Kukës, la ville qui cachait une ville secrète dans ses entrailles
Sous la ville de Kukës, se cache une seconde ville en miroir. Construite à plus de 30 mètres sous terre, elle est faite d’un dédale de couloirs et de bunkers. Pendant 20 ans, elle sera construite dans le plus grand secret avant de tomber dans l’oubli. Récit.
Sous la ville de Kukës, en Albanie, on trouve de bien étranges vestiges de la paranoïa communiste. On les doit à Enver Hoxha, un dictateur stalinien qui va diriger le pays jusqu’au début des années 1990. Isolationniste et paranoïaque, il est persuadé de l’imminence d’une guerre. Cette idée fixe va le pousser à construire des centaines de milliers de bunkers en béton un peu partout dans le pays. L’une des pièces phares devait être la ville de Kukës selon The Guardian. C’est sous cette ville, située dans le nord de l’Albanie, non loin de la frontière avec la Yougoslavie, que l’on avait prévu de construire une deuxième ville sous-terraine pourvue en électricité et en eau. L’idée était que 10 000 personnes puissent vivre sous terre de façon autonome pendant une période pouvant aller jusqu’à six mois. À la tête du projet, il y avait Feti Gjici, aujourd’hui âgée de 72 ans. Durant près de deux décennies – soit des années 1970 à 1991, date de la chute du régime-, il va travailler dans le plus grand secret. Il n’en parla ni à ses amis ni à sa famille.
Les travaux secrets seront facilités par le fait que la ville en surface avait été déplacée au début des années 1970. Le site d’origine de Kukës sera en effet noyé sous un lac artificiel alimentant une nouvelle centrale hydroélectrique. Un projet pharaonique, puisque les urbanistes n’auront d’autre choix que de concevoir une toute nouvelle ville à côté et y réinstaller toute la population. Gjici était l’un de ces urbanistes. Visiblement satisfaits de son travail, les chefs de l’armée et de la police secrète vont également lui confier les plans de la ville souterraine.
30 ouvriers pour construire toute une ville
En raison du caractère secret de l’entreprise, Feti Gjici ne disposait que d’une équipe de 30 ouvriers, chacun étant soumis à un contrôle minutieux des services de sécurité pour vérifier sa fiabilité politique. « Moins il y avait de gens qui savaient, mieux c’était », explique l’urbaniste au Guardian. Les ouvriers travailleront même en binôme, ignorant que leur « chantier » n’était en réalité qu’une petite partie d’un plus vaste réseau. Et même lorsque, dans les années 1980, on effectue des exercices d’évacuation avec la population, celle-ci ignore tout de l’étendue réelle du réseau. Chaque habitant étant cantonné à un secteur bien précis autour de l’une des 30 entrées officielles. Tout le monde ignorait que l’ensemble du réseau était, en réalité, relié par des tunnels qui s’étendaient sur des kilomètres. Si la construction du réseau souterrain sera achevée en 1989, le régime tombe avant que chacune des zones ne puisse être correctement équipée. L’ensemble sera ensuite laissé à l’abandon.
30 ans plus tard, certains s’aventurent encore dans ces couloirs lugubres, bien que cela demande du courage, l’endroit étant sombre et humide. Il est aussi nimbé de légendes. « Nous sommes entrés dans le réseau, mais j’étais terrifié et j’ai fait demi-tour. Il y avait des rumeurs de gens qui y sont allés et qui ne sont jamais revenus » dit ainsi Safet Gjici, le cousin de Feti et surtout nouveau maire de la ville. Il retentera pourtant la visite, armé de meilleures lampes et de son cousin, quelque temps plus tard.
Bluffé par l’étendue du réseau, il lui semble dès lors évident qu’il faut ouvrir le site aux touristes et y installer restaurants, attractions et magasins. Seul bémol, il lui manque les fonds nécessaires. Ces espoirs résident aujourd’hui dans un possible financement européen estimé à 2.6 millions d’euros. Sans cela, le projet risque de rester lettre morte. D’autant plus que l’héritage communiste est un sujet sensible dans ce pays où les répressions ont perduré jusqu’au bout. L’enthousiasme face au projet est donc mesuré. « Les gens mouraient de faim et ils construisaient encore des bunkers. Pourquoi avons-nous besoin de musées de bunkers maintenant, alors qu’il n’y a pas de musées pour les victimes du communisme ? » dit ainsi une historienne.
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