Des roquettes tirées depuis le sud-Liban sont interceptées par la défense israélienne dans la nuit du 3 au 4 août. Un avant-goût de la réplique iranienne? © GETTY IMAGES

La restauration de la dissuasion d’Israël, la traque des auteurs du 7-Octobre, et… Yahya Sinouar

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’assassinat des concepteurs du massacre du 7 octobre 2023 vise à rétablir la puissance de l’Etat hébreu. Mais Yahya Sinouar, le leader du Hamas à Gaza, promu chef du bureau politique, continue de narguer les Israéliens.

Le massacre du groupe islamiste palestinien Hamas contre plus de 1.100 citoyens et militaires israéliens, le 7 octobre 2023, par l’énorme faille des services de renseignements et des forces de sécurité qu’il a révélée, a considérablement affaibli le pouvoir de dissuasion de l’Etat hébreu, dont la raison d’être était d’assurer aux juifs une protection qu’ils ne pouvaient espérer nulle part ailleurs.

L’offensive de l’armée qui a suivi dans la bande de Gaza, outre ses objectifs officiellement déclarés, l’éradication du Hamas et la libération des otages détenus depuis l’opération Déluge d’al-Aqsa, devait aussi amorcer le parcours de restauration de la puissance d’Israël. La destruction des infrastructures du territoire palestinien, l’élimination d’une partie des combattants du groupe islamiste, et la peur instillée au sein de la population au prix de la mort de dizaines de milliers de personnes ne lui ont apporté qu’un ersatz de puissance. Qui pouvait sérieusement imaginer que les combattants palestiniens puissent résister à l’une des plus sophistiquées armées au monde? Les bataillons du Hamas ne sont d’ailleurs pas tous à genoux. Certains vont jusqu’à reconstituer leur force dans le nord de la bande de Gaza, censée avoir été «nettoyée» au début de l’offensive. Nouvelle preuve, comme l’ont toujours pensé d’aucuns, qu’éradiquer le Hamas est illusoire.

Khan Younès et Beyrouth

Dans l’entendement israélien, la restauration de la dissuasion passe aussi par l’élimination physique de tous les dirigeants du Hamas responsables de l’horreur du 7-Octobre. L’Etat hébreu en a déjà montré sa capacité après le prise d’otages des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972 (onze tués). Un à un, ses auteurs ont été retrouvés et exécutés de par le monde. Mais, aucun dirigeant palestinien n’a, à l’époque, été ciblé. Après Déluge d’al-Aqsa au contraire, ils sont les premiers visés.

Benjamin Netanyahou affirme qu’Israël est prêt à toute éventualité face à l’Iran et ses supplétifs. Mais la menace est bien réelle. © BELGAIMAGE

L’avantage technologique augmentant avec ses adversaires, Israël a affûté ses méthodes pour y parvenir. Avec un succès certain. Le chef militaire du Hamas à Gaza et principal concepteur du massacre du 7 octobre, Mohammed Deif, a été tué le 13 juillet dernier dans un bombardement de l’aviation israélienne sur la ville de Khan Younès. Scénario on ne peut plus classique bien que sans garantie absolue de résultat vu le réseau de tunnels établi par le Hamas à Gaza. Le gouvernement de Benjamin Netanyahou a annoncé sa mort le 1er août. Elle n’a pas été confirmée par le Hamas.

Auparavant, Israël avait éliminé le numéro 2 du bureau politique du groupe palestinien, Salah al-Arouri, le 2 janvier 2024. Il aurait été ciblé par quatre missiles de petite taille dans son appartement au troisième étage de l’immeuble où il séjournait dans le sud de la capitale libanaise, Beyrouth. Le même modus operandi a présidé à l’exécution, le 30 juillet par Israël, dans la même zone du territoire libanais, de Fouad Chokr, le plus haut commandant militaire du mouvement chiite pro-iranien libanais Hezbollah. Cet assassinat-là ne s’inscrit pas dans la traque des auteurs du massacre du 7 octobre dernier. Il répond à l’attaque par le Hezbollah le 27 juillet d’un terrain de sport dans la ville de Majdal Shams, sur le plateau du Golan occupé, au cours de laquelle douze adolescents ont été tués.

L’explosif qui a tué Haniyeh aurait été placé par des agents du corps des Gardiens de la révolution recrutés par le Mossad.

Damas et Téhéran

Il est en revanche possible que, bien que, lui aussi, non-Palestinien, Mohammad Reza Zahedi, général de brigade des Gardiens de la révolution iraniens, ait été éliminé le 1er avril de cette année dans le cadre de la vengeance israélienne à l’encontre des responsables du 7-Octobre. L’homme était le commandant pour la Syrie, le Liban et la Palestine de la Force al-Qods, bras armé extérieur des Gardiens, et a pu à ce titre travailler aux préparatifs de l’opération du Hamas contre Israël. Des missiles tirés par des chasseurs F-35 qui ont détruit l’annexe consulaire de l’ambassade d’Iran à Damas en Syrie auraient provoqué sa mort.

Après Beyrouth et Damas, les forces armées et les services de renseignement israéliens ont réussi, défi autrement plus sérieux, à opérer à Téhéran pour exécuter «le plus gros poisson» à ce jour de la traque des ennemis palestiniens d’Israël. Deux théories sont avancées pour expliquer la façon dont le chef politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a été tué. Le corps des Gardiens de la révolution continue à assurer que c’est un projectile à courte portée doté d’une ogive de sept kilos qui a détruit l’appartement où dormait le leader islamiste dans la nuit du 30 au 31 juillet, après avoir assisté à la cérémonie d’investiture du nouveau président iranien Massoud Pezeshkian. Cette thèse est plausible. Elle évite aussi aux Gardiens de la révolution le déshonneur de l’énorme faille dans le dispositif de sécurité d’un site dont ils avaient la charge et de la trahison de certains de leurs membres.

La maison d’hôtes de Téhéran où Ismaïl Haniyeh a trouvé la mort. Bombe ou missile? © DR

Chasse aux traîtres

L’autre thèse, développée par des articles de la presse américaine et britannique que l’on peut imaginer alimentés par des renseignements de ces deux pays et d’Israël, explique que la mort d’Ismaïl Haniyeh aurait résulté de l’explosion à distance d’une bombe sophistiquée placée dans ce lieu plusieurs semaines à l’avance. Le New York Times est le premier média à l’avoir évoquée. Il l’a confortée en expliquant que les autorités iraniennes avaient procédé à l’arrestation de plusieurs personnes, des officiers supérieurs des services de renseignement, des responsables militaires, et des membres du personnel employé dans la maison d’hôtes de Téhéran. Le quotidien britannique The Telegraph, rapportant les propos de deux responsables iraniens, est allé plus loin en affirmant que l’explosif avait été placé par des agents du corps des Gardiens de la révolution recrutés par le Mossad, les services de renseignement extérieurs israéliens. Des vidéos de surveillance les confondraient. Mais ils auraient quitté l’Iran avant l’explosion.

Le journal indique encore qu’une première tentative d’assassinat d’Ismaïl Haniyeh avait été programmée lors de son séjour dans la capitale iranienne à l’occasion des funérailles, le 23 mai dernier, du président Ebrahim Raïssi, tué dans un accident d’hélicoptère quatre jours plus tôt. L’opération aurait finalement été annulée parce qu’un trop grand nombre de personnes se trouvaient dans le bâtiment quand l’opportunité s’est présentée.

Plausible au même titre que celle des missiles, la thèse de la bombe prépositionnée sert aussi les intérêts de certains acteurs, les Etats-Unis, Israël, dans le sens où elle questionne un peu plus encore la fiabilité des Gardiens de la révolution, armée idéologique du régime et donc un de ses piliers. Mais dans un cas comme dans l’autre, des complicités locales ont dû aider à la réalisation de l’opération, vraisemblablement à un niveau assez élevé de responsabilité.

Dans ce contexte, la désignation le 6 août de Yahya Sinouar, le leader du Hamas à Gaza et concepteur du massacre du 7 octobre, comme chef du bureau politique du groupe islamiste palestinien en remplacement d’Ismaïl Haniyeh peut être lue comme un message de continuité, de fermeté, et de défi du mouvement palestinien à l’égard d’Israël. Pour les Israéliens, surmonter le traumatisme du 7-Octobre, si tant est qu’il soit possible de le surmonter, ne peut se concevoir qu’à travers l’élimination de son «maître d’oeuvre». En le portant à sa tête, le Hamas souligne, douloureusement pour les Israéliens, que dix mois de guerre intensive n’ont pas suffi pour l’abattre et que la stratégie future du groupe palestinien s’inscrira dans la lignée de celle mise en oeuvre par celui qui y a survécu, en tout cas provisoirement.

«L’attente israélienne est une partie de la punition, de la riposte et de la bataille qui est aussi psychologique.»

Un impact sur la réplique?

Au regard des conséquences de l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh à Téhéran, on peut se demander si le camouflet infligé de la sorte au pouvoir des ayatollahs pourrait avoir un impact sur la réplique qu’il va organiser contre Israël. Oui et non. Oui, parce qu’elle doit être à la hauteur de l’affront subi et, au moins, être supérieure à celle opérée après l’attaque du consulat iranien à Damas le 1er avril dernier. Une quinzaine de jours plus tard, quelque 300 drones, missiles balistiques et missiles de croisière ont été tirés contre le territoire israélien par l’armée iranienne et par ses alliés rebelles yéménites houthis. Mais la plupart ont été interceptés et le modus operandi développé par les Iraniens ne visait ostensiblement pas à tuer.

Non, parce que la fragilité de l’infrastructure de sécurité de l’Iran a été rappelée par l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh en plein cœur de Téhéran et que le régime sait à quelle contre-réplique il pourrait s’exposer s’il frappait trop durement l’Etat hébreu. D’où aussi «l’intérêt» d’une action combinée, élargie cette fois-ci aux milices irakiennes pro-iraniennes et surtout au Hezbollah, celui-ci se devant pareillement de venger la mort de son chef militaire Fouad Chokr. Elle aurait l’avantage de rendre la défense anti-aérienne d’Israël plus compliquée et de diluer potentiellement les représailles qu’elle entraînerait. Israël est-il en mesure de se battre sur autant de fronts?

Le supplice de l’attente

Dans ce que l’on peut qualifier d’escarmouches par rapport à la réplique réelle attendue de l’axe de la résistance, un aperçu de cette action conjointe a été donné ces derniers jours avec, d’une part, des tirs de roquettes (dans la nuit du 3 au 4 août) et de drones (le 6 août) contre le nord d’Israël par le Hezbollah, et, d’autre part, l’attaque à la roquette de la base militaire américaine Al-Assad en Irak par des rebelles pro-iraniens. A ces actions, s’ajoutent deux attentats perpétrés en Israël depuis la Cisjordanie, territoire palestinien en partie occupé. Le premier, perpétré le 4 août à l’arme blanche, a coûté la vie à une femme de 66 ans et à un homme de 80 ans dans la localité de Holon, au sud de Tel-Aviv. Le deuxième, commis au moyen d’un tournevis, a eu pour cadre une des entrées routières de Jérusalem le 6 août. Une jeune femme a été légèrement blessée. Il n’empêche, la recrudescence de la menace venant de Cisjordanie, malgré la répression qu’y exercent les forces israéliennes, ajoute un risque aux dangers qui assaillent déjà les Israéliens.

L’Etat hébreu est donc en état d’alerte maximal. Qui plus est, le délai que prend la réplique de l’axe de la résistance aux assassinats d’Ismaîl Haniyeh et de Fouad Chokr, qui pourrait légitimement être perçu comme un aveu d’impuissance, est présenté comme un des outils du supplice infligé aux Israéliens. «L’attente israélienne est une partie de la punition, de la riposte et de la bataille qui est aussi psychologique», a proclamé le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, dans un discours prononcé le mardi 6 août, une semaine après l’assassinat de son chef militaire. Dans le même temps, il a menacé de frapper la ville d’Haïfa, après avoir affirmé pouvoir cibler Tel-Aviv. Avant la «grande confrontation», place à la guerre des nerfs. De quoi questionner le pouvoir de dissuasion d’Israël: sert-il vraiment si c’est pour vivre dans le menace permanente d’une confrontation?

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