Jean Papadopoulos
« La Macédoine, histoire d’une hystérie »
L’ « affaire macédonienne », comme on la nomme dans les cercles diplomatiques, peut paraître à l’observateur ingénu comme une de ces querelles de clocher insignifiante et absurde. C’est méconnaître l’histoire de la région et l’Histoire tout court.
Tout commence avec la chute de la Yougoslavie et l’insistance de l’Allemagne à reconnaître séparément l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie. Ce soir- là, les Grecs devront sortir de leur léthargie imposée et rappeler au bon souvenir de nos amis et alliés qu’il existe dans le sud de la Yougoslavie un problème nommé « macédoine ».
Le noeud gordien n’est pas tant la dénomination de « la république de Macédoine », mais bien la persuasion de tout un peuple arrivé au 7ème siècle dans les Balkans, qu’il est l’héritier d’Alexandre le Grand et qu’il a des droits sur l’ensemble des territoires de la Macédoine!
Dans la grande redistribution des cartes de la fin du 19ème siècle, les Bulgares créeront une identité macédonienne slavophone dans le but de récupérer ce territoire sur l’Empire ottoman d’abord et sur les autres états balkaniques ensuite, dont la Grèce et la Serbie. Au 20ème siècle, les fascistes bulgares vont occuper le nord de la Grèce pendant la Seconde Guerre mondiale, avant que les communistes grecs et bulgares ne perpétuent l’idée d’une nation macédonienne avec le regard tourné clairement sur la mer méditerranée et l’ouverture d’un accès au grand frère soviétique.
Et pendant que se distillait cette nouvelle nation « macédonienne » dans des alambics que chauffaient les mêmes feux que ceux qui ont incendié toute l’ex-Yougoslavie, le silence des Grecs était interprété d’abord comme une résignation forcée, puis comme une acceptation rationnelle devant le fait accompli…
Mais les Grecs en ont marre!
Marre d’avoir toujours été l’enfant sage et poli des alliés, marre d’avoir été du côté des vainqueurs dans les deux grands conflits mondiaux, et de n’avoir jamais été récompensés pour tous leurs combats pour la démocratie, pour la liberté, pour le modèle occidental…
Marre de voir la Turquie dictatoriale, irrespectueuse des droits fondamentaux, menaçante et belliqueuse sur toutes ses frontières, puissance occupante à Chypre (un pays membre de l’Union européenne) , être caressée dans le sens du poil – alors qu’il y a eu Gallipoli, le génocide arménien et la non-participation à la Seconde Guerre mondiale…alors qu’elle massacre à Afrin ceux qui se sont battus pour nos valeurs contre Daesh…
Marre d’avoir dû se taire sur les velléités territoriales d’un état-voisin fabriqué de toute pièce pour s’autoproclamer « macédonien » avec pour seul objectif, la revendication de la vraie macédoine et de son accès à la mer, principalement via le port de Thessalonique.
Nous avons d’abord dû nous taire pour ne pas provoquer de tension pendant la Guerre Froide, ensuite nous avons dû nous taire pour ne pas rajouter de l’huile sur le feu yougoslave post-communiste mais pendant ce temps, tout un peuple a été formaté dans un des plus grands mensonges révisionnistes de l’humanité.
Mais les Grecs en ont aussi et surtout marre de leurs dirigeants plongés dans l’impasse d’une occupation économique, qui bradent par procuration tous les bijoux de famille via une société anonyme. Toute cette frustration culmine sur un sujet d’identité nationale, sujet légitime mais catalyseur de toutes les vexations…
Voilà, on y est, sur la pente dangereuse de l’irrationnalité – on nous prend tout et même notre identité, mais voilà que de l’autre côté, on y croit aussi dur comme fer à cette nouvelle identité fabriquée ex nihilo qui transforme l’Histoire en hystérie!
Bien évidemment, aucune guerre ne va éclater entre Grecs et Slaves qui habitent cette région, en tout cas pas dans un avenir proche.
Le but de cette nouvelle manoeuvre diplomatique est d’éloigner le spectre de Poutine et d’intégrer cette petite république instable dans l’OTAN et l’UE.
Alors pourquoi nos alliés mettent-ils, encore une fois, la pression sur la Grèce pour qu’elle soit docile et qu’elle accepte ce que personne d’autre n’accepterait ?
Prenant la parole à la grande manifestation d’Athènes contre le révisionnisme, le compositeur et icône des luttes démocratiques de la Grèce moderne, Mikis Théodorakis, a commencé son discours sur la tribune en ironisant « Mes chers héllènes, mes frères fascistes, racistes, terroristes, anarchistes, casseurs… » car telle est l’image que tout un système a voulu donné à cette manifestation…
Mais ne nous trompons pas, les centaines de milliers de Grecs descendus dans les rues d’Athènes ce dimanche ne sont pas encore des fascistes, des racistes, des terroristes ou des anarchistes, mais la crise économique avec l’appauvrissement incessant et les humiliations répétées d’un parlement qui vote des lois écrites, en Anglais (sic) par la Troïka, le cataclysme migratoire avec l’abandon de ces âmes errantes en mer Egée et le déni même à la dignité par l’outrageuse usurpation de l’histoire ne seront plus longtemps supportables.
Et les réactions de la plupart des médias qui limitent leur analyse à une dispute sur un simple nom, et qui négligent dans le même temps son poids sémantique, ne font que rajouter de l’huile sur le feu…
Après huit années de prosternement et d’opprobre, et trois années d’un gouvernement de gauche qui a rendu les armes sans livrer bataille, l’affaire macédonienne a servi de soupape pour libérer un ras-le-bol fondé.
Dans le monde d’aujourd’hui, l’histoire qui s’écrit après cette énième crise économique risque d’être une énième répétition tragique de désastres qu’on croyait révolus!
Or, les Balkans ont toujours été au coeur des pires drames…
« Telle est la négligence que l’on apporte en général à rechercher la vérité, à laquelle on préfère les idées toutes faites », disait Thucydide
Pour toutes ces raisons, mais principalement pour raison garder, l’enseignement de l’Histoire dans nos écoles reste une nécessité.
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