La macronie se droitisant, qui reprendra le flambeau du centre en France ?
Le bloc central n’organise plus le pouvoir macroniste comme il l’avait fait depuis 2017. Cette reconfiguration ouvre un espace politique pour la présidentielle de 2027.
S’il fallait encore une preuve de la droitisation de la politique française, et plus particulièrement de la famille macroniste au pouvoir depuis 2017, elle a été livrée sur un plateau, le 8 février, avec la composition du gouvernement de Gabriel Attal élargi à ses ministres délégués et ses secrétaires d’Etat. Exit l’ancien ministre de la Santé Olivier Véran, le ministre du Travail bousculé au moment de la réforme des retraites Olivier Dussopt, ou le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, ex-chouchou d’Emmanuel Macron, Clément Beaune (même si celui-ci pourrait «rebondir» en conduisant la liste Renaissance aux élections européennes du 9 juin). Exit du gouvernement, en fait, l’aile gauche de la macronie, nourrie souvent d’anciens membres du Parti socialiste. En comparaison, l’équipe Gabriel Attal 1 compte huit ministres venus des rangs des Républicains, le parti de la droite classique…
C’est une vraie reconfiguration de l’espace politique avec la fin du bloc central qui l’organisait depuis 2017.
Ce constat a fait dire à Jérôme Jaffré, directeur du Centre d’études et de connaissance sur l’opinion publique (Cecop) et chercheur associé au Centre de recherches politiques de Sciences Po, dans une interview au Figaro, que la France vivait «une véritable reconfiguration de l’espace politique avec la fin du bloc central qui l’organisait depuis 2017». A la confrontation entre progressistes et populistes qu’Emmanuel Macron avait théorisée et exploitée lors de ses deux campagnes présidentielles victorieuses contre la dirigeante du Rassemblement national, Marine Le Pen, se substituerait, d’après le politologue, un clivage entre la droite extrême et la droite du centre.
Le coup d’éclat de Bayrou
Cette orientation, on a cru qu’elle pouvait signer la dislocation de la coalition présidentielle actuelle quand, le 7 février, le leader d’une de ses trois composantes (à côté de Renaissance et du parti Horizons, de l’ex-Premier ministre Edouard Philippe), François Bayrou, dirigeant du Mouvement démocrate (MoDem), a exprimé son mécontentement à propos de certaines orientations du gouvernement. Lui qui venait d’être relaxé par la justice, faute de preuves, au terme du procès des assistants parlementaires des eurodéputés de sa formation, soupçonnés de ne pas œuvrer que pour l’Union européenne (le parquet a cependant interjeté appel), s’est autorisé à critiquer la politique du Premier ministre sur l’éducation – «une différence d’approche sur la méthode à suivre qui me paraît rédhibitoire» – et sur la stratégie pour combler le fossé entre les citoyens de province et le gouvernement identifié, à tort ou à raison, à l’élite parisienne. «Sans accord profond sur la politique à suivre» dans ce dossier, François Bayrou aurait décliné une proposition de rejoindre le gouvernement.
Conséquence concrète: alors que certains le voyaient devenir ministre de l’Education, c’est Nicole Belloubet, lointaine adhérente du Parti socialiste, qui l’est devenue, elle qui lui avait succédé à la Justice quand il avait dû se retirer du premier gouvernement macroniste dirigé par Edouard Philippe, en 2017, à la suite des révélations sur le travail des assistants parlementaires MoDem. Conséquence plus diffuse: quel pourrait être l’impact de la tension, aussi clairement exprimée, entre le président Macron et celui qui l’avait fait roi en se ralliant à son projet lors de la campagne présidentielle de 2017? Chez François Bayrou, la critique, l’avertissement, la menace ne sont pas le préalable à la rupture, comme le rappellent les observateurs assidus de la politique française. Ils le sont d’autant moins, en l’occurrence, que le leader du MoDem a obtenu de conserver quatre ministres dans la version finale du gouvernement Attal. Le parti Horizons, lui, n’en a plus que deux. Mais on a moins entendu son chef, Edouard Philippe, qui a adopté une stratégie de distanciation par rapport au marigot politicien, différente de celle de son partenaire centriste.
La sortie de François Bayrou pourrait donc se réduire, en matière de répercussions sur la cohésion de la majorité, à un coup d’éclat politique et à une tempête dans un verre d’eau. Sauf qu’elle met en évidence un certain nombre de questions sur les futurs rapports de force politiques dans l’Hexagone, dans un contexte particulier.
Un Rassemblement national dominant
Les sondages sur les intentions de vote pour les élections européennes ne prédisent pas une bataille serrée entre le Rassemblement national et le parti présidentiel Renaissance, comme lors du scrutin précédent, en mai 2019, mais bien une victoire à plate couture du premier. L’écart se situe au-delà des dix points, avec 29,6% des voix exprimées en faveur du RN et 19% pour la formation macroniste. Suivraient le Parti socialiste-Place publique avec 9,3%, Europe Ecologie Les Verts (8,4%), La France insoumise (7,3%), Les Républicains (7,1%) et Reconquête (6,6%). Le long délai avant le scrutin, le fait que la campagne n’a pas encore véritablement commencé, l’absence de tête de liste désignée chez Renaissance alors que le RN peut bénéficier de la popularité de son président Jordan Bardella font que les chiffres pourraient sensiblement évoluer. Il n’en reste pas moins que l’extrême droite est en passe de conforter encore sa crédibilité et, corollairement, sa capacité à gouverner à d’autres échelons du pouvoir…
Evidemment encore plus aléatoires à trois ans de l’échéance, les études d’opinion sur l’élection présidentielle de 2027 confirment néanmoins ce surcroît de «présidentialité». D’après un sondage Ifop pour l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles, publié le 7 février, Marine Le Pen est donnée pour la première fois gagnante au second tour du scrutin face à différents adversaires. Elle l’emporterait aisément devant Jean-Luc Mélenchon (64% contre 36%) et de justesse contre Gabriel Attal (51% contre 49%). En revanche, elle devrait encore progresser pour défaire Edouard Philippe (50%-50%).
Le macronisme survivra-t-il à Emmanuel Macron?
Deux enjeux pour 2027
On l’observe dans la rivalité qui oppose à distance l’actuel et l’ancien Premier ministres, les questions de l’héritage du macronisme et de la représentation du centre seront cruciales dans la configuration de la compétition pour 2027. La droitisation du pouvoir actuel libère, au premier abord, un espace pour une incarnation forte au centre. François Bayrou n’a pas exclu, dans une interview à LCI le 11 février, de se représenter encore une fois. Mais, en regard de l’éclosion des jeunes loups de la politique française (Jordan Bardella, 28 ans, Gabriel Attal, 34 ans) et de ses échecs antérieurs, il est démonétisé.
A priori plus à droite qu’un Gabriel Attal puisque issu de la famille des Républicains, Edouard Philippe peut-il rassembler sur sa gauche? L’homme semble assez intelligent et ambitieux pour au moins ne pas s’aliéner une partie de cet électorat.
Le vide laissé par la dérive droitière du macronisme et l’affaiblissement du MoDem de Bayrou pourraient-il favoriser l’émergence d’une alternative de centre-gauche? On n’en voit pas le commencement d’une concrétisation parce que le Parti socialiste canal historique n’a toujours pas trouvé les ressources pour renaître et que le Parti socialiste du premier secrétaire Olivier Faure ne s’est pas encore émancipé de son alliance avec La France insoumise. Le résultat de la liste PS-Place publique aux européennes, emmenée par le fondateur de ce mouvement, l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, sera intéressant à analyser. Il pourrait renforcer le projet d’une autre voie que celle du partenariat avec l’extrême gauche au sein de la Nouvelle union populaire écologique et socialiste (Nupes), d’autant que la stratégie de son concepteur, Jean-Luc Mélenchon, irrite jusque dans ses propres rangs.
La représentation du centre d’ici à 2027 est donc incertaine. La question de la survivance du macronisme l’est tout autant. Gabriel Attal est aujourd’hui le légataire de l’héritage d’Emmanuel Macron. Mais sera-ce un handicap ou un atout à l’aube de la campagne présidentielle de 2027? Il serait hâtif de le décréter. Ce qui est sûr, c’est que le mouvement forgé sur un «en même temps» pouvant rassembler des électeurs de gauche et des électeurs de droite a perdu de son audace originelle pour faire figure aujourd’hui de parti de droite ou de centre-droit classique. Qui oserait affirmer qu’en cas deuxième tour de la présidentielle entre Marine Le Pen et un «macroniste nouvelle génération», les électeurs de gauche reporteraient en grand nombre leurs voix sur le second comme ils l’ont fait en 2017, et déjà moins en 2022? On aurait raison de ne pas le croire.
A l’aune de la réforme des retraites, de la loi immigration ou, dernière illustration en date, de la suppression envisagée du droit du sol dans le département de Mayotte en plein océan Indien, le gouvernement a mené depuis plusieurs mois une politique que le parti Les Républicains aurait pu mettre en œuvre. Il serait donc fondé à revendiquer aussi à l’avenir l’héritage du macronisme. Mais celui-ci finira par se diluer dans le renouvel- lement de l’offre politique, d’autant plus qu’Emmanuel Macron s’est toujours gardé de faire de sa structure partisane (En marche, La République en marche, puis Renaissance) un parti solide avec des figures fortes. Le macronisme lui survivra-t-il? Ou sera-t-il balayé dès la première élection où il ne se présentera pas? Rendez-vous en 2027.
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