Nicolas Baygert
La politique à l’heure des superhéros
La notion d’héroïsme est récemment revenue au premier plan à travers l’attentat manqué du Thalys, le 21 août dernier. A la clé, une pluie de louanges et de décorations, chacune méritée. « Pour vous témoigner notre reconnaissance, j’ai tenu, de façon exceptionnelle, à vous remettre la Légion d’honneur, la plus haute distinction qu’il soit possible d’attribuer », a déclaré trois jours plus tard François Hollande, « président des commémorations », en présence de Charles Michel, célébrant les trois jeunes Américains et le Britannique qui ont désarmé Ayoub El-Khazzani.
Des bienfaiteurs au sang-froid qui auront donc l’immense privilège d’être élevés au même rang que l’actrice Mimie Mathy, qui a accédé cette année au rang de chevalier du même ordre (qui, pour rappel, récompense depuis sa création, par Napoléon Bonaparte, les « mérites éminents, civils ou militaires, rendus à la Nation »). Par-delà l’effet cocasse de cette juxtaposition, cette égalité de traitement, amalgamant l’ange gardien du petit écran et les sauveurs du Thalys, met en lumière la difficulté du politique à appréhender l’acte héroïque. Aussi, devant un tel acte de bravoure, le gouvernement belge s’est empressé d’annoncer le futur octroi d’une « médaille d’honneur » aux héros, ces derniers échappant sans doute au Mérite wallon.
Le politique se contenterait-il, dès lors, de constater l’héroïsme civil ? Au mieux, on observe un « spin » ; cette torsion appliquée aux faits pour les présenter sous un angle plus propice, comme l’illustre le remodelage made in France du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve : « C’est grâce au sang-froid de chaque Français que nous continuerons à surmonter le risque terroriste. » Objectif : capitaliser sur l’événement.
Mais l’héroïsme est également attendu du politique lui-même. Plus que jamais, les citoyens qui n’espèrent plus rien de leurs élus se languissent d’un Elu. En France, l’antihéros, le » président normal », naguère préféré au « bougisme sarkozyste », fut à son tour moqué pour ses habits présidentiels trop grands. Loin du réenchantement escompté, son quinquennat, remake des Vacances de Monsieur Hulot de Jacques Tati, désespère. En Allemagne, la rassurante et confortable « Mutti », Angela Merkel, est dorénavant devenue un verbe (« merkeln »), synonyme de mutisme et d’indécision.
A l’instar de la domination du catalogue hollywoodien par les superhéros, va-t-on vers une u0022marvelisation du politiqueu0022 ?
A l’inverse, des profils héritant de la geste antique séduisent les foules. En Espagne, Pablo Iglesias fait entrer le cheval de Troie de Podémos à Madrid et Barcelone. Matteo Renzi, Thésée de la politique italienne, secoue la péninsule : « Pendant vingt ans, l’Italie a appuyé sur le bouton pause. Les réformes que nous menons sont un cours accéléré de rattrapage. » Et tandis que les leaders de la gauche européenne s’arrachent le quasi-homérique Yanis Varoufakis, espérant un effet d’aubaine de ce co-branding ponctuel, son compatriote grec Alexis Tsipras (Syriza) renoue avec la légende de Prométhée : après avoir promis le feu émancipatoire à son peuple, il s’est vu condamné à se faire dévorer le foie mois après mois par la Troïka. De même, la « vague populiste » constatée dans plusieurs pays de l’UE confirme cet appel aux leaders charismatiques, aux game-changers, aux héros. A l’instar de la domination du catalogue hollywoodien par les superhéros, va-t-on vers une « marvelisation du politique » ?
L’hypothétique « glissement héroïque » aurait en réalité une principale conséquence : il somme les partis moribonds de se muer en incubateurs de grands hommes (et femmes). On signalera toutefois, que contrairement à la démagogie, l’héroïsme en politique est d’essence tragique, achilléen : il désigne celui qui se voue au sacrifice devant l’oeuvre à accomplir, pour la postérité.
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