Claude Demelenne

La gauche française se suicide en direct et le spectacle est fascinant (carte blanche)

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

C’est un spectacle rare. Fascinant. Une famille politique se suicide sous le feu des projecteurs. La gauche française se prépare à une raclée historique.

A treize mois du scrutin présidentiel, une seule certitude : la gauche fait naufrage. Il n’y a pas de canot de sauvetage. La pagaille et la désunion règnent. Au final, la gauche sera ridicule. Au premier tour, elle sera devancée par Marine Le Pen, Emmanuel Macron et, sans doute, un candidat des « Républicains ».

La gauche sera absente du second tour. Elle l’aura bien cherché. La moindre apparition médiatique de ses multiples prétendants à l’Elysée est une catastrophe. Elle leur enfonce un peu plus la tête sous l’eau. Spectacle fascinant d’une famille politique qui se suicide. Aveuglement de ses porte-drapeaux qui se crêpent le chignon pendant que le navire coule. Sans même un regard sur les quelques rares bouées de sauvetage, empilées sur le pont.

La politique du pire

Un sondage Ifop réalisé début mars pour l’hebdomadaire ‘Marianne’, mesure l’étendue du désastre. Si le premier tour de l’élection présidentielle avait lieu aujourd’hui, Jean-Luc Mélenchon (La France Insoumise) atteindrait péniblement la barre des 10%. Anne Hidalgo (PS) plafonnerait à 8% et Yannick Jadot à 6%. Si l’on ajoute 2% pour le candidat communiste et le traditionnel 1% pour les deux listes trotskystes, la gauche « pèse » 28% au premier tour. Une misère.

Un autre résultat de ce sondage en dit long sur le désarroi d’une partie des électeurs de gauche, prêts à adopter la politique du pire en faisant élire la candidate d’extrême droite. En cas de second tour Le Pen-Macron, 25% seulement des électeurs de Mélenchon voteraient pour Macron, 28% pour Le Pen, tandis que 47% voteraient blanc ou s’abstiendraient. Macron l’emporterait malgré tout contre Le Pen, mais de justesse (53%-47%).

Mélenchon, l’insulte permanente

Dans les journaux et sur les plateaux télé, les candidats potentiels de gauche plaident tous, la bouche en coeur, en faveur de l’ « union ». Mais dans les faits, ils préparent la candidature présidentielle de leur petite boutique. Le plus pathétique est Jean-Luc Mélenchon. Eternel ‘loser’ de la scène politique française, il est candidat président pour la troisième fois. Il n’a aucune chance de franchir le premier tour. Il a passé ces dernières années à insulter à peu près tout le monde : ses adversaires de droite, ses anciens camarades socialistes, les juges, les journalistes, Charlie Hebdo… Et il s’est brouillé avec nombre de ses amis qui ont claqué la porte de La France Insoumise, ne supportant plus ses incohérences, ses sautes d’humeur, sa dérive autocratique.

Un gauchiste d’opérette

Mélenchon est un gauchiste d’opérette, qui accumule les paradoxes. Il crache sur la social-démocratie mais idolâtre François Mitterrand. Il joue au grand humaniste mais est fasciné par Vladimir Poutine. Il se dit rassembleur, mais révulse beaucoup d’électeurs de gauche, par sa violence verbale et son profil caractériel. Dans un ouvrage récent – « Gauche : les questions qui fâchent », éd. Les Petits Matins – Denis Sieffert, éditorialiste du magazine de gauche antilibérale, ‘Politis’, a des mots terribles pour qualifier « l’inquiétant » Mélenchon, « pro-russe sur un mode inconditionnel, affichant un faible pour les hommes forts (Poutine, Chavez, Maduro…), utilisant des techniques de désinformation à propos du conflit syrien, évoquant la pure tradition stalinienne , multipliant les contre-vérités au profit de Bachar Al-Assad et de Poutine ». Dans la course présidentielle, Jean-Luc Mélenchon est un repoussoir. Une redoutable machine à faire perdre la gauche.

Parti Communiste français (PCF), le retour

Lors de la dernière présidentielle, les communistes avaient appelé à voter pour Mélenchon au premier tour. Cette fois, ils comptent présenter leur propre candidat. En 2017, le soutien à Mélenchon avait été adopté de justesse, par 53,6% des militants communistes. Ceux-ci ne sont pas masos. Ils sont excédés par l’attitude agressive de Mélenchon à leur égard. Dans son livre (voir ci-dessus), le journaliste Denis Sieffert cite ce « SMS haineux », révélé par le Canard Enchaîné, adressé le 4 mai 2017 à l’ex secrétaire général du PCF, Pierre Laurent, pourtant un ami politique : « Vous êtes la mort et le néant « .

Le PCF ne « pèse » plus que 2% dans les intentions de vote, mais sa décision de partir seul au combat électoral émiettera encore un peu plus la division de la gauche.

Les chapelles vertes

Les écologistes français (Europe Ecologie les Verts – EELV) sont persuadés que leur heure est venue. Ils imaginent qu’un des leurs pourrait créer la surprise et s’installer à l’Elysée, en 2022. Rien de moins ! Pourquoi cette euphorie ? Parce que EELV a réalisé un bon score lors des élections européennes de 2019 (à relativiser : 13,47%, c’est tout sauf un raz-de-marée, même si c’est nettement mieux que les 6,3% de LFI) et a remporté quelques grandes villes lors du scrutin municipal de 2020.

Un représentant d’EELV comme candidat d’union de la gauche rouge-verte ? Pas évident, car rien n’est jamais simple chez les écologistes français. Traditionnellement, ils sont divisés en plusieurs chapelles. Cette fois, c’est rebelote. La logique voudrait que le candidat vert soit Yannick Jadot, le plus solide, le plus expérimenté. C’est lui qui a conduit la liste verte lors des dernières élections européennes. Il n’est pas du genre sectaire, tout sauf un khmer vert, pour faire référence au slogan cher aux anti-écolos primaires.

Les écologistes, pas des grands stratèges

Yannick Jadot est sans doute le seul vert à pouvoir faire bonne figure dans la compétition présidentielle. Mais voilà, il ne fait pas l’unanimité en interne. On ne change pas une formule qui perd : à EELV, on a coutume de couper les têtes qui dépassent. Beaucoup d’ écologistes seront tentés de cibler le « grand » Jadot, lors de la « primaire » que les Verts ont programmé en septembre.

Eric Piolle, maire de Grenoble réélu l’an dernier, piaffe d’impatience. Il est populaire dans sa ville, mais est fort peu connu à l’échelle nationale. On ne se construit pas une notoriété en quelques mois. Piolle risque de ne pas faire le poids au premier tour de l’élection présidentielle. Par esprit de contradiction, les militants d’EELV pourraient le choisir pour porter leur couleur, en septembre prochain. Stratégiquement, ce ne serait pas très malin. Mais par le passé, les verts français ont rarement été de grands stratèges.

Hidalgo et la crise de la social-démocratie

La maire de Paris, Anne Hidalgo, est la seule socialiste susceptible de faire un score oscillant autour de 10% à la présidentielle. Mais le parti socialiste français n’est plus que l’ombre de lui-même. Comme quasiment tous les PS européens – un peu moins en Belgique francophone – il subit les retombées de la crise existentielle de la social-démocratie. Hidalgo ne sauvera pas la gauche française. Le pouvoir de blocage dont dispose Mélenchon condamne celle-ci à l’impuissance. Après le naufrage, en 2022, il faudra tout reconstruire. La traversée du désert, pour la gauche, risque d’être longue.

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