La Chine va-t-elle vraiment livrer des armes à la Russie? « La CIA a des taupes bien placées »
La CIA en est convaincue : la Chine s’apprête à livrer des ‘armes létales’ à la Russie. La Maison Blanche envisagerait même de divulguer des renseignements édifiants. Quelles conséquences provoquerait une aide chinoise à la Russie dans la guerre en Ukraine? Et, plus globalement, sur l’ordre économique mondial? Eclairage avec Tanguy De Wilde D’Estmael, spécialiste en relations internationales (UCLouvain).
Comme un air de déjà-vu. Pour prédir l’avenir, les renseignements américains semblent lire les bonnes cartes. Un rapide regard dans le rétro nous rappelle que les services secrets outre-Atlantique ont souvent un coup d’avance. Comme lorsqu’ils alertaient, plusieurs jours avant le début de la guerre en Ukraine, d’une invasion imminente de la Russie. Et ce alors même que le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, se montrait peu inquiet. La suite, on la connaît.
Cette fois, une autre escalade de taille est redoutée par la CIA. Celle d’une potentielle aide militaire de la Chine à la Russie. Pour le directeur de la Central Intelligence Agency, William Burns, la probabilité de voir ce soutien se réaliser est grande. « Nous sommes convaincus que les dirigeants chinois envisagent la livraison d’équipements meurtriers », a-t-il annoncé à la chaîne CBS.
Il s’agirait d’un sacré revirement par rapport au discours des renseignements américains, il y a un mois de ça, qui qualifiaient la Chine comme « très réticente » à « fournir l’équipement létal qui intéresse tant la Russie ».
Des indices de livraisons chinoises à la Russie? Deux possibilités
Alors, cette nouvelle mise en garde américaine est-elle fondée, ou sonne-t-elle davantage comme un nouvel avertissement envers la Chine ? « On connaît la pertinence des services secrets américains. Ils ont des taupes bien placées », relève Tanguy De Wilde D’Estmael, spécialiste en conflits internationaux (UCLouvain).
Pour lui, deux éléments peuvent expliquer cette nouvelle alerte américaine. « Soit ils ont percé des intentions grâce à des relais sur place. Soit ils ont repéré un déplacement d’armes lourdes par satellites. S’il s’agit de fournitures d’armes massives, c’est très visible. Un peu comme un déplacement de troupes. » La Maison Blanche, qui envisagerait de divulguer des renseignements édifiants, pourrait donc révéler un de ces deux types de preuves dans les jours ou les semaines qui viennent.
Le risque d’assister à une possible escalade dépendrait cependant de la nature des livraisons. Et de l’interprétation qu’en font les Occidentaux. « Fournir des fusils, ce n’est pas très grave. Le marché noir le fait déjà, d’ailleurs. Fournir des missiles longue portée, c’est différent », distingue Tanguy De Wilde D’Estmael.
Russie et Chine: comme un roc
Cela dit, la Chine a présenté, vendredi dernier, un rapport sur sa position par rapport au conflit. Si ce document peut avoir des allures de plan de paix, la prudence reste de mise. « C’est assez original dans le chef de la Chine. Ce document distribue les bons et les mauvais points de chaque côté, mais il n’indique en tout cas pas que la Chine va se lancer à corps perdu dans le conflit », analyse Tanguy De Wilde D’Estmael.
La Chine ne revendique toutefois pas une neutralité. Loin de là. « Elle a tout de même rappelé quelques principes qui lui sont chers, comme le respect de la souveraineté et la nécessité de négociations directes. Cela peut déplaire à la Russie. Mais d’un autre côté, elle a aussi critiqué les sanctions occidentales ou les alliances militaires qui s’étendent, en visant clairement l’OTAN », selon l’expert en relations extérieures de l’UCLouvain.
La Chine adopte une position où elle tente de se mettre au-dessus de la mêlée, tout en étant compréhensive de l’attitude de la Russie.
Tanguy De Wilde D’Estmael
Le penchant pro-russe de l’Empire du Milieu est relativement clair. Le ministre chinois des affaires étrangères Wang Yi a récemment rappelé que l’amitié entre la Chine et la Russie était solide comme le roc. « Les deux pays sont dans des instances de coopération. Dans le cadre des BRICS ou de l’organisation de coopération de Shanghai. Il n’y a donc pas vraiment de neutralité. La Chine adopte une position où elle tente de se mettre au-dessus de la mêlée, tout en étant compréhensive de l’attitude de la Russie », estime Tanguy De Wilde D’Estmael.
L’économie comme garde-fou
Economiquement, la Chine n’a plutôt pas intérêt à se couper des Occidentaux, et inversement. Vu la structure de commerce entre l’Union Européenne et la Chine, le pays asiatique est un partenaire massif d’importation. « C’est le premier partenaire pour l’UE. Et c’est un partenaire très important pour les Etats-Unis et le Japon également. Si la Chine soutenait massivement la Russie, on rentrerait dans un grand clivage. Cette polarisation mettrait en péril l’idée de la globalisation économique », souligne De Wilde D’Estmael.
La Chine, partenaire encore insignifiant il y a 40 ans, avec à peine 1% du PIB mondial, pèse aujourd’hui 18% de ce même PIB. « Economiquement, la Chine, c’est tout autre chose que la Russie. La Russie avait une qualité de fournitures, surtout en lien avec les produits énergétiques. Mais pas une quantité immense. Les Chinois cumulent quantité et qualité, » compare le spécialiste en relations internationales.
Si la Chine soutenait massivement la Russie, on rentrerait dans un grand clivage. Cette polarisation mettrait en péril l’idée de la globalisation économique.
Tanguy De Wilde D’Estmael
Enfin, la Chine n’a pas une politique étrangère de foucade, selon De Wilde D’Estmael. « On joue plutôt sur le long terme, avec l’échéance 2049 en ligne de mire, où la Chine estime qu’elle sera alors la première puissance mondiale. Elle a pour but de relancer les anciennes routes de la soie, qui lui confèreront une excellente connectivité pour son commerce. C’est son objectif, tout en prônant un monde multipolaire et un respect strict de la souveraineté. Mais aussi un monde où il n’y ait pas de critiques sur les régimes politiques, car elle considère que son régime autoritaire est efficace. Et le seul possible pour diriger un pays de plus d’1 milliard d’habitants. »
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