La nomination d’Elisabeth Borne comme première ministre ne résout pas le retard de la France en termes d’égalité
Emmanuel Macron a choisi une femme pour Matignon mais il a fallu attendre son deuxième mandat, nuance Clémence Deswert, doctorante au Centre d’étude de la vie politique de l’ULB. Le chemin vers l’égalité est encore long.
Que la nomination d’une Première ministre soit perçue comme un événement, cela ne démontre-t-il pas le retard de la France sur le plan de l’égalité entre femmes et hommes en politique?
Oui, très clairement. Il est assez évident que la France est en retard, du moins du point de vue du leadership et des positions exécutives. La dernière fois qu’une femme a été Première ministre, c’était Edith Cresson, en 1991, et encore, elle est restée en fonction moins d’un an.
On le voit avec les demandes d’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Otan, une femme Première ministre n’est plus un sujet en Europe du Nord. Mais le déficit n’est-il pas flagrant dans les pays du sud de l’Europe?
La participation politique des femmes est peut-être une question qui a été plus vite politisée au nord de l’Europe. Elle a été moins mise à l’agenda dans les Etats plus méridionaux et en France. Dans l’Hexagone, il y a aussi toute la tradition issue de la Ve République, un régime qui, comme on le dit souvent, a été pensé par et pour les hommes. On est aussi dans la tradition d’un système majoritaire qui est très stéréotypé sur le mode «combat de coqs», comme au Royaume-Uni. C’est peut-être aussi cette culture du combat qui a participé au fait qu’il n’y a pas beaucoup de place pour des femmes leaders.
La vie politique subirait-elle encore les effets du «traumatisme» du mandat d’Edith Cresson, fort critiquée dès le départ et responsable elle-même de quelques erreurs?
C’est possible. Et puis, il y eut aussi le traitement médiatique réservé à Ségolène Royal (NDLR: candidate socialiste à l’élection présidentielle en 2007) ou à des ministres. On se rappelle de l’épisode de la robe de Cécile Duflot, la ministre de l’Egalité des territoires et du Logement, à l’Assemblée nationale en 2012. En France, on a encore une culture particulière au Parlement. L’exemple d’Edith Cresson s’inscrit dans un contexte plus large où être une femme et faire de la politique reste compliqué.
Des critiques sexistes contre Elisabeth Borne comme il y en eut à l’égard d’Edith Cresson ne seraient-elles pas impossibles aujourd’hui?
Cela peut encore se faire de manière plus implicite. On imagine que le gouvernement qui va être nommé sera le même après les élections législatives si l’alliance Ensemble obtient une majorité. Mais il y a toujours un risque que ce ne soit pas le cas. Au final, on pourrait avoir une nomination qui n’est pas très appuyée et très pérenne comme on l’a vu aussi avec la désignation comme candidates à la présidentielle de Valérie Pécresse et d’Anne Hidalgo au sein de partis qui n’étaient pas très vaillants. On observe cette tendance à mettre des femmes à des positions et à des moments qui ne sont pas très enthousiasmants. Et puis, Emmanuel Macron a aussi attendu son deuxième mandat pour nommer une femme à Matignon. La puissance du message en est atténuée.
Avoir une femme Première ministre ne garantit pas non plus d’avoir des politiques qui feront avancer la “cause des femmes”.
Au-delà du genre de celle ou de celui qui dirige le gouvernement, n’y a-t-il pas une propension chez Emmanuel Macron à choisir des personnes, Edouard Philippe à ses débuts, Jean Castex, Elisabeth Borne, qui soient plus des collaborateurs compétents que des figures politiques marquantes?
Je pense que c’est aussi comme cela que la Ve République a été construite. Les relations au sein de l’exécutif ont rapidement été assez déséquilibrées. C’est le président qui dicte les politiques à l’intérieur de l’exécutif. Nicolas Sarkozy avait déjà parlé de François Fillon comme de son collaborateur. Je ne suis pas sûr que ce soit une évolution notable spécifique aux mandats d’Emmanuel Macron. C’est plutôt une dimension inhérente à la Ve République.
Quels efforts devraient encore être réalisés pour renforcer la place des femmes en politique en France?
On avance. Mais être optimiste sur cette question est une mauvaise idée. On l’a vu avec le MeToo politique. Il y a encore un énorme travail à accomplir. Cela demande des mesures structurelles autant sur la représentation effective, c’est-à-dire le nombre de femmes présentes en politique, que sur la représentation symbolique, à savoir c’est quoi être une femme en politique, et, d’un point de vue pratique, comment avance-t-on sans avoir à chaque fois des obstacles sur sa route, le traitement médiatique, les violences sexuelles, les procès en légitimité… Il faut rappeler qu’avoir une femme Première ministre ne garantit pas non plus d’avoir des politiques qui feront avancer la «cause des femmes».
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