« La crise vénézuélienne reflète le rapport de force entre la Russie et les USA sur la scène internationale »
Depuis plusieurs semaines, la Russie et les États-Unis se livrent un bras de fer diplomatique à travers la crise au Venezuela. Une illustration d’une bataille d’influence mondiale, où chacun essaie de tirer son épingle du jeu. Interview.
La Russie a envoyé ces derniers jours des militaires au Venezuela. Une décision politique vivement critiquée par les États-Unis, qui y voient une tentative d’ingérence. Les deux pays ne cessent de se renvoyer la balle, se livrant à une guerre de communication et d’influence à travers ce pays en crise. Nous faisons le point sur ce rapport de force avec Sebastian Santander, professeur de Sciences politiques et relations internationales à l’ULiège.
levif.be : Qu’espère la Russie en se positionnant physiquement au Venezuela ? Agit-elle vraiment dans l’intérêt du pays, ou est-ce un prétexte pour placer ses pions vis-à-vis, notamment, des États-Unis ?
Sebastian Santander : Si une puissance envoie du soutien militaire, c’est pour soutenir le régime – ici le gouvernement de Nicolas Maduro – avec qui elle a des relations dans un certain nombre de domaines, comme le pétrole ou la vente d’armes. La Russie de Vladimir Poutine cherche à contrebalancer la présence et la puissance américaines en Amérique latine, mais aussi dans le monde. Cette volonté de contrebalancer les États-Unis s’enracine dans une sorte de jalousie, de critique de cette présence américaine, qui touche aussi d’autres pays comme la Chine ou l’Iran. Ils essaient de mener leur politique étrangère de la manière la plus indépendante possible, sans répondre à des ordres qui seraient donnés par Washington.
L’alliance entre la Russie et le Venezuela n’est pas nouvelle, elle a presque vingt ans. Et Poutine veut absolument la préserver. Les Russes ne veulent pas perdre un allié qui a un discours antiaméricain depuis la tentative de coup d’État contre Chavez en 2002. C’est par rapport à ce discours critique envers les États-Unis que Russes, Chinois, Vénézuéliens et autres se retrouvent. De plus, on estime à environ 17 milliards les investissements russes au Venezuela, notamment dans le domaine de l’armement et du pétrole. Les Russes craignent de ne plus jamais revoir cet argent si le gouvernement de Maduro venait à chuter.
Cette volonté de contrebalancer l’influence américaine se joue à travers le monde. Le Venezuela n’est donc qu’une partie d’un échiquier politique (beaucoup) plus grand ?
Durant ces vingt dernières années, l’Amérique latine a très peu intéressé les États-Unis. Mais maintenant qu’un conflit met en exergue la présence de puissances régionales extérieures, les États-Unis commencent à s’en préoccuper.
La situation au Venezuela est une illustration de ce qui se joue entre les États-Unis et la Russie depuis l’arrivée de Poutine au pouvoir en 1999. Les années 90 ont été catastrophiques pour la Russie, avec une spirale de déclins. Poutine veut faire en sorte que la Russie retrouve sa grandeur en tant que puissance mondiale, un peu comme à l’époque de l’Union soviétique, où elle contrôlait de nombreux territoires sur différents continents. À son arrivée au pouvoir, Poutine va donc essayer de redorer le blason de la Russie sur la scène internationale, de s’opposer aux politiques menées par les États-Unis et qui ne lui plaisent pas… Cela a notamment été le cas lors de l’intervention américaine en Irak, ou dans le cas plus récent de la Syrie. Les Russes ont souvent refusé de soutenir des changements de régime dans le monde, notamment initiés ou aidés par les Américains.
La Russie considère aujourd’hui que les États-Unis sont en train d’appuyer un changement de régime au Venezuela, qui serait d’après eux une procédure illégale. La crise vénézuélienne est une crise qui va au-delà de ses frontières et qui reflète le rapport de force mondial que Russes et Américains se livrent aujourd’hui. Un tableau dans lequel on peut également insérer la Chine, qui s’est rapprochée de la Russie et qui se sent attaquée à plusieurs niveaux par les États-Unis.
Nous sommes pour l’instant dans une guerre des mots entre les dirigeants russes et américains. Les États-Unis sont-ils susceptibles de répondre aux Russes sur le terrain ? Ou cette bataille d’influence reste-t-elle purement diplomatique ?
Avec Donald Trump, on ne sait jamais ce qui peut arriver puisqu’il a toujours joué sur l’imprévisibilité de son caractère et de son mandat. Mais il serait exagéré de considérer que les États-Unis puissent intervenir militairement au Venezuela. Sur le plan institutionnel et politique, je ne crois pas que Trump aurait l’appui suffisant s’il souhaitant le faire. C’est une question qui divise aux États-Unis. Certains sont très va-t-en-guerre. Au sein de l’administration Trump, il y a des gens qui considèrent que l’Amérique latine est encore leur « arrière-cour ». Il y en a quelques-uns dans ce cas au sein de l’équipe de Donald Trump, comme le conseiller à la sécurité nationale John Bolton, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo ou encore le représentant spécial pour le Venezuela Elliott Abrams. Ils ont beaucoup de mal à concevoir que des acteurs extérieurs, des puissances extrarégionales puissent pénétrer la région, développer des relations économiques, commerciales, mais aussi militaires avec ces pays-là. Mais au sein de la Chambre, il y a une vingtaine de députés, notamment démocrates, qui sont très critiques envers la position de l’administration Trump à l’égard du Venezuela.
Le but des États-Unis est plutôt de montrer les muscles et d’envoyer un message interne. Il y a une grande communauté vénézuélienne dans la région de Miami, ce sont des opposants au régime en place, qui ont fui leur pays et qui sont soutenus notamment par la communauté cubaine. Ils représentent un réservoir de votes. Et on entre tout doucement dans la campagne électorale pour les prochaines présidentielles de 2020. Il faut envoyer des messages fermes à l’égard de cette communauté en leur disant : « nous sommes avec vous, nous avons adopté une position ferme à l’égard du gouvernement de Maduro ».
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