Italie : la droite radicale à l’épreuve du pouvoir
Bouleversement en Italie: Fratelli d’Italia domine largement ses partenaires de coalition de droite au terme des élections législatives. De quoi tendre un peu plus encore les relations entre les composantes du prochain gouvernement.
Le contexte
Le parti de droite radicale Fratelli d’Italia (FdI) est devenu, au soir des élections législatives du 25 septembre, le premier parti de la Péninsule avec 26,01% des voix. Il devance le Parti démocrate, de gauche, qui a obtenu 18,96%, et le Mouvement 5 Etoiles, qui a perdu plus de la moitié de ses électeurs de 2018, à 15,50%. L’ alliance de droite rassemblant Fratelli d’Italia, la Ligue de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi ayant recueilli quelque 44% des suffrages contre 26% à la coalition de gauche, la leader de la première formation politique du pays, Georgia Meloni, devrait être appelée à diriger le nouveau gouvernement. Une première pour une femme.
De l’équilibre réformiste et européiste de Mario Draghi à la droite radicale et «patriote» de Giorgia Meloni: le laboratoire politique italien vient d’offrir, avec les surprenants résultats du rendez-vous électoral national du 25 septembre, de nouvelles pistes de réflexion pour l’Europe toute entière. Fratelli d’Italia (FdI), un parti souverainiste et ultraconservateur qui, en 2018, n’avait obtenu que 4,3% des suffrages, a remporté une victoire inédite aux législatives. Après avoir raflé 26,01% des voix, il devient la première formation politique de la Péninsule, loin devant le Parti démocrate (PD, centre-gauche), son principal adversaire, désormais divisé et en perte de vitesse.
Matteo Salvini assiste, impuissant, à une véritable dégringolade de la Ligue, après sa victoire triomphale aux élections européennes de 2019.
«Le déclin n’est pas un destin. Certains choisissent de gouverner le déclin. Nous voulons, au contraire, le combattre», avait lancé, avec son habituel volontarisme, la leader de FdI, à la veille du scrutin. Compte tenu de la percée spectaculaire de son parti, elle semble effectivement destinée à prendre en main les rênes du prochain exécutif italien et devenir, ainsi, la première femme à diriger le palais Chigi.
Parti démocrate en crise
Un radical virage à droite qui bouleverse complètement le paysage politique national. Enrico Letta, secrétaire du PD, après avoir remporté 18,96% des voix, a annoncé son intention de quitter la direction du parti. La rupture de son alliance avec le Mouvement 5 étoiles (15,50%) s’est révélée fatale. Le «troisième pôle», fraîchement constitué par deux frères ennemis de la gauche centriste, l’ancien président du Conseil Matteo Renzi et le leader social-libéral Carlo Calenda, ne remporte que 7,73% des suffrages. Un résultat insuffisant pour conforter Mario Draghi à son poste à la tête du pouvoir exécutif, une hypothèse que même le président du Conseil démissionnaire ne semblait pas envisager, voire désirer.
Avec une majorité absolue des sièges, au Sénat comme à la Chambre, c’est l’alliance de la droite ultraconservatrice qui dessinera les contours politiques de l’avenir italien. Une ascension au pouvoir qui s’annonce, toutefois, longue et complexe. Le nouveau Parlement se réunira pour la première fois le 13 octobre pour élire les présidents de la Chambre et du Sénat. Ce n’est qu’à partir du 24 octobre que le président de la République, Sergio Mattarella, entamera une série de consultations avec les dirigeants de tous les partis pour désigner le nouveau chef de l’exécutif. Giorgia Meloni, qui se dit «prête à gouverner pour les prochaines cinq années», devra donc attendre encore un mois avant d’être, fort probablement, nommée.
Kaléidoscope politique
Or, elle a déjà un délicat travail de rééquilibrage à faire. Malgré un programme électoral commun ficelé avant le scrutin, la coalition des droites – constituée par FdI, la Ligue de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi – ressemble à une sorte de kaléidoscope politique, présentant une variété infinie de nuances et de positions, allant de la droite ultraconservatrice de Meloni à la droite modérée de Berlusconi en passant par le populisme souverainiste du capitaine de la Ligue.
Ces deux derniers sortent fatigués et déçus du rendez-vous électoral. Silvio Berlusconi qui, malgré ses 86 ans, vient de replonger avec enthousiasme dans la politique active, voit s’essouffler, avec seulement 8,27% des voix, l’élan populiste qui l’avait initialement propulsé dans l’arène politique. Mais pour Matteo Salvini, le résultat électoral (à peine 8,85%) est encore plus douloureux: il assiste, impuissant, à une véritable dégringolade de la Ligue, après sa victoire triomphale aux élections européennes de 2019, lors desquelles le parti avait remporté près de 34% des suffrages.
La déception de Salvini
Or, Giorgia Meloni, un animal politique depuis son adolescence, sait bien que l’on n’est jamais trahi que par les siens. La déception de Salvini pourrait, en effet, se transformer en une force d’obstruction active. Presque tout les différencie sur le plan politique: elle veut poursuivre la gestion avisée des équilibres budgétaires adoptée par Draghi alors que le Capitaine est appelé «Monsieur milliards» en raison de ses innombrables promesses électorales et des subventions ou aides fiscales qu’il a fait miroiter pour remporter la faveur des urnes. Meloni est atlantiste et favorable aux sanctions contre Moscou, Salvini conteste, au contraire, le poids économique d’une telle politique étrangère.
Giorgia Meloni, un animal politique depuis son adolescence, sait bien que l’on n’est jamais trahi que par les siens.
Les deux politiciens ne partagent vraiment qu’une vision ultraconservatrice de la famille et des droits des minorités sexuelles, ainsi que leur volonté de moderniser les infrastructures nationales en lançant, par exemple, la construction d’un pont sur le détroit de Messine pour relier la Sicile au reste de l’Italie. Même dans le domaine de la protection des frontières, leurs recettes divergent: Meloni préconise, pour bloquer les flux migratoires, un «blocus naval» à l’échelle européenne et Salvini, qui rêve d’occuper à nouveau le poste de ministre de l’Intérieur, souhaite privilégier ses «décrets sécurité» conçus en 2018, alors qu’il était au pouvoir aux côtés du Mouvement 5 étoiles.
Gérer la victoire
Or, celui qui, il y a encore quelques jours, se disait «prêt à devenir le prochain président du Conseil» devra se contenter d’un rôle de second ordre face à une dirigeante qui, selon ses plus proches collaborateurs, a déjà en tête la liste des prochains ministres. «Ce sera de la rigueur et aucun compromis», promet-elle.
«Nous avons perdu tellement de fois. Il faudra désormais savoir gérer notre victoire…», a avoué à la presse le sénateur de FdI, Ignazio La Russa. Une victoire qui pourrait se révéler aussi dangereuse qu’un terrain miné, et qui fera peut-être parfois regretter à la pasionaria de la droite radicale ses longues années dans l’opposition.
Plus proche de la N-VA que du Vlaams Belang?
Deux filons sont intéressants à explorer pour situer la place de Fratelli d’Italia sur l’échiquier de la droite radicale et de l’extrême droite en Europe, la filiation et l’appartenance politique au Parlement européen.
Le parti de Georgia Meloni a été créé en 2012 en réaction à la normalisation de l’Alliance nationale voulue par son chef, Gianfranco Fini. Celui-ci avait opéré une transformation, sans équivalent en Europe, d’un parti d’extrême droite, issu du Mouvement social italien héritier direct du Parti national fasciste de Mussolini, vers une formation de droite conservatrice. Il s’était ainsi associé au Peuple de la liberté de Silvio Berlusconi pour gouverner, avant d’aller jusqu’à s’y dissoudre. Les fondateurs de Fratelli d’Itali sont des dissidents nationaux-conservateurs d’ Alliance nationale, opposés à ce virage libéral et proeuropéen.
Georgia Meloni prend la tête de Fratelli d’Italia en 2014. Au plan européen, elle se dit alors proche du Front national de Marine Le Pen, selon l’appellation de l’époque. Aujourd’hui, résultat d’une quête de normalisation, sa formation appartient au groupe politique des Conservateurs et réformistes européens (ECR) du Parlement européen. Il comprend notamment le parti Droit et Justice polonais, la N-VA et les Démocrates de Suède, arrivés en deuxième position lors des élections législatives du 11 septembre. Fratelli d’Italia ne figure donc pas dans le groupe Identité et démocratie, dont le Rassemblement national est la deuxième composante en nombre de députés devant l’ Alternative pour l’ Allemagne, les Vrais Finlandais, le Vlaams Belang et derrière la seule… Ligue de Matteo Salvini.
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