La liberté d’expression, un droit controversé
Une récente étude danoise sur la liberté d’expression révèle que la plupart des personnes et des nations soutiennent fermement la liberté d’expression en principe, mais émettent des réserves en pratique.
L’enquête mondiale intitulée « Who Cares about Free Speech ? » (Qui se soucie de la liberté d’expression ?) a été réalisée par YouGov pour le groupe de réflexion juridique Justitia. Ce groupe de réflexion danois vise « à promouvoir l’État de droit et les droits fondamentaux de l’homme et de la liberté, tant au Danemark qu’à l’étranger, en éduquant et en influençant les experts politiques, les décideurs et le public. »
L’enquête pose aux citoyens de 33 pays d’Europe et du monde des questions sur leur attitude à l’égard de la liberté d’expression en principe et teste leur attitude lorsqu’ils sont confrontés à des discours controversés et à des compromis. Cela révèle que la plupart des personnes et des nations soutiennent la liberté d’expression en principe, mais émettent des réserves en pratique.
Le rapport indique que « Le soutien au principe de la liberté d’expression est très élevé, avec une moyenne d’environ 90 % dans tous les pays, mais il chute considérablement lorsqu’il est mis à l’épreuve par des valeurs prétendument concurrentes telles que des déclarations offensantes pour la religion et les groupes minoritaires ou des déclarations divulguant des informations susceptibles de déstabiliser l’économie nationale. »
La liberté d’expression en danger ?
Les résultats de l’enquête indiquent entre autres, que les Scandinaves et les Américains sont les plus favorables à la liberté d’expression, suivis des citoyens d’Amérique latine, d’autres régions d’Europe, d’Australie, d’Israël et des démocraties d’Asie de l’Est (Japon, Corée du Sud et Taïwan) qui affichent également un soutien relativement fort.
En revanche, le soutien à la liberté d’expression est plus faible en Russie, en Turquie, dans d’autres régions d’Asie et en Afrique. Les scores les plus faibles sont obtenus par L’Égypte, le Kenya, le Pakistan, la Malaisie et la Tunisie. Ce score, calculé sur la base de l’indice de liberté d’expression Justicia est composé de questions telles que « devraient-ils avoir le droit de dire ce qu’ils veulent sans l’interférence du gouvernement ? Les médias devraient-ils avoir le droit de rapporter ce qu’ils veulent ? Devraient-ils avoir le droit d’être sur Internet, etc. » ou encore des aspects plus controversés de la liberté d’expression comme « le droit d’offenser la religion, les minorités d’insulter les drapeaux nationaux, etc. »
Selon Jacob Mchangama, fondateur et directeur de Justicia, la question de la liberté d’expression se pose particulièrement aujourd’hui. Il a tenu à réaliser cette enquête car, pour lui, « on vit dans un monde digital où les gens dans le monde ont accès à la parole et à l’information et cela soulève la question de savoir où se situe la limite de la liberté d’expression ». L’enquête démontre que le soutien à la liberté d’expression varie considérablement d’un pays à l’autre. Sur les résultats de l’enquête, il explique : « je pense que l’une des théories est qu’en fin de compte, une culture de la liberté d’expression est plus importante que la protection juridique de la liberté d’expression. Donc si les gens ne soutiennent pas la liberté d’expression, il est peu probable que celle-ci soit protégée. C’est donc ce que nous voulions découvrir. »
Un droit universel ?
Si la liberté d’expression est un droit supposément universel, il n’est certainement pas universellement compris de la même manière. Jacob Mchangama explique que la liberté d’expression est définie différemment suivant les pays ou encore les cultures.
Ce droit constitutionnel n’a toutefois pas été défini par Justicia lors de l’enquête. « Nous n’avons pas de définition précise, mais nous avons demandé aux gens, justifient-ils. En fait, ce que nous voulions découvrir dans cette enquête, c’est comment les gens définissent eux-mêmes la liberté d’expression. Car ce que nous constatons, c’est que, si nous demandons aux gens dans l’abstrait s’ils soutiennent la liberté d’expression, la plupart des gens dans le monde diront oui, ils pensent que c’est un principe très important, mais ensuite, lorsque vous les interrogez plus spécifiquement sur des tâches plus controversées de l’expression, nous pouvons voir que la définition de la liberté d’expression n’est pas universelle. »
Comment expliquer ce fossé entre la théorie et la pratique ? L’une des explications principales de l’étude est que nous manquons globalement d’une culture de la liberté d’expression, c’est-à-dire que tout en étant inscrit dans les textes de lois, ce droit n’est cependant pas complètement imprégné par la société. Le directeur de Justicia continue, « vous pouvez donc constater que les pays qui soutiennent le plus la liberté d’expression et ceux qui la soutiennent le moins sont culturellement différents. » Les raisons de ces différences varient aussi selon les contextes sociopolitiques et culturels, « par exemple, il a été surprenant pour nous de voir que la Hongrie et le Venezuela sont assez élevés sur l’indice de liberté d’expression. Cela semble suggérer que les pays qui ont bénéficié d’une certaine liberté d’expression traditionnelle ont tendance à l’apprécier lorsque le gouvernement la supprime. Et puis vous avez des pays comme le Kenya, par exemple, où il y a eu des conflits ethniques, où les gens ont beaucoup plus d’appréhension à l’égard de la liberté d’expression et la considèrent peut-être comme plus dangereuse. »
L’objectif de Justicia est de se battre pour que ce droit soit respecté et compris, tout comme l’indique le rapport en citant George Orwell : « si la liberté d’expression signifie quelque chose, c’est le droit de dire aux gens ce qu’ils ne veulent pas entendre. »
Angèle Bilégué.
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