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« La communauté internationale a complètement abandonné l’Afghanistan »

Olivier Mouton Journaliste

Inévitable, l’arrivée au pouvoir des talibans se fait plus vite que prévu, souligne Dorothée Vandamme (UMons). Les conséquences pour les femmes afghanes, la sécurité internationale et les migrations seront douloureuses.

Dorothée Vandamme est chargée de cours à l’UMons et chargée de cours invitée à l’UCLouvain. Spécialiste de l’Afghanistan et de la région, elle analyse l’importance de la progression fulgurante des talibans, qui vont bientôt s’en prendre à la capitale, Kaboul.

La situation en Afghanistant est-elle préoccupante? Etait-ce inéluctable après le départ des troupes américaines?

Le scénario auquel on assiste n’a rien de surprenant, dans la mesure où les talibans n’ont jamais caché leur volonté de revenir au pouvoir et de rétablir un émirat islamique en Afghanistan. C’est ce à quoi l’on assiste aujourd’hui. Franchement, c’était prévisible: ce qui est surprenant, c’est la vitesse à laquelle ça se passe.

C’est d’autant plus prévisible que les Américains, et les Occidentaux de manière générale, ont annoncé une date de départ très proche. Tout se fait rapidement et brutalement. Le fait que la base de Bagram soit déjà vide, c’est alarmant et cela facilite la progression des talibans. La différence de nombre est certes favorable à l’armée nationale afghane, forte de 180000 hommes, face aux talibans, qui ont entre 85000 et 100000 soldats, mais cette armée dépend fortement de l’entraînement et de l’équipement venu de l’extérieur.

On se souvient des images terribles des talibans au pouvoir dans les années 1990, appliquant une charia stricte. Ont-ils changé, malgré leur volonté de « lisser » leur image, diplomatiquement?

Les talibans n’ont pas changé: ils s’inspirent toujours du wahhabisme saoudien et prônent une charia très stricte.

Ils sont aujourd’hui en quête d’une reconnaissance internationale, ils souhaitent éviter de reproduire l’isolement total qui était le leur à la fin des années 1990, quand ils ont pris le pouvoir. Ils sont à la recherche de ponts diplomatiques pour que leur gouvernement, une fois établi, soit reconnu, ce qui permettrait d’établir une longévité. Economiquement aussi, c’est vital pour eux.

Mais quand on voit les textes des engagements des talibans, notamment sur la question très symbolique des droits des femmes, ils restent extrêmemen vagues. C’est d’un flou absolu! Ils défendent une rhétorique plus rassurante, mais on n’a aucun indication sur la façon dont cela se passerait de manière concrète. La gouvernance talibane, ce sont des femmes voilées de la tête au pied, qui ne peuvent absolument rien faire. Le maintien de certaines avancées obtenues ces dernières années risque d’être compromis.

C’est un abandon de la communauté internationale? Avec le risque de créer un vivier de radicalisme et de terrorisme?

De mon point de vue, oui, on abandonne purement et simplement l’Afghanistan. Il n’y a pas d’autre mot que ça.

L’opinion publique occidentale ne comprenait plus cette opération. Les dirigeants ont répondu à cette demande en retirant les troupes. Oui, c’est un abandon.

En reprenant le pouvoir, les talibans vont potentiellement rétablir un territoire qui pourrait servir de sanctuaire à d’autres groupements terroristes. Les talibans eux-mêmes ne sont pas une menace terroriste pour les pays occidentaux, ils ont un objectif national en Afghanistan. Mais on pourrait arriver à une situation à ce pays serve de sanctuaire pour Al Qaida qui est toujours là, une branche de l’Etat islamique présente sur le terrain, des groupes qui ont des liens avec eux.

Tous les pays voisins tendent la main aux talibans parce qu’ils n’ont pas d’autre choix. Ils craignent un scénarion similaire au passé.

Le contexte géopolitique est précaire, en outre, avec le conflit syrien, le rôle ambigü de la Turquie…

Tout à fait. La donne géopolitique a changé et les talibans le savent pertinemment bien. Eux n’ont pas changé leur idéologie, mais ils sont capables de s’adapter, comme quand le numéro deux des talibans rencontre le ministre chinois des Affaires étrangères ou quand ils sont en lien avec l’Iran chiite. C’était inimaginable il y a vingt ans. On ouvre ses portes-là parce que ces pays n’ont pas d’autre choix.

La crainte d’une vague migratoire préoccupe l’Europe et la Belgique, à raison?

Pour nos pays, en Occident, ce sera le premier enjeu avant le terrorisme. En Belgique, les Afghans sont déjà la première nation parmi les demandeurs d’asile. On sait que l’on va avoir une vague migratoire massive en provenance de ce pays dans les prochains mois, que l’on ne sera pas capable de gérer.

C’est d’ailleurs ce qui a amené la Belgique à écrire à l’Union européenne en lui demandant de négocier un pacte avec Turquie, sur le mode de celui conclu pour la Syrie. Mais on ne peut pas systématiquement payer la turque pour qu’elle garde les réfugiés, ce n’est pas possible!

D’un point de vue politique et social, on doit absolument se préparer à gérer cette masse de réfugiés pour éviter un drame humanitaire similaire à ce que les Syriens ont connu.

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