La guerre du français enflamme le Québec
Les autorités de la Belle province ont adopté une loi pour renforcer l’usage du français et lutter contre l’emploi d’autres langues, dont l’anglais, préféré par les immigrants. Tollé chez les anglophones.
Aux confins du pays des caribous et de la poutine, la guerre des langues est déclarée. Le champ de bataille? Le Québec. Les belligérants? Le gouvernement provincial d’une part, les anglophones et les immigrants non francophones d’autre part. L’ adoption par le parlement québécois de la loi 96, sur la langue officielle et commune du Québec, le français, échauffe les esprits. Québec veut en endiguer le déclin dans la province et en renforcer l’usage.
Selon une étude de l’Office québécois de la langue française (OQLF), chargé de protéger la langue, «en 2016, 30% des personnes de langue maternelle anglaise et 23% des personnes de langue maternelle autre avaient déclaré être incapables de soutenir une conversation en français au Québec». Alors, pour freiner la régression de l’usage de la langue de Molière, le gouvernement a créé, le 1er juin, un ministère de la Langue française, dont le titulaire est le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette. Une première, suivie d’une déclaration choc du Premier ministre du Québec, François Legault: «C’est peut-être une question de temps avant qu’on ne devienne une Louisiane.»
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Comités de francisation
Il faudra parler français dans les entreprises de plus de 25 salariés. Il suffit actuellement de la présence d’un anglophone dans une réunion pour que les francophones se soumettent à l’anglais. Pourtant, rien ne l’exige. C’est ce que Simon Jolin-Barrette veut changer dans les services publics. «Le réflexe naturel qu’il y avait dans l’Etat québécois était de les servir (NDLR: les immigrants qui ne parlaient pas français) en anglais. C’est ce qu’on veut éviter.» Objectif? En finir avec ce que les Québécois osent parfois appeler «une mentalité de colonisé», face aux anglophones. Désormais, si un patron ne peut pas prouver que l’usage du français est généralisé dans sa société, il devra créer un comité de francisation pour que les salariés l’apprennent. Tout comme les immigrants. Ils auront six mois après leur arrivée au Québec pour apprendre la langue de leur pays d’accueil.
Le ministère de l’Education ajoute également plusieurs cours de français dans les collèges anglophones et plafonne le nombre de ces derniers. Plus largement, tout l’espace public sera assujetti au français. En cas de non-respect de la loi, les autorités comptent sur l’OQLF pour distribuer des amendes allant jusqu’à 30 000 dollars canadiens (environ 22 000 euros). L’OQLF pénalise déjà les commerces dont les panneaux d’affichage sont en anglais.
Francophobie latente
La loi 96 étonne, mais elle s’explique. Les huit millions et demi de Québécois sont noyés dans une Amérique de plus de 350 millions d’anglophones, une menace pour la survie du français. Pire, le gouvernement canadien, dirigé de facto par des anglophones, ne l’a, au-delà des beaux discours, jamais véritablement protégé. Le quotidien montréalais La Presse, pourtant fédéraliste, faisait remarquer, le 10 juin, que la Loi constitutionnelle de 1867 est rédigée en anglais et n’a jamais été traduite en français!
Le réflexe naturel était de servir les immigrants qui ne parlaient pas français en anglais. C’est ce qu’on veut éviter.
Si le temps des années 1970 où les vendeuses anglophones de la grande chaîne de magasins Eaton tonnaient «Speak White» (parlez Blanc) lorsqu’une personne leur parlait en français à Montréal est révolu, la volonté de parler la langue du Québec, surtout, n’est pas là. Au contraire. Une infime minorité de Canadiens anglais parlent le français. Le PDG d’ Air Canada, Michael Rousseau, vit à Montréal depuis 2007. Il a défrayé la chronique ces derniers mois pour avoir dit qu’il n’avait pas eu le temps d’apprendre le français. Air Canada, dont seule une petite partie du personnel parle le français hors Québec et destinations francophones, est l’objet de milliers de plaintes.
S’il demeure aisé d’être servi en français dans les campagnes, de plus en plus de propriétaires indiens ou chinois de commerces montréalais lui préfèrent l’anglais. «We don’t speak french», lançaient récemment les deux employés hindous d’un café Tim Hortons, rue Saint-Denis, en plein cœur francophone de Montréal. La situation se dégrade à tel point que l’OQLF a reçu 2 534 plaintes de citoyens n’ayant pu être correctement servis en français dans la province en 2014 et 6 292 en 2021! La défiance envers le fait francophone reste bien ancrée chez les anglophones.
Enjeu nationaliste
Furieux, ceux-ci contesteront la loi 96 devant les tribunaux. Si les anglophones de Montréal ont mené plusieurs manifestations pour s’opposer à l’usage du français, la presse canadienne anglaise, elle, s’est déchaînée. Certains anglophones appellent au boycott de commerces francophones, telle cette boulangerie montréalaise, tenue par un Français qui refuse de servir ses clients en anglais. Au-delà du Clochemerle, la loi 96 est plus ambitieuse.
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François Legault, le Premier ministre, veut contrôler l’immigration au Québec, dont plus de 40%, non francophone, est imposée par Ottawa. Le chef du gouvernement canadien, Justin Trudeau, lui a opposé une fin de non-recevoir et la Belle province devrait continuer à accueillir des immigrants qui ne parlent pas français. Le refus de Trudeau, perçu par les Québécois comme le chantre du multiculturalisme et de l’assimilation des Québécois dans le creuset canadien anglais, pourrait être une formidable opportunité pour François Legault de courtiser des électeurs indépendantistes à quelques mois d’élections générales au Québec.
Le chef du gouvernement québécois fut un ministre indépendantiste dans les années 1990, avant de rejoindre la Coalition Avenir Québec (CAQ), un parti nationaliste et populiste. Bien des observateurs estiment que François Legault est toujours indépendantiste. S’il a, au cours de son mandat entamé en octobre 2018, posé peu à peu les bases d’un Québec de plus en plus souverain, où le français devient la règle absolue, le chef québécois se garde bien de dévoiler ses intentions sur la souveraineté. Et de conclure, fin mai devant ses troupes lors du congrès de la CAQ: «Je demande, aux prochaines élections, un mandat fort pour aller négocier avec le gouvernement fédéral. C’est une question de survie pour notre nation!»
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