Julian Assange, héros traqué: la transparence des États est-elle un droit de l’homme?
La justice britannique va trancher sur l’éventuelle extradition de l’activiste australien fondateur de WikiLeaks vers les États-Unis qui l’accusent d’espionnage.
Cofondateur de WikiLeaks, organisation dédiée à la divulgation de documents d’Etats censés restés secrets, l’Australien Julian Assange, 48 ans dont sept retranchés à l’intérieur de l’ambassade d’Equateur à Londres, doit comparaître le lundi 24 février devant un tribunal de la capitale britannique pour répondre d’une demande d’extradition des Etats-Unis qui ont formulé à son encontre dix-huit chefs d’accusation, dont celui d’espionnage. Malgré l’expérience d’avocats prestigieux, dont l’Espagnol Baltasar Garzon et le Français Eric Dupond-Moretti, le transfèrement de l’activiste vers les Etats-Unis paraît inévitable à beaucoup d’observateurs en raison de l’histoire des procédures d’extradition entre les deux pays et en regard, malgré l’indépendance de la justice britannique, de la proximité actuelle entre les pouvoirs à Londres et à Washington.
Guillaume Ledit, qui a cofondé le site owni.fr, média partenaire de WikiLeaks, a écrit, avec le journaliste de Télérama Olivier Tesquet, Dans la tête de Julian Assange (1). Il décrypte les apports de l’organisation à la quête de transparence des Etats et les enjeux de la traque de Julian Assange.
Julian Assange a-t-il, tout au long de son parcours, conservé l’esprit originel des hackers?
Dans ses jeunes années, Julian Assange découvre d’abord l’ordinateur, puis l’ordinateur connecté, et enfin l’univers du hacking. C’est déterminant. Il embrasse assez jeune l’éthique du hacker qui repose sur plusieurs piliers. Un des plus fondamentaux est que l’information doit être libre. L’action de Julian Assange jusqu’à aujourd’hui s’inscrit dans le respect de ce principe. Autre pilier, l’éthique du hacker. Il voit d’un mauvais oeil faire de l’argent grâce à ses compétences techniques. A aucun moment de sa vie, Julian Assange ne s’est personnellement enrichi à l’aide de ses compétences techniques relativement élevées. Il faisait pourtant partie des meilleurs hackers de sa génération dans les années 1990.
S’il avait choisi une autre orientation, aurait-il pu être un des grands créateurs de nouvelles technologies?
Jeune, il a eu la même possibilité qu’un Marc Zuckerberg ou qu’un Jeff Bezos de devenir un grand chef d’entreprise puisqu’il est arrivé sur Internet très tôt. L’immense différence est que Julian Assange a été confronté assez rapidement, à 25 ans, à la justice. Il a été poursuivi pour ses activités de hacking. Il était en effet entré dans un certain nombre de sites protégés de l’armée américaine, dans le réseau d’un opérateur téléphonique canadien… Il a donc tout de suite pris conscience de la nécessité de défendre au nom du « peuple d’Internet » cette zone de liberté contre les gouvernements et les grandes entreprises.
Vous rappelez que le premier nom de hacker de Julian Assange était Splendide Mendax (Gloire de mentir). Vous y voyez la noblesse de l’éthique informatique. Ce choix n’indique-t-il pas surtout que, pour lui, la fin justifie tous les moyens, y compris la manipulation?
Dans son premier alias de hacker figure la notion de mensonge utile que l’on peut mettre en oeuvre afin de faire émerger la vérité. C’est effectivement toute la question de la fin qui justifie ou non les moyens. Cette contradiction va se retrouver plus tard dans WikiLeaks. Il n’a pas hésité, il est vrai, à user de mécanismes de manipulation. Pour avoir accès à un réseau qu’il voulait pénétrer, il s’est fait passer pour un de ses administrateurs et a réussi, par téléphone, à obtenir un mot de passe auprès d’un opérateur. Le choix du nom de Splendide Mendax n’est pas anodin, tout comme celui de son premier groupe de hackers, les Rebelles internationaux. Tout était déjà là.
La transparence gagnerait évidemment à s’appliquer aux régimes autocratiques et dictatoriaux.
Le principe de Julian Assange qui stipule que « tout pouvoir est ennemi de la liberté » n’est-il pas contestable quand il ne s’attaque qu’aux démocraties?
Le constat n’est pas tout à fait exact puisqu’il s’en est pris aussi au Kenya de Daniel arap Moi (NDLR: président de 1978 à 2002), qui n’était pas un régime démocratique. Et Julian Assange a toujours affirmé que s’il disposait de documents sur la Chine ou sur la Russie, il n’hésiterait pas à les publier. Mais il est vrai que dans l’histoire de WikiLeaks, il s’est principalement focalisé sur les Etats-Unis. Les experts ou le grand public peuvent donc avoir l’impression qu’il s’agit principalement d’une entreprise de déstabilisation des régimes démocratiques. Après avoir mené de nombreuses recherches, je ne crois pas que ce soit le cas. Mais la transparence gagnerait évidemment à s’appliquer aux régimes autocratiques et dictatoriaux dont le monde ne manque pas.
WikiLeaks a-t-il réussi à modifier durablement l’équilibre entre le droit des citoyens à être informés des actions de leurs gouvernants et la nécessité, pour les Etats, d’agir en recourant au secret?
On ne tranche pas cette question dans le livre. On essaie d’expliquer la philosophie de Julian Assange. Il est évident que les Etats ont besoin de recourir au secret pour protéger leurs intérêts à l’étranger ou sur le territoire national. Mais Julian Assange estime que ce secret est utilisé à mauvais escient par les Etats et que son étendue crée une dissymétrie absolue d’information entre les gouvernements et les citoyens et qu’elle piège complètement le jeu démocratique. Julian Assange n’est pas un anarchiste. Il n’a pas envie de plonger le monde entier dans le chaos et de renverser les régimes démocratiques. Il estime au contraire que donner au citoyen un maximum d’informations permettra de réduire cette dissymétrie et d’établir une situation plus juste et plus pérenne pour nos démocraties.
WikiLeaks étant tributaire de ses sources, ne s’expose-t-il pas à un risque de manipulation?
Le risque existe. Il est assez assumé par Julian Assange. Après la diffusion, par WikiLeaks, des mails du Parti démocrate et de ceux de John Podesta, directeur de campagne d’Hillary Clinton, lors de la présidentielle américaine de 2016, il a été établi que les services de renseignement russes étaient à la manoeuvre. Mais s’être fait prendre au piège russe ne pose pas de problème à Julian Assange à partir du moment où les documents étaient authentiques et qu’il a estimé que les Américains étaient en droit d’en avoir connaissance. WikiLeaks a été architecturé pour que même Julian Assange ne puisse pas remonter à la source des documents. Et il a toujours appelé les services américains à lui transmettre, directement ou non, des documents sur la Russie.
WikiLeaks a-t-il encore un avenir?
Le combat de WikiLeaks a été tellement consubstantiel à celui de son créateur qu’il est compliqué pour lui de survivre maintenant que Julian Assange est emprisonné. A l’ambassade d’Equateur à Londres, il gardait cette volonté de combattre. Il le disait à longueur d’interviews. Et il en a administré la preuve en parasitant les élections américaines de 2016. A l’heure actuelle, c’est beaucoup plus compliqué. Plusieurs études ont été menées, notamment du rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, Nils Melzer, pour alerter sur son état de santé psychologique et physique avant même qu’il soit enfermé à la prison britannique de Belmarsh dans l’attente de son procès. Son état s’est encore dégradé, d’après son père adoptif. Quels que soient sa détermination, son courage et sa volonté de combattre, une femme ou un homme, dans ces conditions, perd de son énergie. Et matériellement, Julian Assange n’a pas eu les moyens de préparer correctement sa défense.
Le traitement réservé aux États-Unis à Chelsea Manning est particulièrement scandaleux.
Quel bilan peut-on tirer de l’action de Julian Assange et de WikiLeaks?
D’abord, les journalistes ont compris l’apport de la technologie et du traitement d’immenses bases de données pour nourrir leurs enquêtes. Cela a revivifié le journalisme d’investigation. Ensuite, les différentes fuites orchestrées par WikiLeaks ont eu un impact au Kenya sur les élections présidentielles de 2007 et dans différents pays au moment des printemps arabes. Des télégrammes diplomatiques ont montré le double jeu des Américains et de certains hauts dirigeants tunisiens ou algériens. Enfin, sans WikiLeaks, l’opinion publique aurait sans doute été moins bien préparée aux révélations d’Edward Snowden (NDLR: lanceur d’alerte sur les programmes de surveillance de masse américain et britannique), par exemple. Mais l’action de Julian Assange n’a pas non plus changé la face du monde. L’armée américaine n’a pas modifié ses pratiques sur le terrain. Elle a surtout renforcé la protection de l’accès à ses documents. Et le pouvoir politique a durci, à travers de nouvelles législations, la répression des lanceurs d’alerte.
Pensez-vous en particulier à Chelsea Manning, l’ancienne analyste de l’armée américaine à l’origine des fuites qui ont fait la réputation de WikiLeaks?
L’acharnement judiciaire de l’administration américaine envers des lanceurs d’alerte est tout à fait inquiétante. Et le traitement réservé à Chelsea Manning est particulièrement scandaleux. Elle a été condamnée dans un premier temps à trente-cinq ans de prison. Sa peine a été commuée par le président Barack Obama. Mais elle se retrouve à nouveau en prison parce qu’elle refuse de témoigner contre Julian Assange, l’administration américaine voulant prouver le lien de collusion entre les deux pour condamner le second plus fermement. Chelsea Manning fait preuve d’un courage remarquable. S’il y a une héroïne dans cette affaire, c’est bien elle. Sans elle, WikiLeaks n’existerait pas.
(1) Dans la tête de Julian Assange, par Guillaume Ledit et Olivier Tesquet, Actes Sud, 224 p.
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