La montée de la rhétorique bouddhiste nationaliste en Asie
Loin de l’image d’Epinal d’un bouddhiste éthéré et tolérant, la religion phare d’Asie est, dans des pays comme le Sri Lanka ou la Birmanie, sous l’influence grandissante de moines nationalistes aux sermons agressifs, notamment contre les musulmans.
La semaine dernière, dernier exemple en date de violences intercommunautaires: des foules bouddhistes ont mené des émeutes anti-musulmanes ayant fait au moins trois morts au Sri Lanka.
Non loin de là, en Birmanie, secouée par la crise des musulmans rohingyas, la figure de proue du nationalisme bouddhiste, le moine Wirathu, a renoué avec ses sermons enflammés. Il avait été interdit de prise de parole publique après s’être réjoui du meurtre d’un avocat musulman.
Et en Thaïlande voisine, où le nationalisme bouddhiste est néanmoins bien moins fort, un moine a fait scandale après avoir appelé à incendier les mosquées.
Pour Michael Jerryson, spécialiste des questions de religion à l’université américaine de Youngstown et auteur d’un récent livre sur bouddhisme et violence, cette religion n’échappe pas à la justification de la violence par des prétextes religieux.
« Il y a un état d’esprit commun, que ce soit au Sri Lanka, en Birmanie ou en Thaïlande (…) selon lequel le bouddhisme est menacé », explique-t-il à l’AFP.
Et la menace, selon ces bouddhistes soucieux de préserver la prédominance de leur religion dans leur pays, c’est l’islam. Et ce même si les musulmans y sont ultra-minoritaires, de l’ordre de quelques pour cent.
La destruction des statues de bouddhas de Bamiyan par les talibans en Afghanistan a profondément marqué l’imaginaire bouddhiste. Et l’ambiance globale de « guerre contre le terrorisme » contribue à l’islamophobie, à laquelle l’Asie n’échappe pas.
Supplantation démographique
Même si les minorités musulmanes sont implantées depuis des générations dans ces pays, les moines bouddhistes nationalistes agitent la menace de taux de natalité très élevés (c’est le cas des Rohingyas de Birmanie) – qui à plus ou moins long terme conduiront à une supplantation démographique comme en Malaisie ou en Indonésie.
En Birmanie, le moine Wirathu s’est fait le grand prêtre de ce complot musulman visant à éradiquer le bouddhisme – avec des discours si enflammés que sa page Facebook a été fermée.
Son mouvement Ma Ba Tha a une forte influence politique et a poussé notamment à la mise en place d’une loi restreignant le mariage interreligieux et le changement de religion.
« Je veux faire plein de choses pour ce pays. En tant que moine, je dénoncerai, critiquerai, louerai ou rejetterai », insiste-t-il dans une interview avec l’AFP, dénonçant le parti pris pro-rohingya de la communauté internationale comme un « cheval de Troie » mettant en péril la prédominance bouddhiste.
Au SriLanka, les militants bouddhistes tentent eux aussi de s’affirmer politiquement, n’hésitant pas à prendre la tête de manifestations et à en découdre avec la police.
Les Tigres tamouls n’étant plus considérés comme une menace depuis leur défaite en 2009, les musulmans, qui ne représentent que 10% de la population, se sont retrouvés la cible des nationalistes bouddhistes.
Figure de proue du mouvement BBS (pour « Buddhist force »), le moine srilankais Galagodaatte Gnanasara, libéré sous caution, est sous le coup de poursuites pour discours de haine et insulte au coran.
« Le coran devrait être banni du pays…. Si vous ne le faites pas, nous irons de maison et maison et militerons jusqu’à ce qu’il soit interdit », a-t-il récemment déclaré.
En Thaïlande, ce mouvement d’idée a moins prise, dans un pays où le clergé bouddhiste est globalement discrédité par des scandales de corruption et de détournements de donations.
« Du coup, les préjugés ethniques des moines y ont beaucoup moins de poids auprès du public et des autorités que leurs homologues en Birmanie ou au SriLanka », explique à l’AFP Sanitsuda Ekachai, éditorialiste thaïlandaise spécialiste des religions.
Cela n’empêche pas les tensions, notamment autour de l’extrême-sud de la Thaïlande, en proie à une rébellion indépendantiste musulmane qui s’en est parfois pris à des moines.
Mais cela n’a rien à voir avec ce qui se passe en Birmanie, où, si les moines ne prennent pas eux mêmes les armes, des groupes de civils influencés par leurs idées se forment.
Les moines n’agissent pas directement mais « justifient les violences menées par d’autres, que ce soient des milices, des civils, la police ou l’armée », analyse Iselin Frydenlund, de l’Ecole de théologie de Norvège.
En Birmanie par exemple, des milices bouddhistes sont accusés de s’être livrées à des exactions contre les Rohingyas lors de ce que l’ONU décrit comme une campagne d' »épuration ethnique », qui a poussé à l’exil au Bangladesh voisin de près de 700.000 Rohingyas.
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