James Bond dans les Caraïbes: bons baisers de Jamaïque (récit)
Dans Mourir peut attendre, James Bond fait son grand retour sur la petite île des Caraïbes. L’ occasion de revenir sur la longue et profonde relation qui unit la Jamaïque au personnage créé par Ian Fleming dans sa villa paradisiaque GoldenEye.
Lire aussi le hors-série que Le Vif consacre à l’agent 007:James Bond, les espions sont éternels. Envie d’en lire plus? Il est en vente actuellement en librairie ou via notre shop.
Janvier 2020. La pandémie n’est encore qu’un nuage noir menaçant qui pointe à l’horizon. Dans la paroisse de Portland, une pluie fine tombe sur la végétation luxuriante de ce coin sauvage du nord-est de la Jamaïque qui résiste tant bien que mal aux sirènes du tourisme de masse. Un vrai crachin anglais, la chaleur moite en plus. « Bienvenue à Cuba! », nous lance ironiquement Ziggy, le chauffeur jamaïcain de 51 ans, recruté lors des traditionnels repérages d’avant-tournage par la production de Mourir peut attendre, dont l’action se déroule dans l’île de Castro, en pointant du doigt le vieil entrepôt où les fermiers de la région venaient autrefois écouler leurs stocks de bananes.
L’endroit est désert. Des cadavres de rongeurs jonchent le bitume tacheté de fientes. Difficile d’imaginer qu’il y a quelques mois encore, le hangar recouvert de panneaux en tôle ondulée grouillait de soldats castristes, lancés aux trousses de Daniel Craig dans son costume d’agent 007. Si un peu moins de 400 kilomètres séparent la Jamaïque de Cuba, Cary Joji Fukunaga et ses équipes ont profité de leur passage dans l’ancienne colonie britannique pour tourner des scènes censées se dérouler au pays de Fidel. Un précieux gain de temps et d’argent pour un film au budget record de 250 millions de dollars et qui a accusé de nombreux retards.
Ce n’ est pas la première fois que la Jamaïque prête son climat tropical à une autre contrée exotique. Au début des années 1970, alors que Roger Moore détenait encore le permis de tuer, l’île de Bob Marley a planté le décor pour San Monique, l’île fictive de l’inoubliable dictateur Kananga de Vivre et laisser mourir. C’est du côté de Falmouth, à une trentaine de kilomètres à l’est de Montego Bay, que Bond a été à deux orteils de servir de repas aux crocos du grand vilain campé par le regretté Yaphet Kotto.
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Dangereusement vôtre
Le Swamp Safari Village ne manque pas de rappeler ce fait d’armes aux touristes de passage, alors qu’un panneau en bois prévient les « intrus » du risque de se faire avaler tout cru. Un macabre festin auquel Bond a échappé en jouant à cloche-pied sur le dos des carnassiers à la mâchoire plus acérée que le mythique Requin aux dents d’acier de Moonraker. Dans la cabane qui servait de repère à Kananga et ses sbires, des images du tournage de la célèbre scène des crocodiles défilent en boucle sur un petit écran posé à côté d’une vieille édition de poche de Vivre et laisser mourir de Ian Fleming.
L’incroyable séquence a été rendue possible grâce à un casse-cou débarqué de Floride. En 1969, Ross William Heilman s’installe en Jamaïque où il ouvre une ferme à crocodiles dans la mangrove de Falmouth. Son Swamp Safari Village ne tarde pas à devenir une attraction populaire dans la région. Le propriétaire des lieux, qui se fait appeler Ross Kananga, n’hésite pas à se mettre en scène avec ses reptiles. Ses exploits ne passent pas inaperçus, notamment auprès de Tom Mankiewicz, le scénariste de Vivre et laisser mourir, qui choisit de donner au Mister Big de Fleming, le méchant de l’histoire, le nom de Kananga, en l’honneur de ce patron de zoo qui n’a pas froid aux yeux.
En 1972, quand vient le temps de doubler Roger Moore dans un marais infesté de crocodiles, le « vrai Kananga » ne se fait pas prier. Selon la légende, il aurait lui-même suggéré cette folle acrobatie aux producteurs du film qui lui ont offert un cachet de 60 000 dollars pour défier la mort de très près. Lors du tournage, le cascadeur s’y reprend à cinq reprises pour boucler la scène, non sans se faire quelques frayeurs, dont une chute qui manque de lui être fatale et qui lui laissera près de deux cents points de suture en souvenir.
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La retraite peut attendre
Dans la paroisse de Portland, le soleil se décide enfin à percer les nuages. Direction San San Beach, l’un des trésors cachés de la sublime baie de Port Antonio. La longue frange de sable blond, uniquement accessible à une poignée de privilégiés, offre une vue imprenable sur Monkey Island, à l’ombre des amandiers. Un endroit rêvé pour un agent secret désespérément en quête d’un havre de paix, après avoir traqué les criminels de la pire espèce aux quatre coins du monde. Naturellement, 007 a à peine le temps de siroter un martini sur sa plage de rêve qu’il est rattrapé par la réalité brutale de son matricule.
Dix mois après le tournage de Mourir peut attendre, il ne reste pas même une planche de la maison spécialement bâtie pour permettre à Bond de scruter l’horizon dans une quiétude toute relative. Le propriétaire de San San Beach, Ernest Smatt, ancien champion de ski nautique jamaïcain et playboy notoire ayant fréquenté Elizabeth Taylor, aurait bien conservé le beau bungalow en bois. S’il n’avait pas fait grimper les enchères au moment de louer son terrain, l’équipe de production lui aurait sûrement fait ce cadeau.
Lorsque le tournage en terres jamaïcaines du 25e James Bond a été annoncé, la nouvelle a été fêtée comme on célébrerait le retour d’un enfant du pays. Barbara Broccoli, coproductrice de la saga, a souligné les liens très forts entre l’agent secret et son « foyer spirituel », lors d’une fête organisée en avril 2019 dans les jardins de GoldenEye, l’ancienne demeure de Ian Fleming. Tombé raide dingue de la Jamaïque en pleine Seconde Guerre mondiale, lors d’une mission pour la Royal Navy, l’ancien officier du renseignement a fait bâtir cette somptueuse propriété de style colonial, dont il a dessiné les plans, près d’Oracabessa, sur la route entre Ocho Rios et Port Maria.
L’homme à la machine à écrire en or
Dès 1946, Fleming passe de longs mois à GoldenEye pour échapper à la rudesse de l’hiver britannique. Entre deux bains de mer, l’écrivain-espion trouve l’inspiration pour écrire les aventures de son agent secret auquel il donne le nom de James Bond, un ornithologue américain, auteur de Birds of the West Indies, guide de référence sur les oiseaux des Caraïbes. En un peu moins de vingt ans, Fleming écrira dans sa villa douze romans et deux recueils de nouvelles, sur sa mythique machine à écrire plaquée or.
De l’aveu même du romancier, l’agent 007 ne serait sûrement pas né s’il n’avait séjourné dans ce cadre idyllique – jusqu’à y rendre son dernier souffle en 1964. Aujourd’hui, « ce somptueux trou perdu de la Jamaïque », comme aimait l’appeler son propriétaire, fait office de refuge pour célébrités, dans un luxueux resort développé par le fondateur d’Island Records, Chris Blackwell. Avant de révéler Bob Marley sur la scène internationale, l’homme au sens des affaires aiguisé a été « scout », en charge de repérer des lieux de tournage pour Dr. No, premier James Bond filmé en Jamaïque, en 1961.
Cascade royale
Quinze ans plus tard, Blackwell s’est offert GoldenEye pour en faire un lieu de villégiature destiné à une clientèle haut de gamme. Au-delà de ce complexe d’une cinquantaine de cottages, et de la plage voisine de James Bond Beach à Oracabessa, le plus célèbre des agents secrets a laissé son empreinte en de nombreux endroits, de Kingston à Ocho Rios en passant par Montego Bay. Avant que la pandémie ne vienne porter un coup d’arrêt au développement touristique sur l’île, les autorités locales travaillaient à mettre en place un « Bond Trail », dans l’idée de valoriser ce précieux héritage.
Pour l’heure, retrouver la trace de 007 s’apparente à un vrai jeu de piste. Incontournable, la fabuleuse cascade de Laughing Waters, sur la côte nord, déverse ses eaux cristallines sur la plage où Ursula Andress a émergé en bikini blanc face à Sean Connery, le temps d’une scène de Dr. No entrée dans l’histoire du 7e art. Dans la paroisse de Saint-James, l’hôtel Half Moon abrite l’un des bungalows – le numéro 10 – dans lequel un autre Bond, Roger Moore, a passé une nuit torride avec l’espionne de la CIA, Rosie Carver, jouée par Gloria Hendry, première actrice noire à avoir eu une liaison à l’écran avec le héros de Fleming.
Des séquences de Vivre et laisser mourir ont également été tournées près d’Ocho Rios, au Couples Sans Souci, petit hôtel de charme à flanc de falaise où Roger Moore possède toujours une suite à son nom. Dans d’autres lieux, il est plus difficile de retrouver la trace de double 07, comme sur les terres de la plantation de Rose Hall, sur les hauteurs de Montego Bay, où il ne reste plus un ossement du cimetière où Bond a sauvé Solitaire, incarnée par Jane Seymour, d’un sacrifice vaudou.
A Port Antonio, le Piggy’s Jerk Center a, lui aussi, bien failli disparaître à tout jamais, des suites d’un incendie survenu après le tournage d’une scène de Mourir peut attendre. Mais grand seigneur, et grand amateur de poulet épicé « à la jamaïcaine », Daniel Craig a aidé à lever près de 50 000 dollars, une fois rentré au Royaume-Uni, afin de remettre sur pied la petite rôtisserie très populaire de Foreshore Road. Un joli cadeau avant de faire ses adieux, pour de bon, à un personnage qui doit tant à cette Jamaïque chérie par Ian Fleming.
Un article de Malik Cocherel.
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