« La crise du coronavirus est due à l’hyperactivité humaine »
L’épidémie de coronavirus est la conséquence de l’hyperactivité humaine, analyse le paléoanthropologue Pascal Picq, spécialiste des grands singes. Il est temps de concevoir l’humanisme non en opposition mais en harmonie avec le bien-être animal et le respect des écosystèmes. Et de tirer les leçons d’un confinement que l’animal social qu’est l’homme a globalement bien respecté.
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Une épidémie comme celle du coronavirus consacre- t-elle une revanche de l’animal sur l’homme ?
Non, ce n’est pas une revanche de la nature. L’épidémie du coronavirus est la conséquence de l’hyperactivité humaine qui nous met en contact avec le virus. Plus une espèce a du succès, plus elle cause de gros problèmes liés à cette réussite. Je suis un baby-boomer. Depuis que je suis né, il y a une soixantaine d’années, la population mondiale a été multipliée par trois. Nous avons augmenté notre espérance de vie, notre confort de vie, notre consommation, nos voyages. Bref, nous avons connu une évolution comme jamais, certes inégale, sur la Terre. L’humanité n’a jamais été aussi nombreuse et aussi active avec des conséquences pour ce qui est de la consommation d’aliments, de matières premières et d’énergie. Au bout d’un moment, pareille évolution finit par poser des difficultés d’adaptation. Nous y étions déjà confrontés avec le dérèglement climatique et la perte de la biodiversité. D’un seul coup, la pandémie de Covid-19 nous rappelle que les répercussions de ce comportement peuvent être brutales.
Je suis d’une famille de paysans. Mais je ne sais pas comment entretenir un potager.
Sauf confirmation de l’hypothèse d’un accident dans un laboratoire de Wuhan, l’origine de la crise n’est pas un élevage industriel de poulets mais un marché d’animaux sauvages, relativement artisanal, en Chine. La mondialisation n’est-elle pas un peu rapidement condamnée ?
Depuis cinq siècles et la Renaissance, l’humanisme, qui est une belle idée, consiste à considérer que l’homme est au centre de la nature et qu’il peut se libérer des lois divines et des contraintes de la nature. Cette pensée dominante pose deux problèmes. Un, même si ce n’est pas le sujet de notre entretien, elle a complètement oublié les femmes. Deux, elle a été appréhendée en opposition à la nature. L’Occident l’a déployée de manière extrêmement rapide. Quand le mur de Berlin et le bloc soviétique se sont effondrés il y a un quart de siècle, le politologue américain Francis Fukuyama a décrété la » fin de l’histoire « . Le triomphe du monde libéral, de la démocratie et du libre-échange consacrait un modèle qui ne pourrait pas être dépassé. Les pays émergents de l’époque ont suivi cette voie à leur manière, en premier chef la Chine. Les activités humaines ont donc connu une extension jusque dans des parties du monde où les populations exerçaient encore des activités traditionnelles. Des contacts avec des populations plus exposées à des virus ont toujours existé. Simplement, ces virus n’entraient pas du tout dans le circuit mondialisé du commerce, du transport et des échanges. Le virus Ebola avait fourni une première illustration de cette diffusion. Mais – ce que je vais dire est terrible – nous, Occidentaux, avons eu la chance que ce virus tuait rapidement et qu’il n’avait pas le temps de se diffuser. On est soulagé aujourd’hui que le Covid-19 ne soit pas virulent. Mais il est pire. Ce coronavirus est une vacherie qui, sans même parfois se manifester, a une diffusion hallucinante. A Wuhan, ville de onze millions d’habitants, a eu lieu la rencontre entre deux écosystèmes qui ne devaient pas se rencontrer.
Cette crise devrait-elle nous réapprendre à vivre avec les autres êtres vivants ?
Plus de la moitié de la population mondiale est urbanisée, y compris en Afrique. Ce phénomène a entraîné une déperdition des savoirs agricoles. Moi-même, je suis issu d’une famille de paysans. Pourtant, je ne sais pas comment entretenir un potager. Il faut se rendre à l’évidence. Ce savoir est perdu et on ne reviendra pas en arrière. Qu’est-ce ce que cela implique ? Il faut développer une politique qui maintienne et préserve les écosystèmes sauvages. Dans cette perspective, le développement du tourisme et, en particulier, de l’écotourisme est un danger. Au nom d’une quête écologique, des Occidentaux se retrouvent dans des milieux où ils ne devraient pas être. Ils doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas accéder à ces écosystèmes sauvages comme s’ils allaient à Venise, à Dubrovnik ou en Floride.
Faut-il davantage réprimer le commerce des animaux sauvages ?
Trois grands trafics cohabitent dans le monde. Par ordre décroissant des sommes d’argent qu’ils engendrent, il s’agit des trafics de drogue, d’armes et d’animaux sauvages. Nous sommes face à un vrai problème de société. Des gens voient un petit orang-outan à la télévision et se disent qu’ils aimeraient en posséder un alors que sa famille est à la limite de l’extinction. Sans parler des nouveaux » animaux de compagnie « , reptiles ou autres, qui sont hyperdangereux. Nous payons les conséquences d’une méconnaissance de la nature, de l’évolution et des écosystèmes… La santé humaine ne pourra pas être préservée sans respecter le bien-être animal et les écosystèmes. Cet objectif est porté par le projet One Health, une seule santé. Un exemple. La peste porcine a sévi il y a une quinzaine d’années. Personne ou presque n’en a parlé. Il s’agissait pourtant d’un problème sanitaire mondial qu’il importait d’éradiquer, et pas seulement pour les animaux. Même chose pour la peste bovine. La tendance à considérer que seule la santé des humains est le véritable humanisme domine encore. Regardez le transhumanisme qui prétend faire abstraction de la nature, y compris humaine, et voit dans la technique la réponse à tous les défis…
Comment jugez-vous l’attitude de l’homme occidental face au confinement ?
Cette crise sanitaire met en exergue l’acquis des libertés. Elles n’ont jamais été aussi nombreuses et partagées qu’au sein du monde occidental d’aujourd’hui. J’appartiens à la première génération qui n’avait connu ni guerre, ni catastrophe naturelle, ni épidémie majeure. Pour mes parents, la Seconde Guerre mondiale était un traumatisme. Ils me parlaient des privations, des limitations de libertés, etc. Elles n’ont plus existé depuis. Et, d’un seul coup, nous y sommes confrontés. Or, malgré ce contexte inédit, la population respecte globalement les règles de confinement, même en Espagne, en Italie ou en France, pays dont les populations sont réputées être réfractaires aux contraintes. La crise sanitaire nous rappelle ce qu’est la vie en société, une préoccupation qui n’était plus au coeur de nos cultures depuis au moins cinquante ans.
Le développement de l’écotourisme est un danger.
Le virus est un test de l’efficacité de nos systèmes sociaux et politiques, avez-vous écrit. Quel premier bilan tirez-vous de l’action publique ?
Je tire trois premières leçons de la crise. Une leçon sociale. On devra réfléchir à la reconnaissance au sens large, par le respect et par le salaire, des titulaires de professions dont le caractère essentiel a été rappelé par l’épidémie. Le Premier ministre britannique Boris Johnson a été gonflé de remercier le personnel du système hospitalier national quand on sait dans quel état son parti l’a plongé. J’espère qu’il aura compris l’importance de son financement. Une leçon d’économie. Bien sûr, la mondialisation a apporté d’énormes bienfaits via le développement de la Chine, de l’Inde ou d’une partie de l’Afrique. Il n’empêche qu’on a poussé trop loin la recherche de réduction des coûts. Il faut réfléchir aux conséquences du capitalisme managérial et financier dont l’objectif est la rentabilisation maximale, et, en tant que citoyen occidental, à l’impact de nos comportements d’achat. Est-il normal d’acheter un tee-shirt en coton deux euros alors que son coût environnemental, en production de CO2 ou en consommation d’eau, et son coût social, par le travail des enfants qu’il implique, est beaucoup plus élevé ? D’ailleurs, cette réflexion a déjà été lancée. En août 2019, à New York, la Business Roundtable, fédération des patrons américains, s’est interrogée sur l’accentuation des inégalités et la détérioration de la planète pour conclure que ce n’était plus soutenable, sous peine de mettre en péril les activités de ses membres. Le souci est que, depuis vingt ans, l’euphorie du développement, notamment en Chine, nous a confortés dans l’idée que ce modèle était formidable parce que tout le monde en profitait.
Et votre troisième leçon de la crise ?
Elle a trait à l’impact des inégalités sociales. On critique l’Europe pour le coût de son système de protection sociale. Mais on voit bien, à l’occasion de cette crise, l’effet tampon qu’il joue pour atténuer ses effets. J’avais prévenu, à l’époque, que la destruction de l’Obamacare (NDLR : réforme du système de protection sociale adoptée en 2010 et permettant à un plus grand nombre d’Américains d’être couverts par une assurance maladie) par Donald Trump allait coûter extrêmement cher aux Américains. On l’observe aujourd’hui. Une étude de psychologues américains a montré que plus les inégalités sont grandes dans une société, plus le malaise psychologique y est répandu, et ce dans tous les milieux.
La particularité d’une épidémie n’est-elle pas qu’elle suscite une peur partagée mais que ses conséquences sont loin de l’être ?
Au vu de la façon dont les épidémies nous touchent, nous sommes tous vulnérables quelle que soit notre position dans la société. D’où cette peur sous-jacente. Mais quand on analyse les particularités des uns et des autres, toutes classes sociales confondues, au plan épidémiologique par rapport au virus, on constate que les différences que nous produisons nous-mêmes peuvent constituer des facteurs aggravants, en fonction des statuts et des discriminations.
Va-t-on assister à un retour vers l’humain ?
Oui. Mais tout dépend de ce que l’on met derrière le terme humain. Je suis fatigué, en tant qu’anthropologue, d’entendre les discours des DRH des entreprises sur l’humain. Il faudra développer un humanisme qui soit plus favorable aux générations futures.
Bio express
1954 : Naissance le 22 janvier à Bois-Colombes (France).
1991 : Intègre le Collège de France où il mène des recherches sur l’évolution du crâne des hominidés.
1999 :Publie Les Origines de l’homme. L’odyssée de l’espèce (Tallandier).
2007 :Lucy et l’obscurantisme (Odile Jacob).
2017 : Qui va prendre le pouvoir ? Les grands singes, les hommes politiques ou les robots (Odile Jacob).
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