Israël: pourquoi l’Etat de droit pourrait être menacé par le nouveau gouvernement Netanyahou
Israël s’apprête à se doter du gouvernement le plus à droite de son histoire. La participation du parti d’extrême droite Force juive d’Itamar Ben-Gvir suscite des inquiétudes, notamment sur le respect de l’indépendance de la justice.
«J’ai mûri, je me suis modéré et j’ai compris que la vie est complexe. Aujourd’hui, je ne vois pas tous ceux qui votent à gauche de la même manière.» L’ opération «séduction» d’Itamar Ben-Gvir, approfondie le 7 novembre par la publication d’une tribune dans le quotidien Israël Hayom où il évoque même ses «frères de gauche» est à la mesure de la crainte que le dirigeant du parti Otzma Yehudit (Force juive) suscite au sein d’une partie de la société israélienne. Composante du Parti sioniste religieux qui a récolté quatorze sièges aux élections législatives du 1er novembre, Force juive est un parti d’extrême droite antipalestinien. Il sera un des rouages essentiels du probable futur gouvernement de Benjamin Netanyahou. Quelles conséquences aura sur la politique israélienne la participation à l’exécutif d’une extrême droite aussi puissante? Décryptage avec Denis Charbit, professeur de science politique à l’Open University d’Israël et auteur de Israël et ses paradoxes (Le Cavalier Bleu, 2018).
Les élites israéliennes étaient soutenues autrefois par un acteur politique au sein du gouvernement. Elles se retrouvent seules.
Suprémaciste juif, raciste, homophobe… Ces qualificatifs qui lui sont souvent accolés définissent-ils correctement Itamar Ben-Gvir?
Homophobe, oui. Raciste ? L’emploi du mot est problématique parce que, si l’on admet la notion de race, Juifs et Arabes sont tous deux des sémites. En outre, Itamar Ben-Gvir ne dit pas que les premiers sont de race supérieure et que les seconds sont de race inférieure. En apparence, le terme « raciste » semble impropre, son discours est, de bout en bout, une essentialisation négative des Arabes à des fins politiques, ce qui justifie qu’on le tienne pour raciste. Suprémaciste, Ben-Gvir l’est assurément. Il s’agit bien pour lui d’accorder une préférence structurelle au peuple juif par rapport à la population arabe qui demeure l’ennemi irréductible qu’il est exclu de transformer en ami.
A-t-il policé son discours à l’occasion des élections législatives?
S’il y a modération, elle est purement cosmétique. Elle n’est en rien une remise en cause de la personne, de l’action et de la doctrine du rabbin Kahane, son maître à penser (NDLR: fondateur du parti Kach, jugé raciste par le gouvernement et interdit). Le slogan d’Itamar Ben-Gvir durant la campagne était: «Qui est ici le propriétaire?» Autrement dit, les Juifs sont les maîtres, les Arabes des locataires qui, tôt ou tard, devront évacuer la terre d’Israël, et le plus tôt sera le mieux. Il a atténué le caractère cru de son discours, non par conviction personnelle, mais pour obéir aux consignes de ses experts en communication. Ainsi, avant d’être élu député, il s’entourait d’acolytes qui hurlaient «mort aux Arabes». Désormais, sous son injonction, ils déclarent «mort aux terroristes», afin de démontrer qu’il a changé. C’est une modération qui ne trompe ni ses sympathisants ni ses adversaires.
Itamar Ben-Gvir essaiera-t-il de rogner l’Etat de droit?
Depuis qu’il est aux affaires, Benjamin Netanyahou a toujours invité une formation de gauche ou du centre à faire partie de sa coalition: le parti travailliste avec Ehud Barak, Hatnuah avec Tzipi Livni, Koulanou avec Moshe Kahlon… C’est ainsi qu’il a justifié son impuissance à conduire les réformes inscrites à son programme. Désormais, on aura pendant quatre ans un gouvernement de droite dont le pouvoir ne sera plus contrebalancé par une force politique vouée à la défense de l’Etat de droit et au respect des institutions. Bien sûr, Netanyahou a beau jeu de dire qu’il ne cherche pas à détruire l’indépendance de la justice mais à la réformer. C’est habile, c’est commode. A ses côtés, il aura Aryé Dery, le leader du parti religieux Shas, qui est réputé sage et prudent. Mais jusqu’à quel point pourront-t-ils résister à la vague déferlante du sionisme religieux? Le gouvernement qui surgira n’est pas conservateur au sens traditionnel du terme qui réclame d’agir avec prudence. Ce gouvernement comporte également une tendance au radicalisme, c’est-à dire une tendance à transformer les choses de fond en comble, donc à détruire, et notamment l’indépendance de la justice. En Israël, les élites tiennent en main la justice, l’université, l’économie et la high tech, quand bien même elles ne sont pas élues au suffrage universel. Elles votent au centre et à gauche. Elles étaient soutenues autrefois par un acteur politique au sein du gouvernement. Elles se retrouvent seules dans la conjoncture actuelle, mais ne s’inclineront pas devant l’exécutif. Cela est particulièrement vrai des autorités militaires, qui résisteront à la revendication de Ben-Gvir de durcir les méthodes de Tsahal.
Doit-on s’attendre à une détérioration des relations avec les Arabes israéliens?
Tout à fait. Avec dix députés élus, la représentation politique arabe ne sort pas trop affaiblie du scrutin, même si le parti nationaliste propalestinien, Balad, n’a pas atteint le seuil d’éligibilité. En outre, le gouvernement sortant avait consacré l’entrée d’un parti arabe dans la coalition. Avec le nouveau gouvernement de Benjamin Netanyahou, le climat va changer. La dernière opération dans la bande de Gaza en août de cette année a duré trop peu de temps pour que se répètent les violences de mai 2021 dans les villes arabes israéliennes à la suite des affrontements à Jérusalem. Mais si demain une nouvelle opération est menée à Gaza, il n’est pas exclu que cela reprenne. Il faudra voir comment Netanyahou agira. Il a l’expérience de l’Etat. Certains se demandent si, ministre, Itamar Ben-Gvir se rendra sur le mont du Temple. J’imagine que Netanyahou lui dira que ce n’est pas possible, sauf à vouloir mettre Jérusalem à feu et à sang. Il aura à gérer ce problème. On verra comment Netanyahou se débrouille alors qu’il est le plus à gauche au sein de son gouvernement.
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Le contexte
Appelés pour la quatrième fois en deux ans à élire leurs représentants, les Israéliens ont fini par octroyer une majorité a priori plus stable que lors des trois précédents scrutins (64 députés sur 120) à un camp, celui de la droite, après l’échec de la coalition gauche-centre-droite dirigée successivement par Naftali Bennett et Yaïr Lapid depuis le 13 juin 2021. Ce succès consacre le retour au pouvoir de l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou, à la tête de la première formation de l’alliance (Likoud, 32 élus), la participation au gouvernement des partis religieux Shas (11 députés) et Judaïsme unifié de la Torah (7 députés), mais aussi l’arrivée en force de l’extrême droite du Parti sioniste religieux (14 parlementaires). Israël s’apprête donc à se doter du gouvernement le plus à droite de son histoire.
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