Jens Stoltenberg: « La Russie est la plus grande menace pour notre sécurité et nos valeurs »
Le secrétaire-général de l’OTAN, Jens Stoltenberg évoque la nouvelle position de l’alliance face à la Russie et à la Chine.
Monsieur le Secrétaire général, les pays de l’OTAN se réunissent cette semaine pour le premier sommet ordinaire après l’attaque de la Russie contre l’Ukraine. Quel message voulez-vous envoyer à Moscou ?
Jens Stoltenberg : Le message, c’est que nous soutenons l’Ukraine de toutes nos forces, et que nous ferons tout pour défendre nos membres et la zone OTAN. C’est également essentiel pour éviter que la guerre ne s’étende au-delà de l’Ukraine.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
À Madrid, nous prendrons des décisions cruciales pour l’avenir de l’OTAN. Nous élaborerons un nouveau concept stratégique, renforcerons nos capacités de défense et présenterons un programme d’aide complet pour l’Ukraine.
Le concept actuel de l’OTAN définit la Russie comme un partenaire stratégique. Est-ce toujours d’actualité?
Lorsque nous avons adopté le concept stratégique en 2010, le président russe de l’époque, Dmitri Medvedev, était encore invité au sommet de l’OTAN. Aujourd’hui, la Russie doit justifier la plus grande guerre en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La Russie n’est plus un partenaire stratégique. C’est la plus grande menace immédiate pour notre sécurité et nos valeurs, ce que reflétera le nouveau concept.
Y a-t-il encore une place pour le dialogue dans cette conception ?
La Russie reste notre plus grand voisin et possède le plus grand arsenal nucléaire au monde. Ce dont nous avons besoin, ce sont des canaux de communication qui garantissent que les malentendus ne conduisent pas à des réactions incontrôlables. Un jour, j’espère que nous pourrons à nouveau parler de contrôle des armes. Mais cela ne sera possible que si la Russie change fondamentalement son comportement brutal et illégal.
Le président français Emmanuel Macron a déclaré qu’il ne fallait pas humilier Poutine. Partagez-vous ses préoccupations ?
Cette guerre, comme l’a dit le président ukrainien Zelensky, se terminera un jour à la table des négociations. L’Ukraine seule doit décider des conditions. Notre responsabilité est de veiller à ce que sa position de négociation soit aussi forte que possible. C’est pourquoi tous les alliés soutiennent l’Ukraine militairement, financièrement et humainement. En même temps, nous devons éviter une escalade. La guerre en Ukraine est brutale. Mais une guerre entre l’OTAN et la Russie serait pire. Il n’y a pas de place pour le doute à Moscou. L’OTAN défend chaque centimètre carré de son territoire.
Le sommet de Madrid portera-t-il également sur le nombre concret de troupes ?
Nous avons déjà doublé les groupements tactiques à l’est, de quatre à huit. Cela signifie que 40 000 soldats sont désormais sous le commandement de l’OTAN dans cette région. Nous continuerons à développer cette présence et à stocker davantage d’équipements sur le terrain afin qu’ils soient immédiatement disponibles en cas de conflit. La guerre en Ukraine a montré combien c’est important. Les personnes peuvent être déplacées rapidement, mais pas les équipements lourds.
La Russie vient de mettre au point une série de nouveaux systèmes d’armes nucléaires, tels que le missile intercontinental géant Sarmat, des missiles de croisière hypersoniques et un drone sous-marin à longue portée capable de rendre inhabitables des zones côtières entières. L’OTAN doit-elle moderniser son arsenal nucléaire pour dissuader Poutine d’utiliser de telles armes ?
Nous examinons en permanence dans quelle mesure nous devons moderniser nos forces nucléaires afin qu’elles restent sûres et efficaces. Nous nous assurons toujours que notre dissuasion nucléaire fonctionne. Mais nous n’avons pas l’intention de stationner des armes nucléaires en Europe de l’Est. Et nous n’allons pas reproduire ce que fait la Russie.
Qu’est-ce que cela dit de l’unité de l’OTAN lorsqu’un État membre – en l’occurrence la Turquie – bloque l’adhésion de la Finlande et de la Suède contre la volonté de tous les autres ?
Bien sûr, avec trente alliés, il y a toujours des différences. Les décisions de la Finlande et de la Suède d’adhérer à l’OTAN sont historiques. Et je suppose qu’ils deviendront membres. Cela renforcera non seulement les deux pays, mais aussi l’ensemble de la communauté transatlantique.
Le président turc Erdogan trouve toujours de nouvelles raisons pour bloquer une adhésion.
Nous devons prendre les préoccupations de la Turquie au sérieux. Ce pays a subi plus d’attaques terroristes que tout autre État membre de l’OTAN. En outre, la Turquie est un allié important du simple fait de sa situation géographique stratégique. Nous travaillons donc intensivement avec Ankara, Helsinki et Stockholm pour trouver une solution ensemble .
Quel rôle jouera la Chine dans le nouveau concept stratégique ?
Le concept stratégique décidé à Lisbonne n’a pas dit un mot sur la Chine. Cela n’arrivera pas à Madrid. La Chine n’est pas notre ennemi, mais son essor constitue un défi pour nos intérêts, notre sécurité et nos valeurs. Ce sera un message clair de l’OTAN.
Vous attendez-vous à une décision à Madrid ?
Il n’est pas encore possible de le dire. Mais nous allons essayer d’avancer aussi vite que possible.
Sur quel plan la Chine défie-t-elle l’OTAN ?
Les États autoritaires remettent de plus en plus en question l’ordre fondé sur des règles et ne partagent pas nos valeurs. Le gouvernement de Pékin réprime les forces démocratiques dans son propre pays et les minorités telles que les Ouïgours. Nous devons également noter que Pékin et Moscou se soutiennent mutuellement sur le plan diplomatique et coopèrent également plus étroitement sur le plan militaire. La Chine s’est aussi, pour la première fois, clairement prononcée contre l’expansion de l’OTAN – et donc contre le principe fondamental de la sécurité européenne selon lequel chaque pays a le droit de choisir l’alliance de sécurité à laquelle il souhaite adhérer.
Markus Becker & Ralf Neukirch, Der Spiegel
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