La guerre secrète et sous-marine menée par la Russie: « C’est plus que suspect »
La Russie intensifie ses opérations d’espionnage en mer du Nord. Des faux bateaux de pêche ou des sous-marins y épient méticuleusement certaines infrastructures critiques. Une guerre hybride, invisible, mais dont les conséquences sont redoutées par l’Occident. « Les Russes exploitent cet élément à 100% et misent sur notre vulnérabilité », estime le Colonel Kris Quanten, membre de l’Ecole royale militaire (ERM). « Les câbles sous-marins sont très peu protégés et les communications pas toujours chiffrées », pointe Axel Legay (UCLouvain), expert en cybersécurité. Que risque l’Europe face à cette bataille navale 2.0 et a-t-elle les armes pour se défendre ?
Des bateaux de pêche russes qui ne pêchent pas. Et qui s’arrêtent systématiquement à des endroits stratégiques en mer du Nord. Le comportement n’est plus suspect, il est irréfragable. Une enquête conjointe menée par des radiodiffuseurs publics scandinaves est pour le moins édifiante, et relance les craintes quant à des opérations de sabotage de la Russie dans les eaux occidentales. Elles viseraient tous types d’infrastructure : parcs éoliens, gazoducs, et câbles électriques sous-marins.
Ce n’est pas la première fois que ces soupçons remontent à la surface. La Russie s’adonnerait à ce genre de pratiques depuis plusieurs années. En novembre 2022, la Belgique avait d’ailleurs accusé les Russes d’espionnage en mer du Nord. Selon les services de renseignement, un navire du Kremlin avait tenté de cartographier l’infrastructure énergétique belge.
Ce même navire -l’Admiral Vladimirsky- a visiblement fait de la mer du Nord son espace de prédilection. C’est le même engin qui est visé par l’enquête scandinave. « Il est la preuve que la Russie est très active dans la guerre hybride », constate le Colonel Kris Quanten, membre de l’Ecole royale militaire (ERM). Ce qu’on voit en Ukraine est la guerre visible. Mais un autre conflit, invisible, se concentre sur les liens névralgiques de l’Europe dans le but de les cartographier plus précisément. »
Une « bombe électronique » de la Russie ?
Si la situation en Ukraine devient critique pour la Russie, elle pourrait, grâce à cet espionnage en amont, lancer des opérations hybrides pour déstabiliser l’Occident. « L’avantage est de pouvoir provoquer des dégâts de façon anonyme ou presque, puisque tout se passe sous l’eau. Couper des câbles électriques peut provoquer un chaos énorme », alerte Kris Quanten.
L’expert craint que les Russes parviennent à placer une « bombe électronique » sur un réseau d’approvisionnement, et qu’un virus puisse alors neutraliser tout le système de gestion des centrales électriques. « On n’est pas encore dans cette phase de sabotage, tempère-t-il. Mais ce wake-up call lancé par l’enquête démontre que l’Occident est très vulnérable. Il est clair que la Russie essaie de jouer là-dessus. »
D’autant plus que le Kremlin jouit d’une liberté totale dans cet exercice. Autour de ces infrastructures critiques, qui se situent en eaux internationales, la circulation est libre. « L’Occident n’a pas le droit d’intervenir. La Russie exploite cet élément à 100%. A certains endroits, le navire Admiral Vladimirsky a fait 180 va-et-vient à la hauteur d’un câble stratégique. C’est plus que suspect, mais il en a le droit. »
Pour le Colonel, l’Europe doit miser sur la dissuasion, « c’est-à-dire montrer aux Russes qu’on connaît leurs intentions en envoyant des navires à leur hauteur et les surveiller. Ainsi qu’installer davantage de systèmes de détection sur les parcs éoliens. La Belgique joue un rôle important à cet égard. »
Un sabotage en mer est-il considéré comme une attaque territoriale ?
L’autre grande interrogation est de savoir si un potentiel sabotage peut ou doit être considéré comme une attaque territoriale par l’OTAN. « L’Alliance peut considérer qu’il s’agit d’une menace directe. Mais pas d’une agression conventionnelle. L’invocation du fameux article 5 est donc incertaine. La réponse doit être proportionnelle, avec les moyens que les Etats estiment nécessaires. Et donc pas spécialement une implication de troupes », précise Kris Quanten.
Pour Axel Legay (UCLouvain), expert en cybersécurité, le nombre élevé de câbles qui passent par l’Europe augmente le taux de vulnérabilité. « Les câbles sont très peu protégés et les communications pas toujours chiffrées. Faire de l’espionnage est facile. Mais si on parle de destruction, comme ce qui est arrivé avec Nord Stream, c’est plus complexe à exécuter. »
Selon le spécialiste, il ne faut pas céder à l’alarmisme. « Si un seul câble est saboté, d’autres porteront la charge. Cela créera un peu de désorganisation, sans être spectaculaire. Il faudrait une grande quantité de sabotages pour désorganiser le réseau. Le cas échéant, ce serait très visible et l’auteur serait vite identifié », rassure-t-il.
Si le risque que des virus ou des wipers se propagent en raison d’une vulnérabilité technique est bien réel, l’Europe se débrouille très bien dans sa défense cyber, estime Axel Legay. « Avec toutes les tentatives russes, si on n’avait pas une bonne protection, on serait en grande difficulté depuis un moment. »
L’OTAN réalise le même travail d’espionnage envers les infrastructures russes, mais de façon plus vertueuse et défensive. « La Russie est plus dans une logique offensive. Mais n’oublions pas qu’il y aussi de l’espionnage entre alliés », précise l’expert en cybersécurité.
Récemment, la Défense belge a créé une nouvelle composante cyber pour protéger nos réseaux informatiques. Une excellente nouvelle, pour Axel Legay, « car elle travaille avec les autres secteurs de l’Etat. Dans une optique de bouclier de défense européen, comme annoncé par Thierry Breton, le fait que chaque Etat sanctuarise sa cybersécurité est important. »
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