sont minces. A cet égard, aller jusqu’en Transnistrie semble, si pas impossible, très difficile. »
Dès lors, si des futurs actes occidentaux tendent à limiter l’influence de la Russie dans la région, « cela engagerait un nouveau rapport de force. L’UE devrait plutôt tenter de voir comment intégrer la Transnistrie dans le paysage politique de la Moldavie », estime Nina Bachkatov.
La spécialiste du monde soviétique rappelle en outre que le conflit est loin d’être neuf. Il date de la fin de l’URSS, où certaines républiques russophones souhaitaient s’affirmer de manière plus claire, et dépasser le stade de « provinces ». « Le système de région autonome, sorte de compromis, a bien fonctionné à une époque. Il convenait d’une autonomie culturelle des régions, avec, en retour, une reconnaissance des frontières nationales du pouvoir central. Il faudrait aller dans ce sens-là », plaide-t-elle.
A ses yeux, l’ouverture d’un deuxième front russe en Transnistrie « est une théorie assez tordue » pour des raisons « géographiques » (la Transnistrie n’a pas de frontière commune avec la Russie), et « techniques » (comment les Russes pourraient-ils transporter du matériel militaire sur le flanc sud-ouest, détenu par l’Ukraine ?).
« Il se passe quelque chose, c’est clair, mais il ne faut pas mettre de l’huile sur le feu dans une autre région. Par ailleurs, ce n’est pas le moment de régler un conflit qui implique Russes et Occidentaux, puisqu’ils ne se parlent pas actuellement », remarque-t-elle enfin.
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