Justin Trudeau sur un siège éjectable malgré sa victoire aux élections
Le Premier ministre sortant a été réélu sur le fil du rasoir lors des élections législatives anticipées qu’il avait lui-même convoquées. Il formera à nouveau un gouvernement minoritaire. Son leadership est clairement menacé. Mais celui de son rival conservateur Erin O’Toole doit encore s’affermir.
Voilà bien une victoire douce-amère pour Justin Trudeau après trente-six jours d’une campagne électorale dont personne ne voulait au Canada. La Chambre des communes sera, à quelques députés près, identique à celle d’avant le déclenchement du scrutin. Les libéraux (PLC) de Justin Trudeau obtiennent 158 députés, les conservateurs (PC) d’Erin O’Toole 119, les souverainistes du Bloc québécois (BQ) d’Yves-François Blanchet 34, les néodémocrates (NPD) de Jagmeet Singh, 25. Auxquels il faut ajouter deux députés verts. Des chiffres en trompe-l’oeil. Le fils de Pierre Elliott Trudeau forme bien un nouveau gouvernement minoritaire, mais seuls 32% des Canadiens ont voté pour lui, contre 34% pour Erin O’Toole. Le vote populaire a échappé au chef libéral. Il ne séduit plus l’opinion publique depuis longtemps.
Si cette élection était un test sur le leadership, tous les chefs auraient perdu.
« Si cette élection était un test sur le leadership, tous les chefs auraient perdu », a titré le quotidien de référence The Globe and Mail, au soir des élections. Aucun des dirigeants de parti n’a réussi à plaire. Justin Trudeau avait déclenché ces élections à la mi-août. Contre l’avis de l’opinion publique. Il demandait un mandat majoritaire pour mener le Canada postpandémie. Il n’a pas convaincu. Avec malice, Yves-François Blanchet a dénoncé lundi soir l’inutilité de ce scrutin. « Pourquoi avoir interrompu mon barbecue? », a t-il lancé. Les médias canadiens et l’opposition n’auront eu de cesse de rappeler le coût de ces élections (612 millions de dollars) alors que l’actuelle législature se terminait en 2023.
En pleine reprise pandémique, les Canadiens ont vite reproché à leur Premier ministre d’avoir déclenché le scrutin du 20 septembre. Son rival conservateur Erin O’Toole, pour courtiser les électeurs modérés de l’Ontario et du Québec, les deux provinces les plus peuplées, a positionné son parti au centre. Trop pour convaincre les conservateurs purs et durs et pas assez pour les libéraux plus conservateurs. Jagmeet Singh, dont le NPD est historiquement à gauche, lui, ne s’est pas démarqué suffisamment des libéraux pour faire la différence.
Ces 44es élections générales ont été marquées par un manque de substance et d’idées. Seule surprise, la relative réussite du Parti populaire du Canada (PPC), un mouvement antivaccins et mesures sanitaires de l’ancien ministre des Affaires étrangères conservateur, Maxime Bernier. Crédité de 2% ou 3% au début de la campagne électorale, le PPC a récolté plus de 5% des voix. Si le PPC n’a pas obtenu de députés, sa percée fulgurante coûte cher en voix à Erin O’Toole qui, avec les voix du PPC, aurait pu espérer former le prochain gouvernement. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que dans une atmosphère ennuyeuse, avec un Justin Trudeau plus agressif que d’ordinaire, un Erin O’Toole terne et un Jagmeet Singh déconnecté du Québec, une province clé, les Canadiens aient élu un gouvernement minoritaire, le cinquième sur sept depuis 2004.
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Un handicap pour son parti
« Je vous ai entendus. Ça ne vous tente plus qu’on parle de politique ou d’élections, vous voulez qu’on se concentre sur le travail qu’on a à faire pour vous », a déclaré Justin Trudeau aux électeurs au soir de sa victoire. La déception, prévisible, n’en reste pas moins immense pour tous les partis. « Des élections de perdants », a titré le cyberquotidien montréalais La Presse.
Erin O’Toole n’a pas réussi son pari de former au moins un gouvernement minoritaire, comme il le pensait voici encore quelques jours. Le chef conservateur n’est pas parvenu à battre un Justin Trudeau peu populaire, affaibli par six ans de pouvoir. Il devra redéfinir sa stratégie pour les prochaines élections. Côté PLC, les sourires et les déclarations de victoire des grands manitous du Parti libéral ne sauraient masquer des perspectives sombres.
Tous les analystes s’accordent à dire que Justin Trudeau a perdu son pari et qu’il est devenu désormais un handicap pour son parti. La Presse, pourtant très libérale, a même osé annoncer « le début de la fin de l’ère Trudeau ». Des noms circulent déjà dans les couloirs libéraux pour succéder au chef lors d’une prochaine élection. Parmi les poids lourds, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, mais aussi le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne. Plusieurs voient aussi en l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, puis de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, à qui l’on prête des ambitions politiques, un candidat sérieux.
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Un pays affaibli et divisé
Il y a fort à parier que d’ici à un an, plusieurs candidats se présentent pour succéder à l’actuel chef du gouvernement. Outre ses rivaux dans son propre parti, celui-ci aura beaucoup de mal à tenir ses très coûteuses promesses de campagne. Sa plateforme électorale comporte plus de septante-huit milliards de dollars de dépenses, dont un programme national de création de garderies pour trente milliards sur cinq ans. Le chef libéral devrait trouver en face de lui un Erin O’Toole très combatif, si ce dernier veut avoir une chance de remporter le prochain scrutin. Le chef conservateur est parvenu à se donner une stature nationale, mais il devra prouver à ses troupes qu’il peut faire mieux que 34%.
Au lendemain de cette élection décevante, le Canada sort lui aussi affaibli et divisé. Les gouvernements minoritaires ont de faibles durées de vie, de l’ordre de dix-huit à vingt-quatre mois, et leurs dirigeants des marges de manoeuvre limitées. Si Justin Trudeau sera, à terme, sur la sellette, il n’en reste pas moins une énigme. Donné troisième au début de la campagne électorale de 2015, le dandy souriant avait, contre toute attente, remporté largement les élections et il était parvenu en 2019 à conserver un gouvernement minoritaire. Mais cette fois, le plus dur reste à faire.
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