La défaite de Liz Cheney est, en quelque sorte, la victoire de Trump sur le conservatisme traditionnel
La récente défaite de la républicaine Liz Cheney face à une pro-Trump dans le Wyoming expose au grand jour les bouleversements d’un parti républicain qui avec l’ancien président s’éloigne du conservatisme traditionnel pour s’axer autour d’une personnalité.
La déroute de Mme Cheney mardi n’acte pas simplement son départ prochain de la Chambre des représentants, où elle avait une voix à part, mais signe aussi le vif rejet d’une ligne anti-Trump par les électeurs républicains.
Liz Cheney s’est alignée sur les positions de Donald Trump lorsqu’il était président, dans 93% de ses votes à la Chambre. Mais son péché est d’avoir depuis critiqué ouvertement le milliardaire au sein d’un mouvement politique qui semble de moins en moins ouvert à la dissidence.
« Je pense que le parti républicain est aujourd’hui dans un sale état, et je pense que beaucoup de travail nous attend« , a déclaré Mme Cheney mercredi matin à NBC. « Cela pourrait s’étaler sur plusieurs cycles électoraux, mais je pense que ce pays a besoin d’un parti républicain ancré sur le fond, sur les principes, sur une doctrine », a-t-elle poursuivi. « Un parti qui a, à l’inverse, soutenu pleinement Donald Trump et son culte de la personnalité, détourne le regard ».
De nombreux présidents républicains, de Ronald Reagan à George W. Bush, ont fait face à des oppositions internes. Mais les débats sur les personnes n’éclipsaient que rarement les orientations fondamentales du parti: baisse des impôts, libre-échange, un pouvoir fédéral faible et une armée puissante.
Une doctrine indéfinie
Mais le « Grand Old Party », ou GOP, est désormais uni autour d’un homme qui n’a que peu d’égards pour les codes du conservatisme traditionnel. « Le parti républicain n’est plus le ‘parti de Reagan’ ou le ‘parti de Nixon’ », estime Aron Solomon, conseiller juridique pour l’agence de marketing Esquire Digital. « C’est un parti qui s’était perdu et qui a désormais trouvé sa voie. Mais, pour beaucoup, cette voie est effrayante », analyse-t-il auprès de l’AFP.
Si la doctrine surnommée « Reaganomics » est devenue une référence claire au néolibéralisme, l’idéologie derrière le « trumpisme » est plus difficile à cerner au-delà d’un populisme teinté de nationalisme. S’il porte la marque d’une forme d’affranchissement des règles usuelles de la politique, le « trumpisme » suggère aussi un certain « culte de la personnalité » autour de l’ancien président, ainsi que l’a décrit Liz Cheney.
Pourtant, Donald Trump, qui traite ses détracteurs républicains de « RINO » (« Republicans in name only », « qui n’ont de républicain que le nom »), n’a pas été lié à ce parti depuis toujours.
Le magnat de l’immobilier était républicain dans les années 1980, mais s’est ensuite affiché comme indépendant et même un temps comme démocrate, parti qu’il a financé.
Abandon du programme
La métamorphose du parti républicain peut aussi se voir dans la comparaison, à 40 ans d’écart, entre deux conventions nationales, ces grands-messes qui adoubent les candidats avant une élection présidentielle. En 1980, le parti mené par Ronald Reagan publiait un programme d’une soixantaine de pages, avec des propositions détaillées sur la fiscalité, la protection sociale, les transports, l’immigration, les droits des femmes, la santé, etc. Pour le lancement de la campagne de réélection de Donald Trump en 2020, le parti républicain a abandonné l’actualisation de son projet politique pour simplement soutenir le président-candidat et ses priorités, aussi floues soient-elles.
« Malheureusement, les principes républicains semblent perdus« , écrivait alors dans une tribune Sean O’Keefe, ministre sous George Bush père. « Rien n’expose mieux cela que l’absence d’un programme républicain pour 2020 ».
L’emprise de Donald Trump sur le parti est devenue manifeste quand plus des deux tiers de ses élus à la Chambre des représentants ont refusé de certifier la victoire de Joe Biden à la présidentielle, quelques heures seulement après l’assaut du Capitole mené par des partisans d’un président qui ne voulait plus quitter le Bureau ovale. Et, preuve supplémentaire de sa mainmise, des dix élus conservateurs qui avaient voté en faveur de sa seconde mise en accusation à la Chambre des représentants en janvier 2021, seuls deux tenteront de garder leur siège à la Chambre lors des élections législatives de cet automne: quatre ont refusé de se représenter, quatre autres ont été défaits lors des primaires.
Liz Cheney, qui appartient à cette dernière catégorie, a cependant promis de « tout faire » pour que l’ancien président n’accède plus jamais à la Maison Blanche, ne fermant pas la porte à la possibilité de se présenter elle-même en 2024.
Mais pour l’analyste Aron Solomon, Mme Cheney aurait plus de succès sur les ondes que dans les urnes. « Il est plus que probable que Liz Cheney se transforme en commentatrice de radio ou de télévision », estime-t-il. « Cela lui irait bien et elle touchera davantage d’électeurs qui écoutent vraiment ».
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