« La créature échappe à son démiurge » : Boris Nadejdine, l’anonyme qui pourrait faire de l’ombre à Poutine (analyse)
Boris Nadejdine peut-il déboulonner le maître du Kremlin ? Alors que cet opposant à la guerre en Ukraine a récolté les 100.000 signatures nécessaires à sa participation à la présidentielle russe, la Commission électorale pourrait encore rejeter sa candidature.
Amorcer le « début de la fin de l’ère Poutine ». Telle est l’ambition nourrie par Boris Nadejdine en vue de la présidentielle russe, prévue mi-mars. À 60 ans, celui qui se présente comme le « candidat de la paix » vient tout juste de récolter les 100.000 signatures indispensables à sa participation. Une première victoire pour cet inconnu du grand public, qui œuvrait jusqu’alors plutôt en coulisses.
Originaire de Tachkent, en Ouzbékistan, Boris Nadejdine a d’abord brillé dans le domaine de la physique avant de se lancer en politique, à l’aube des années 2000. Hormis un bref passage comme député à la Douma (la chambre basse du parlement russe) entre 1999 et 2003, le libéral s’est surtout cantonné aux fonctions électives locales. Proche de l’opposant Boris Nemtsov, assassiné en 2015, Nadejdine a notamment été élu municipal à Dolgoproudny, dans la région de Moscou. « Il n’a jamais été une figure de premier plan, concède Aude Merlin, chargée de cours en science politique à l’ULB. Mais en même temps, il incarne une certaine endurance et longévité politique. »
Le feu vert du Kremlin
À première vue, son profil était loin de représenter une menace pour le Kremlin. Sa candidature relevait d’ailleurs à l’origine d’un pari. « Quand ils m’ont empêché de me présenter pour le poste de gouverneur de Moscou, j’ai dit ‘Eh bien, je ferai mieux : je me présenterai aux élections présidentielles ! », confiait-il fin janvier au média russe Meduza. Méprisé par le clan poutinien, le champ lui a été laissé libre pour déposer sa candidature. « Le Kremlin lui a en quelque sorte donné son assentiment, au moins pour démarrer, analyse Aude Merlin. Si le pouvoir russe n’approuvait pas sa participation, il aurait usé de divers moyens pour l’empêcher de récolter ses signatures, comme cela a été le cas avec Ekaterina Dountsova (écartée de la course pour « vice de forme » dans sa candidature, NdlR). Mais il l’a donc tacitement laissé franchir les premières étapes . »
Plusieurs hypothèses peuvent justifier cette stratégie. « D’une part, Moscou peut vouloir entretenir l’illusion d’une élection présidentielle plurielle et tenter de la rendre légitime sur la scène internationale, observe la spécialiste de la Russie et du Caucase. D’autre part, laisser Nadejdine amorcer sa campagne permet aussi de mesurer le degré de protestation dans la population russe, notamment au sein de la frange opposée à la guerre en Ukraine. »
C’est en effet sur cette idéologie anti-belliqueuse que capitalise Boris Nadejdine. S’il est élu, l’ex-député promet de mettre un terme aux combats et à la « militarisation » de la Russie. Férocement opposé aux ambitions expansionnistes de Poutine, il s’engage également à « libérer tous les prisonniers politiques ». Visiblement, ses promesses électorales séduisent. Durant plusieurs jours, des centaines de Moscovites ont bravé le froid et la neige pour venir apposer leur paraphe à sa candidature. « Son opposition au conflit constitue une sorte de plateforme fédératrice pour tous ceux qui sont restés au pays tout en étant en colère contre le pouvoir», analyse Aude Merlin.
Vers une disqualification?
Soutenu par Ioula Navalny, figure de la résistance russe, ainsi que par d’autres opposants politiques, l’élu local gagne en popularité. Au point de faire capoter le pari du clan poutinien ? « Il est possible que le cours des choses ait surpris le Kremlin et qu’en un sens, la ‘créature’ échappe à son démiurge, illustre l’experte de l’ULB. Ce qui pouvait relever au départ d’une stratégie de contrôle de la part des autorités pourrait être en train de dévier de la trajectoire prévue. »
Le pouvoir russe semble désormais déterminé à mettre des bâtons dans les roues de Boris Nadejdine. Vendredi soir, la Commission électorale centrale, chargée de statuer sur son dossier dans les prochains jours, a indiqué que des « erreurs » avaient été constatées dans sa candidature. Nikolaï Boulaïev, vice-président de la Commission, insinue notamment que des signatures auraient été falsifiées. Il a convoqué l’ex-député à Moscou, lundi.
Le Kremlin dispose également d’autres ressources pour contenir Nadejdine si, d’aventure, il venait à se montrer trop embarrassant. « Le pouvoir russe ne manque jamais d’imagination pour neutraliser les personnes qui l’incommodent, rappelle Aude Merlin. Les outils à disposition sont pluriels et peuvent aller d’un « kompromat » (la diffusion de documents compromettants, NdlR) à une limitation d’accès au débat médiatique. Sans parler de formes plus violentes d’intimidation, qu’on a pu voir par le passé. »
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