La génération « nini » et la jeunesse perdue
Se lever tard, traîner au parc, s’affaler devant la télévision: à 18 ans, Carlos Cabilla remplit ses journées comme il peut. Il est « nini », ni étudiant, ni en quête d’emploi, comme près de 30% des jeunes Espagnols, perdus par les faiblesses du système éducatif, un thème de campagne pour les législatives.
Carlos Cabilla vit à Segunda Aguada, quartier ouvrier de Cadix (sud), ville portuaire de 122.000 habitants. Du linge pend aux fenêtres des immeubles aux peintures défraîchies et une supérette vante ses produits alimentaires à moins d’un euro. Ici, le taux de chômage frise les 37%, contre 21% au niveau national. Il dépasse 60% chez les moins de 25 ans.
« J’ai commencé un cours de coiffure » à 15 ans, témoigne le jeune homme, barbe brune et sourire timide sous les multiples piercings et tatouages. « J’ai fait un trimestre et j’ai arrêté ».
Depuis, plus rien, hormis quelques petits boulots en trois ans. Ses journées se suivent et se ressemblent. « Je me lève vers midi, je passe l’après-midi avec des amis dans un parc, on discute, on fume (des joints), jusqu’à 22 ou 23h00 heures » avant de rentrer dans l’appartement où vivent son père et sa compagne, son frère de 22 ans et son demi-frère de 13 ans. La soirée se termine devant la télévision ou un jeu vidéo.
Carlos n’est pas une exception. Beaucoup de jeunes ont abandonné leurs études dans les années 2000 pour travailler dans la construction, florissante jusqu’à l’explosion d’une bulle immobilière en 2008 qui a précipité le pays dans la crise, laissant nombre d’entre eux au bord du chemin.
Selon l’OCDE, plus de 27% des Espagnols de 15 à 29 ans sont déscolarisés et sans emploi, contre 15% en moyenne parmi les 34 pays de l’organisation (chiffres 2013). Ils « sont menacés d’exclusion sociale car ils ont abandonné les études et la recherche d’emploi ».
‘Je suis mou’
« C’est la génération nini », résume l’oncle de Carlos, Antonio Garcia, 38 ans, lui-même au chômage depuis trois ans, par ailleurs militant du parti antilibéral Podemos, qui dirige la ville. « Avant, c’était très facile de rêver, aujourd’hui non », se désole Ramon Cabilla. « Aujourd’hui (les jeunes) se réunissent, ils sont aigris et ils ne parlent pas de leur avenir parce qu’ils n’en ont pas. » Son fils, skateur à ses heures, confirme: « Je ne sais pas comment peut être mon avenir, je ne sais même pas ce que je vais faire cet après-midi ». « Démotivé »: c’est ainsi que le décrit son père, Ramon Cabilla, un employé du conseil régional au visage affable. « Je suis inquiet, mais je ne peux rien faire d’autre que faire avec. Je ne vais pas le mettre à la rue! », dit-il, expliquant que Carlos a beaucoup souffert du divorce de ses parents quand il était enfant. Carlos a pourtant un rêve: tatoué depuis ses 15 ans – cou, torse, bras, main – il voudrait devenir tatoueur. Doté d’un joli coup de crayon, il se constitue peu à peu un book de dessins.
Il explique ne pas avoir d’argent pour une formation de tatoueur, 700 euros, ou avoir raté les inscriptions pour cette année. « Je suis mou », avoue-t-il. Malgré les encouragements de son père et de son oncle, il n’est pas inscrit à l’agence pour l’emploi. « Elle n’est d’aucune utilité », soupire son jeune oncle en évoquant le manque d’emploi criant dans la région et d’argent pour les formations professionnelles. « Il y a un manque d’ambition de la part des institutions » pour aider ces jeunes, dénonce Victor Rebola du Conseil de la jeunesse. Pour cette association l’Espagne doit développer les formations courtes pour lutter contre le décrochage scolaire, touchant 22% des jeunes, un record au sein de l’UE.
Anna Laborda, professeure en économie à l’école de commerce Esade, à Madrid, confirme la faiblesse de l’apprentissage et autres études courtes, contrairement à ce qui existe en Allemagne. « Il n’y a pas de formation pratique qui soit réellement utile », et cela prive l’Espagne de salariés qualifiés à tous les niveaux, avertit-elle. En attendant, Carlos se permet timidement de croire que les choses peuvent changer. Quand il votera pour la première fois de sa vie, aux législatives le 20 décembre, ce sera pour Podemos.
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