A intervalle variable (tous les dix ou quinze ans), on scande le retour à la mode de Karl Marx, du communisme, du marxisme-léninisme… Un film sur la jeunesse de Marx sort ces jours-ci…
En réalité, l’Europe gréco-latine (Wallonie, France, Italie, Espagne, Grèce) n’a jamais tourné la page du marxisme, ce qui explique une bonne part des difficultés à appréhender les différentes mues du capitalisme, ses crises, l’économie de marché, le libéralisme économique. Etrange paradoxe lorsque l’on sait que Karl Marx, économiste en première instance, philosophe en seconde, était un spécialiste salué par tous du capitalisme.
Encore que du temps de Marx, des enfants de huit ans, des femmes enceintes, des chevaux aveuglés par l’obscurité, travaillaient dans les mines. L’assurance chômage, les couvertures maladies, n’existaient pas. Un accident de l’existence pouvait entraîner une famille dans la misère noire. Le facteur capital recevait 85% des revenus de l’usine, le facteur travail le petit solde de 15%. Les libertés fondamentales que nous connaissons aujourd’hui n’existaient pas. Les syndicats et les caisses d’entraide en étaient à leurs balbutiements. Faire grève comportait un risque certain.
Si son analyse des rapports de production est toujours valable aujourd’hui (le salarié offre sa force de travail, l’actionnaire garde la propriété de ce qui est produit), Karl Marx n’a pas pu anticiper l’avènement d’un capitalisme social tel qu’il s’est développé, par étape, en particulier en Europe occidentale (l’Union européenne est responsable de 50% des dépenses sociales planétaires pour 22,07 % du PIB mondial, les dépenses publiques belges atteignent 54% du PIB).
Paradoxe, est né en Chine continentale, patrie de… Mao Tse Toung, un néo-capitalisme sauvage.
Pour Marx, le capitalisme était l’étape indispensable, après l’ancien Régime du servage, vers la société socialiste où argent, salaires disparaîtraient au profit d’une monde nouveau complètement altruiste.
C’est à ce monde-là que mon grand-père, né en 1894, croyait, comme tant d’autres communistes belges impliqués dans la Résistance, surtout après la Deuxième Guerre mondiale qui consacra la défaite du fascisme.
Mais depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.
La question qui a taraudé le 20e siècle est de savoir si Lénine, puis Staline, Mao, Pol Pot, Castro, Kim-Jong-il et le cortège des dictateurs communistes ont dévoyé l’oeuvre de Marx ou si le ver était dans le fruit ; si la théorie marxiste est en elle-même totalitaire et concentrationnaire.
A observer, au 20e siècle, les laboratoires qu’ont été, en double aveugle, les deux Corées, les deux Allemagnes, les deux Yémens, les deux Vietnams, la comparaison entre le niveau de vie à Cuba d’avant et d’après la révolution castriste, la sentence devrait être d’airain. L’expérience communiste s’est définitivement délégitimée là où elle a été tentée.
Pourtant, en Occident, même si le capitalisme n’est pas exempt de reproches, la fascination pour le vilain barbu n’a pas cessé : du travailliste britannique Niel Kinnock au programme commun de la gauche française en 1981 (avant le virage capitaliste à 180° opéré en 1983 par François Mitterrand), des expériences grecques, espagnoles, portugaises d’après dictature fasciste et toutes teintées de marxisme au récent best-seller de Thomas Piketty et, pour finir, la résurgence du PTB en Wallonie…
N’importe quelle autre idéologie à ce point dévoyée par son cortège de misère et de massacres de masse aurait disparu des cénacles intellectuels.
Mais c’est sans compter sur la sociologie déterministe, celle de Pierre Bourdieu, de Michel Foucault et d’Emile Durkheim qui ont, en quelque sorte, recyclé Marx.
Ce phénomène est magistralement décrit dans « Le danger sociologique » de Gérald Bonner et Etienne Géhin (PUF). Ils y décrivent une vulgate foucaldobourdieusienne d’inspiration marxiste, très influente dans les facultés de sciences humaines (y compris celles de journalisme), qui a tendance à rechercher dans l’économie et le social la source unique de tous nos maux. Pour Bonner, « certains sociologues, disciples de Foucault, déduiront du fait qu’il y a plus de personnes d’origine étrangère en prison l’existence d’un racisme d’État, ou bien certaines féministes déduisent-elles des chiffres de la violence envers les femmes l’existence d’un « patriarcat », une entité justifiant cette violence. Ce finalisme, qui consiste à confondre causalité et fonction sociale, prépare le terrain à une forme de conspirationnisme. »
Victoire posthume de Marx ? L’autre géant du 19e siècle, Adam Smith, a clairement perdu la guerre de l’idéologie. Dans les travées étudiantes, encore aujourd’hui, seul le nom de Marx provoque des frissons voire des orgasmes au long de l’échine de nos étudiants. Mais le conditionnement commence bien avant, dans le secondaire : les professeurs de latin, grec, histoire, morale laïque, géographie, sont souvent marxistes, parfois sans le savoir.
Les biographies de Marx n’y sont pas au programme. Dommage, car l’homme y est décrit comme un bourgeois amoureux des mondanités qui a vécu d’abord sur la dot de sa femme. Une fois la dot épuisée, il a sacrifié ses nombreux enfants à son oeuvre. Jusqu’à ne plus pouvoir leur payer le médecin généraliste. Il faut lire ses lettres pathétiques à Friedrich Engels lui demandant de l’aider à payer le loyer ou les soins de première nécessité. Un économiste donneur de leçon qui ne parvient pas à équilibrer le budget de son foyer ! Engels, héritier d’une prospère manufacture à Glasgow, s’est toujours exécuté. Sans lui, la famille Marx serait sans doute morte de faim.
Fin des années 80, j’ai visité l’Union soviétique. C’était l’année de l’ultime Congrès du parti communiste avant fermeture, pour lourd inventaire. Les boulangeries étaient exemptes de toute brioche ou pain, les boucheries sans viande, les épiceries vides. Seuls les magasins INTOURIST étaient emplis de victuailles et produits de toute sorte mais réservés à la nomenklatura et aux touristes occidentaux qui s’en donnaient à coeur joie avec leur monnaie forte face à un rouble exsangue.
Economie de pénurie mais marché noir hyper-développé et hors de prix qui profite à la pègre locale : une situation récurrente dans tous les régimes d’inspiration marxiste.
Elio Di Rupo serait bien avisé d’écouter Claude Eerdekens pour qui l’actuel président du PS poursuit un vain copier-coller du PTB. La Wallonie a plus besoin d’entrepreneurs que de marxistes.
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